CE rèf, 9 janvier 2015, n° 386865 et prolongements de cette affaire Mayotte : éloignement arbitraire d’un enfant 


Tentatives de deux parents en situation régulière à Mayotte en vue d’être rejoints par leur enfant de neuf ans resté à Anjouan : sommaire

  • 18-12-2014 : l’enfant est dans un kwassa intercepté au large de Mayotte ; il est arbitrairement "rattaché" à un adulte puis inscrit comme tel sur une obligations de quitter le territoire délivrée à l’adulte.
  • 18-12-2015 : l’enfant est reconduit à Anjouan malgré un référé-liberté (rejeté par le TA)
  • 9-1-2015 : le CE saisi en référé constate l’illégalité de la procédure mais se contente d’enjoindre le préfet à statuer sous 15 jours sur une demande de regroupement familial faite par les parents.
  • 23-2 : le préfet a statué ... en refusant le regroupement familial.
  • 19-2 : retour de l’enfant dans un autre kwassa. A nouveau rattaché arbitrairement à un adulte, OQTF ...

Enfin, les juges mettent fin à cet acharnement :

  • 20-2 : suspension de l’éloignement ;
  • 27-8 : le TA annule les mesures prises en décembre 2014 à l’égard de l’enfant.

Le 17 décembre 2014, le jeune A (qui a à peine neuf ans) a été placé dans un kwassa pour qu’il rejoigne ses parents, tous deux en situation régulière à Mayotte. La grand mère qui l’avait pris en charge était décédée depuis l’été.

A 8H45, un interrogatoire hâtif d’un adulte X par un OPJ affirme qu’il est accompagné de deux enfants dont A. A 9H55 la préfecture délivre une OQTF à Monsieur X accompagné des deux enfants.

Procès verbal OPJ - 2014-12-18, 8H45

Saisi en référé-liberté par la mère de l’enfant, le TA donne son feu vert à cette reconduite de l’enfant fictivement rattaché à l’OQTF de M. X que l’administration aurait désigné comme « délégataire de fait [...] de la délégation parentale ». Pourtant les parents avaient produit des documents établissant l’état civil et la filiation de l’enfant.

Ta de Mayotte, 19 décembre 2014, n° 1400699

La reconduite est effectuée. La mère porte l’affaire en référé au Conseil d’État.
La Cimade et le Gisti sont intervenants volontaires.

Intervention Gisti - CE n°386865

Le défenseur des droits présente des observations :

  • sur l’absence d’examen approfondi concernant l’identité et la filiation de l’enfant et le rattachement fictif (selon le code de la famille comorien, seul un juge peut transférer l’autorité parentale à une personne autre que ses parents) ;
  • sur l’éloignement d’un mineur isolé qui constitue un traitement inhumain et dégradant et sur son enfermement dans le CRA qui est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
    Défenseur des droits, MDE-MSP/2015-02, 2015-1-6
Le Conseil d’État rappelle « l’attention qui doit être accordée à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions le concernant » et précise que « l’autorité administrative doit s’attacher à vérifier, dans la mesure du possible, l’identité d’un mineur placé en rétention et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement forcé par voie de conséquence de celle ordonnée à l’encontre de la personne qu’il accompagne, la nature exacte des liens qu’il entretient avec cette dernière ». La décision du TA est donc manifestement illégale et « elle a porté et continue de porter gravement atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Mais aucune injonction à faire revenir l’enfant n’est décidée. Il est seulement enjoint au préfet de Mayotte, sous astreinte de 100€ par jour, de statuer sur une demande de regroupement familial présentée par ses parents dans un délai de quinze jours après le dépôt d’un dossier complet de la demande.
Mais les parents, comme la plupart des personnes qui vivent à Mayotte, ne remplissent par les conditions de ressources et de logement requises pour un dossier "complet"... Le Préfet peut exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder le regroupement familial malgré tout. Le fera-t-il ?

CE réf, 9 janvier 2015, n° 386865

... Comme on pouvait le craindre, le préfet a statué dans les délais sur la demande de regroupement familial.
Mais sa décision est un refus uniquement motivé par des conditions de ressources et de logement insuffisantes.

Refus de regroupement familial - 4 février 2015

Le Conseil d’Etat constate que le préfet s’est conformé à l’injonction "quel que soit le sens de la décision prise par le préfet" (23 févier 2015)

CE, 23 février 2015, exécution

Entre temps, l’enfant avait été ramené en kwassa vers Mayotte dans la nuit du 18 au 19 février 2015.
Nouvelle interception de ce kwassa, nouveau rattachement arbitraire à l’OQTF d’un passager du kwassa, nouveau référé...

Mais, en l’occurrence le juge des référés rappelle les termes de la décision du Conseil d’Etat du 9 janvier et constate que les mesures prises à l’égard de l’enfant portent une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il suspend la mesure d’éloignement de l’enfant.

TA de Mayotte, réf., 20 février 2015, n° 1500082

TA de Mayotte, 27 août 2015, n°1400700

Jugement au fond : le tribunal annule les arrêtés du 18 décembre 2014 décidant l’OQTF et le placement en rétention de l’enfant.

TA de Mayotte, 27 août 2015, n° 1400700
"Si le Ceseda prévoit "expressément la possibilité qu’un enfant mineur étranger soit accueilli dans un centre de rétention" [..], il n’en reste pas moins que "la mise en œuvre de la mesure d’éloignement d’un étranger mineur doit être entourée des garanties particulières qu’appelle l’attention primordiale qui doit être accordée à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant, en vertu de l’article 3 de la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990 ; que doit également être assuré le respect effectif des droits et libertés fondamentaux de l’enfant mineur ; qu’au nombre des exigences permettant d’en garantir l’effectivité figure notamment l’obligation, posée par l’article L. 553-1, que le registre qui doit être tenu dans tous les lieux recevant des personnes placées ou maintenues en rétention, mentionne "l’état civil des enfants mineurs [...] ainsi que les conditions de leur accueil".
"Il s’en suit que l’autorité administrative doit s’attacher à vérifier, dans toute la mesure du possible, l’identité d’un étranger mineur placé en rétention et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement forcé par voie de conséquence de celle ordonnée à l’encontre de la personne majeure qui l’accompagne, la nature exacte des liens qu’il entretient avec cette dernière ainsi que les conditions de sa prise en charge dans le lieu à destination duquel il est éloigné".

ENFIN !!!


Récit dans le Journal de Mayotte (2 septembre 2015).

Éloignement des enfants : le tribunal administratif rappelle la loi à l’Etat

Le tribunal administratif annule une mesure d’éloignement d’un mineur rattaché arbitrairement à un adulte. Une mesure symbolique mais qui place une nouvelle fois l’État face à ses manquements.

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Dernier ajout : lundi 11 avril 2016, 13:48
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