C. Perquisitions administratives

Contexte
  • Loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence modifiée par la loi du 25 novembre 2015 relative à l’état d’urgence

Article 11
I. Le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse [1], conférer aux autorités administratives mentionnées à l’article 8 [2] le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins.

Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. Les données auxquelles il aura été possible d’accéder dans les conditions prévues au présent article peuvent être copiées sur tout support.

La perquisition donne lieu à l’établissement d’un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République.

Lorsqu’une infraction est constatée, l’officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République.

Le présent I n’est applicable que dans les zones fixées par le décret prévu à l’article 2 [3].

II. - Le ministre de l’intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.

Des décisions de perquisition stéréotypées

C’est très fréquent.
Voici deux exemples (qui ne concernent pas des personnes étrangères

Récits de perquisitions brutales chez des personnes étrangères

Extraits :
Cela fait plus de quinze jours que les policiers sont repartis après leur perquisition mais la famille Madiev, des réfugiés tchétchènes, n’a toujours pas retrouvé le sommeil. Dina, la mère, n’arrive pas à fermer l’œil, aux aguets : [...] « J’ai cru que les Russes revenaient », raconte-t-elle la voix encore tremblante.
Leurs cris la hantent encore. « Allongez-vous au sol ! », ordonnent-ils à Massoud et son fils, Anzor, 23 ans, en pointant sur eux leurs armes et leurs lampes torches. « C’était spectaculaire, comme au cinéma, comme s’ils venaient arrêter des criminels », raconte Dina. Le père et le fils, en caleçon, sont menottés et placés dans le salon, Dina dans une autre pièce. Séparés. Les policiers commencent leur fouille, à la recherche d’armes. « Elle est où ta kalach’ ? », demandent-ils à Massoud. Bac de linge sale, albums photos, téléphones et ordinateurs portables : rien n’est épargné. Même les colis de Noël sont ouverts. Une intimité familiale retournée, fouillée, aspirée.
Contactée, la préfecture de Seine-Maritime confirme et justifie la perquisition au motif que « M. Madiev fait l’objet d’une fiche S » et « qu’il est connu des services de renseignement pour entretenir des relations avec des représentants radicaux caucasiens ».
Ce motif – qu’il conteste –, Massoud Madiev espérait ne plus jamais en entendre parler. Il lui a déjà valu le rejet de sa demande de naturalisation française et de tous ses recours, jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme. Lors de son entretien avec les services de police spécialisés en juin 2009, M. Madiev avait fait état de son soutien à la cause indépendantiste tchétchène. Il était loin d’imaginer que cette déclaration motiverait le rejet de sa demande de naturalisation, l’année d’après. Selon l’arrêté du ministère de l’immigration de l’époque, M. Madiev aurait « revendiqué [son] attachement à la cause indépendantiste tchétchène et déclaré entretenir des relations avec les membres de cette rébellion armée », qui perpètre des attentats dans son pays d’origine, est-il souligné.
Une interprétation erronée, se défend M. Madiev : s’il n’a jamais nié que sa famille et lui avaient été, par le passé, en contact avec certaines figures indépendantistes, il n’a plus eu aucun contact avec eux depuis son arrivée en France, en mai 2004, assure-t-il. Quant à son soutien à la cause tchétchène, « ça oui, bien-sûr », il l’assume : « Je n’allais pas être du côté des Russes qui ont détruit mon village et massacré les miens ! » Cela ne fait pas de lui pour autant quelqu’un qui a pris les armes ou commis un attentat, souligne-t-il.
« La liberté d’opinion suppose que l’on puisse se positionner pour un mouvement d’indépendance sans pour autant être favorable aux actions violentes que ce mouvement pourrait mener », abonde Me Cécile Madeline, l’avocate de M. Madiev. Et de pointer ce qu’elle juge être une contradiction du dossier : son client avait obtenu le statut de réfugié politique très peu de temps après son arrivée en France, or « on n’accorde pas ce statut à quelqu’un qui est soupçonné de terrorisme ». Selon elle, M. Madiev est ainsi victime d’un « harcèlement » : « La perquisition a eu lieu parce qu’ils avaient déjà quelque chose depuis le dossier de naturalisation. »
Après deux heures de recherches infructueuses, les policiers sont repartis. Sans rien. Ni armes, ni drogues, ni explosifs. « Aucun élément en lien avec une activité terroriste n’a été mis en lumière », confirme la préfecture. Un silence de plomb s’est alors installé dans l’appartement.

Signalé par la Cimade. Depuis l’instauration de l’état d’urgence, les représentants de la Cimade présents au centre de rétention administrative (CRA) de Cornebarrieu, à Toulouse, observent que « des interpellations et perquisitions administratives abusives ont conduit au placement en rétention » de plusieurs étrangers en situation irrégulière.

Enfermé en attente d’expulsion, un Tunisien âgé de 23 ans, joint au téléphone vendredi 27 novembre par Mediapart via le bureau de la Cimade, raconte les conditions de la perquisition dont son domicile a fait l’objet le 25 novembre à Angoulême. « Ils ont débarqué à 5 h 40, 7 policiers lourdement armés, deux autres en civil et deux autres en tenue normale. J’étais en train de dormir avec ma copine. Ils sont entrés brusquement, en visant leur lampe torche sur nous. Je n’ai d’abord pas eu le temps de m’habiller. Ils m’ont demandé de lever les mains en l’air. Je ne m’y attendais pas. C’était choquant, ça m’a fait peur », dit-il.
« Ils ne m’ont présenté aucun document, rien. Ils m’ont pris mon téléphone portable, ils ont commencé à fouiller partout et ils m’ont demandé mon nom, ma date de naissance, rien de spécial. Puis ils m’ont emmené au commissariat. C’était stressant, C’était la première fois que je me retrouvais derrière les barreaux », poursuit-il. Du commissariat, il est directement conduit au CRA. Il attend son audience devant le juge des libertés et de la détention (JLD) le 30 novembre. Ce Tunisien, diplômé en Langue, civilisation et littérature anglaise, est arrivé en France il y a trois mois. Il pense avoir été dénoncé par un proche de sa compagne. « Rien n’a été retrouvé à son domicile, aucune charge n’a été retenue contre lui », observe la Cimade, qui souligne qu’il n’a pas été placé en garde à vue. « Il s’agit d’un détournement de procédure », indique-t-on. Trois autres interpellations ayant conduit à des placements en CRA (celle d’un Tchétchène alors qu’il sortait de la préfecture, ainsi que celles d’un Kurde et d’un Algérien qui étaient en voiture) leur paraissent manquer tout autant de fondement.

  • Décembre 2015 : en Isère, perquisitions chez des Roms]

Communiqué du RESF 38, 23 Décembre 2015 : État d’urgence : un nouvel outil de la Préfecture contre les sans-papiers, 23 décembre 2015

En Isère, des perquisitions chez les Roms sans-papiers, 12 janvier 2016, par Julia Pascual, etatdurgencelemonde@gmail.com

L’état d’urgence, « nouvel outil contre les sans-papiers » ? C’est ce que redoute le collectif Réseau éducation sans frontières (RESF) en Isère, où deux familles Roms ont fait l’objet de perquisitions début décembre. « Il semble évident qu’on assiste à une volonté de terroriser les familles afin de les faire disparaître », estime RESF. De fait, l’une d’entre elles s’est volatilisée dès le lendemain de sa perquisition, le 9 décembre, et alors qu’elle était suivie depuis plus de deux ans par RESF.
La seconde famille redoute quant à elle d’être expulsée à tout moment. « Stressed, stressed. » Elvira n’a pas d’autre mot pour qualifier son état depuis que, le 10 décembre, au petit matin, des gendarmes ont débarqué chez elle. Cette femme de 35 ans, originaire de Serbie et appartenant à la communauté Rom, occupe un appartement avec son mari et ses trois enfants dans l’Isère. « Pistolets, cagoulés, ma fille pleurait, stressed beaucoup… », reprend Elvira. Le père de famille, Kenzat, lui aussi Rom mais originaire du Kosovo, raconte comment il a été menotté et mis à terre avant que son appartement soit intégralement fouillé.

> « Elle était orthodoxe avant. Ils m’ont demandé pourquoi elle était musulmane »
Les pièces sont filmées, les téléphones du couple aspirés, de même que l’ordinateur et des disques durs trouvés dans un meuble télé. Kenzat les a ressortis pour prouver sa bonne foi et qu’il n’a rien d’un terroriste : « Tous les jours, je fais les poubelles et je revends à la brocante », explique celui qui n’a pas de permis de travail. Arrivée en France en 2012, la famille s’est vu refuser l’asile politique ainsi qu’une demande de titre de séjour. Elle explique que sa maison a été détruite pendant la guerre au Kosovo, l’obligeant à fuir en 1999 vers la Serbie. Puis vers la France en 2012. Mais le Kosovo est désormais inscrit sur la liste des pays sûrs de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Les demandes d’asiles sont systématiquement rejetées.
Jeudi 10 décembre, Kenzat rapporte que les gendarmes ont fouillé les cartables de ses enfants lorsque ceux-ci s’apprêtaient à partir pour l’école. Ils sont aussi tombés sur un petit écrin à bijoux dans lequel il range deux croix. « La madame, elle était orthodoxe avant, indique Kenzat. Ils m’ont demandé pourquoi elle était musulmane. Je leur ai répondu que c’était son choix. » Les gendarmes veulent aussi savoir si Elvira va à la mosquée et si Kenzat est imam. Elle répond par la négative, lui, explique qu’il lui arrive de s’occuper du prêche dans une salle de prière où se retrouvent des Roms de Bosnie, Serbie, Albanie ou Macédoine : « Je suis la réserve quand l’imam est absent, tente-t-il de faire comprendre, parce que je parle bien le romani littéraire. » Comme pour prouver son intégrité, Kenzat ajoute qu’avec ses coreligionnaires, il « fait aussi des bonnes actions, auprès d’orthodoxes ou de catholiques. On a donné à manger à des Roumains dans un campement, on a donné des sandwiches à des gens qui dorment à la gare… »

> Faciliter la recherche des passeports de la famille pour organiser leur expulsion ?

Reste qu’un mois après la perquisition de leur domicile - au cours de laquelle aucun interprète n’avait été dépêché - Kenzat et Elvira ignorent pourquoi ils ont été visés. Sollicitée par Le Monde, la préfecture de l’Isère refuse de faire connaître ses motivations. « Mais la personne a bien vu l’ordre de perquisition et le procès-verbal puisqu’elle les a signés, précise le service de communication. Elle peut demander à les consulter. » Le jour J, aucun exemplaire n’a été laissé à la famille.
Le 22 décembre, une assignation à résidence de 45 jours renouvelable a en revanche été délivrée en mains propres à Kenzat et Elvira. Elle n’est pas liée à l’état d’urgence mais au code des étrangers et à l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) notifiée à la famille la veille de la perquisition. « La perquisition avait peut-être pour but de faciliter la recherche des passeports de la famille » pour organiser leur expulsion, suppose une militante de RESF.
Le 7 janvier, des gendarmes se sont une nouvelle fois rendus au domicile de la famille « pour leur apporter la photocopie de la notification d’assignation à résidence, ajoute cette militante. Cette "visite" a été l’occasion de mettre la pression sur la famille, en leur demandant de venir le lendemain à la gendarmerie avec leur passeport ».

> « La perquisition les a complètement laminés »
Lorsqu’ils vont pointer au commissariat, deux fois par semaine, Kenzat et Elvira rapportent qu’une fonctionnaire de gendarmerie leur réclame des photos des enfants. Le père est persuadé que c’est pour préparer des laissez-passer consulaires en vue de leur expulsion. Alors il s’y refuse. « Dès qu’un voisin sonne à la porte, j’ai peur que ça soit la police qui revient », confie Elvira tandis que son époux répète : « Je suis venu ici parce que la France, c’est la liberté. »
La fille aînée de la famille, 17 ans, est en deuxième année d’un CAP hôtellerie. La plus jeune, 10 ans, est en classe pour l’inclusion scolaire, niveau CE1. Le fils de 13 ans suit quant à lui une 5e Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté). Dans son collège, des professeurs se sont cotisés avant Noël pour aider sa famille qui vit d’une allocation de subsistance (280 euros) du conseil général. « On n’a pas de levier par rapport à leur situation, on ne sait pas quoi faire », regrette-t-on à RESF, où l’on a toutefois réuni une quinzaine d’attestations de personnels de l’établissement en faveur du jeune garçon. Un jeune garçon qui, d’après son père « dort mal et ne mange presque rien ».
« Il aimait aller chez son oncle SS », raconte Kenzat. Cet oncle qui s’est volatilisé avec femme et enfant après avoir lui aussi subi une perquisition, le 9 décembre. L’opération n’a rien donné, mais de peur d’être expulsée, la famille – qui était aussi sous le coup d’une OQTF - a quitté son appartement en moins de 24 heures. En abandonnant leur domicile, les parents ont en outre déscolarisé leur fille de 6 ans. « Toutes les stratégies de régularisation ont volé en éclats. Tout a été saboté », regrette une autre membre de RESF qui suivait la famille. D’ici un mois, les parents auraient pu faire valoir trois années de scolarisation pour déposer une nouvelle demande de titre de séjour. « La perquisition les a complètement laminés, rapporte-t-elle. Au Kosovo, ils ont fui les persécutions. Il était inenvisageable d’y retourner. » Elle repense à la petite fille : « Elle avait peur que la police revienne. Je revois sa maman me dire : ’Mais pourquoi, pourquoi ?’ »


Notes

[1L’article 2 de la loi du 25 novembre précise cet article 11 s’applique pendant les trois mois d’état d’urgence prévus par la loi du 25 novembre

[2Ministre de l’intérieur et préfet

[3Métropole, DOM, Saint-Martin et Saint-Barthélemy

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Dernier ajout : lundi 14 mars 2016, 14:27
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