Article extrait du Plein droit n° 47-48, janvier 2001
« Loi Chevènement : Beaucoup de bruit pour rien »

Chercheurs étrangers : pas si privilégiés

Hélène Bretin

Sociologue. Université Paris XIII.
Les mesures concernant les scientifiques dans la loi de 1998 se caractérisent par une procédure allégée qui devrait faciliter leur mobilité et notamment leur éviter la procédure de demande d’autorisation de travail pour séjourner légalement en France. Qu’en est-il dans les faits ? A défaut de pouvoir dresser un tableau exhaustif de la situation, nous présentons ici une synthèse établie autour de quelques points, sur la base des informations recueillies auprès d’organismes habilités à recevoir des enseignants et/ou chercheurs étrangers1, et de la fondation Alfred Kastler.

Selon la circulaire du 12 mai 1998, le protocole d’accueil délivré par un organisme agréé par le ministère de la recherche, est remis par l’étranger au consulat de France. Le télégramme diplomatique du ministère des affaires étrangères du 29 mai 1998, qui décrit la procédure, souligne que la présentation d’un protocole sera l’unique justificatif requis pour délivrer un visa et que « seules des raisons d’ordre public pourront justifier un refus  ». Aucune condition de ressources n’est donc prévue. Tout ne marche cependant pas comme le prévoit la circulaire. Le problème réside en fait en amont, dans le protocole lui-même, et la question des ressources qui ne devrait plus être un obstacle s’avère indirectement en être un.

Auparavant, les services centraux des établissements accueillant des scientifiques n’étaient impliqués que dans la mesure où ils rémunéraient le chercheur. Lorsque celui-ci venait avec ses ressources propres (bourse, année sabbatique…), la lettre d’invitation était suffisante et les formalités administratives variaient selon les cas.

Avec l’instauration du protocole d’accueil à remplir dans tous les cas de figure, les services centraux des établissements accueillants sont impliqués y compris pour les chercheurs qu’ils ne rémunèrent pas. Si la procédure est a priori plus simple et plus harmonieuse (éliminant la distinction entre les salariés et les autres), selon la Fondation Kastler la situation peut s’avérer plus complexe pour le service central de l’organisme en question ; elle fait apparaître un contingent de personnes dont la mobilité était assurée par les équipes de recherche, et une responsabilité qui était auparavant assumée par ces dernières. Il semble en conséquence que certains services, face à cette « nouvelle » responsabilité, hésitent parfois à signer le protocole pour des chercheurs qu’ils ne rémunèrent pas. D’autant plus qu’ils sont seuls à apprécier si les revenus du demandeur suffisent pour couvrir le séjour, les frais de santé et un éventuel rapatriement.

Si, comme l’observe la Fondation Kastler (voir encadré), on peut comprendre que des cas limites puissent justifier le refus de signature, l’origine même des ressources financières, quant à elle, ne devrait en aucun cas entrer en ligne de compte.

Dans les faits, les ambassades et préfectures souhaitent savoir si le candidat a des ressources. La situation varie cependant suivant les organismes. Les scientifiques accueillis à l’Institut de Recherches pour le Développement (IRD, ex-ORSTOM) gardent au moins une partie des revenus de leur employeur au pays d’origine – institut de recherche ou université – et l’IRD apporte un complément sous forme de bourse [1]. Les invités de l’EHESS, que ce soit pour une courte durée (un mois) ou une invitation triennale (accueil du chercheur quatre mois par an sur trois ans) sont, quant à eux, rémunérés par l’école le temps de leur séjour. C’est aussi le cas au CNRS pour l’accueil sur les « postes rouges » d’une durée de trois mois à trois ans maximum.

Un « sésame consulaire »

Tous nos interlocuteurs, sans exception, soulignent l’allégement de la procédure depuis que les personnes accueillies ne sont plus soumises à la demande d’autorisation de travail. On évite ainsi le montage de dossiers complexes, les allers et retours de « liasses » de documents entre pays, autant d’étapes qui prenaient et faisaient perdre un temps considérable.

La présentation du protocole d’accueil original signé agit, pour reprendre l’expression de l’un de nos interlocuteurs, comme un « sésame consulaire ». En témoigne l’amélioration constatée par les chercheurs venant de pays où ils étaient auparavant « malmenés » pendant des mois, « en Inde, c’est clair, la situation s’est beaucoup améliorée pour eux  ».

Mais les expériences attestent aussi d’un accueil plus ou moins bon selon les consulats. Un « pouvoir du guichet » s’exerce, avec son arbitraire, soumettant les demandeurs à une attente parfois prolongée dans des conditions d’accueil pas toujours agréables « et c’est de leur autorité que relève la demande d’un titre de séjour lorsque ça dépasse trois mois  ».

Les instituts contactés ont également constaté l’indigence des informations sur ce dossier dans les services consulaires qui « nous téléphonent en demandant ce qu’est cette demande pour telle personne, et pourquoi. On vu cela au début 1999 pendant six mois et même encore fin 1999  ».

La Fondation Kastler



La Fondation Kastler (FnAK), créée par l’Académie des sciences en 1993, a pour objectif de faciliter l’accueil des chercheurs invités dans les équipes de recherche françaises, et de maintenir un contact direct avec eux une fois qu’ils ont quitté la France.

La Fondation fournit non seulement une information par un site Web mais aussi une assistance personnelle pour les problèmes administratifs et pratiques rencontrés par les scientifiques étrangers, docteurs ou chercheurs confirmés, ainsi que leur famille, quelle que soit leur nationalité ou leur discipline, prévoyant une durée de séjour d’au moins un mois en France.

La FnAK peut les aider, gratuitement, en particulier dans leurs relations avec les consulats français à l’étranger ou, une fois en France, avec les préfectures, pour les problèmes relatifs aux visas, aux permis de séjour, aux impôts, aux douanes, au logement, etc.

La FnAK ne fournit pas d’aide financière, mais peut parfois conseiller pour accéder à un financement approprié. La Fondation Kastler a par ailleurs négocié des services spécialement conçus pour les chercheurs, pour la plupart gratuits :

ouverture d’un compte en banque et carte bleue à moitié prix, dès avant leur arrivée ;

  • couverture d’assurance santé très avantageuse pour ceux qui ne sont pas couverts par la sécurité sociale française ;



  • colis de bienvenue, etc.



Enfin, la FnAK maintient aussi des contacts réguliers avec les universités et les organismes de recherche, auxquels elle transmet une chronique par courrier électronique, afin d’échanger les bonnes pratiques. Cette coordination a déjà permis d’aboutir à des améliorations significatives des procédures en vigueur.

L’ensemble de ces services vaut d’ailleurs à la Fondation Kastler une réputation qui dépasse déjà nos frontières, et permet de contribuer renforcer notre coopération internationale scientifique, technique, et culturelle.

Contact : Antony Mauvais, Secrétaire général

Fondation nationale Alfred Kastler de l’Académie des Sciences

2 rue Brûlée – 67000 Strasbourg

Tél. : 03 88 75 56 06, Fax : 03 88 22 24 77

E-mail : fondation@kastler.u-strasbg.fr

URL : www.cnrs.fr/fnak

Une inutile carte de séjour

Il arrive également que, pour les séjours d’une durée de trois mois, des consulats délivrent un visa portant la mention « carte de séjour à demander dès l’arrivée en France  », procédure qui, en principe, ne concerne que les visas de long séjour. Cette erreur oblige l’institution d’accueil et le chercheur à faire la demande – inutile – de la carte de séjour. « On est dans l’obligation de le faire. En cas de contrôle de police, avec la mention apposée sur le passeport, si la personne n’a pas de récépissé de demande de carte de séjour, elle va avoir des ennuis. Mais c’est une demande et du travail pour rien ; elle sera rentrée dans son pays avant que la carte de séjour lui soit délivrée. On ne sait pas pourquoi des consulats demandent ça et on ne va pas leur téléphoner parce qu’on n’a pas le temps de toute façon.  »

Alors que la procédure actuelle établit clairement que le contrôle médical doit être effectué en France quand le chercheur arrive, certains postes diplomatiques continuent d’exercer un premier contrôle médical dans le pays d’origine avec le médecin de l’ambassade. La personne concernée devra donc payer une visite, voire une batterie d’examens, ce qui s’avère inutile pour la procédure puisque seul le contrôle médical effectué en France est recevable pour la délivrance du titre de séjour [2]. Elle devra donc recommencer une fois en France. Interrogé sur ce sujet des doubles contrôles, l’OMI est resté muet.

Suite à la décision du Conseil d’État du 20 mars 2000, la visite médicale de l’OMI est désormais gratuite et cela concerne aussi bien les chercheurs invités qui payaient 1 050 F que les étudiants payant 460 F.

Répondre à la question « qui paye ? » n’était pas forcément chose aisée, a fortiori lorsque les organismes ou équipes d’accueil ont plusieurs tutelles. Certains instituts de recherche prenaient en charge la facture, dans d’autres cas, ce sont les chercheurs eux-mêmes qui s’en acquittaient et ils étaient prévenus en ce sens. La dépense était loin d’être négligeable pour eux et le profit pour l’OMI s’avèrait considérable car dans le cadre d’invitations triennales (quatre mois par an sur trois ans), la procédure se répètait à chaque entrée du chercheur invité sur le territoire français. Le fait que les personnes reviennent parfois avec quatre ou cinq mois de décalage d’une année sur l’autre ne permettait pas de demander une prolongation de séjour et de garder le bénéfice du premier contrôle : il fallait verser à chaque fois le montant de la visite.

Contrairement à ce que laisserait supposer la décision du Conseil d’État, la question n’est pas devenue caduque et la situation n’a pas fondamentalement changé. En effet, l’OMI continue de réclamer le prix des visites en envoyant la facture à l’invité ou à l’institution qui accueille, selon les usages en cours à la délégation régionale. Face à cette absence de mise en pratique réelle de l’arrêt du 20 mars 2000, les organismes de recherche adoptent des attitudes diverses. Certains services ont reçu l’instruction récente de ne plus payer, et les agents rayent la mention selon laquelle l’institut « s’engage à payer la visite  », imprimée au bas de la convocation pour la visite médicale… moyennant quoi arrivent d’autres soucis pratiques.

Lorsque l’administration en question payait le contrôle médical, un « engagement de versement » était joint au dossier envoyé à la préfecture. Cette pièce ne figurant plus dans le document, il peut être renvoyé pour « pièce manquante ». Comme nous l’explique un agent, « la préfecture sait que l’on n’a plus à payer, mais il n’y a pas forcément de note écrite à ce sujet dans les services.  »

Manque d’informations fiables

D’autres organismes ont pour instruction de bloquer les quelques factures qui arrivent ; ailleurs, elles sont renvoyées à l’OMI avec une copie du texte de l’arrêt du 20 mars. Tout ceci n’exclut pas les cas où le chercheur s’acquitte directement du paiement. Contactés par certains instituts de recherche en quête de précisions, les services de l’OMI semblent apporter des réponses qui restent floues et insatisfaisantes.

L’un de ces instituts nous souligne d’ailleurs que la situation est d’autant plus injuste pour les chercheurs étrangers invités, que l’établissement est en relation avec un centre médical où les chercheurs et maîtres de conférences nouvellement recrutés passent leur visite médicale obligatoire moyennant la somme de 140 francs environ.

Ce qui précède souligne le manque d’informations fiables et de coordination permettant un travail plus efficace. Le secrétaire général de la Fondation Kastler observe que l’entrée en vigueur des modifications prend du temps, que l’administration du système est complexe et mobilise des intervenants qui ne savent pas toujours comment mettre en pratique les dispositions. Dans les établissements d’accueil, les équipes de recherche sont accoutumées à gérer la mobilité de leurs invités en fonction des opportunités existantes. Il n’y a donc pas de capitalisation des expériences acquises, ce qui favorisait des variations d’une région à l’autre.

La situation est encore peu satisfaisante en ce qui concerne la mise en place des correspondants dans les établissements. Leur rôle est mal défini et l’on constate un manque de conscience de la problématique de l’accueil des chercheurs, en particulier dans les établissements qui n’ont pas une longue tradition en la matière.

Pas de chercheurs algériens

Du coté préfectoral, des témoignages datant du printemps dernier adressés à la Fondation Kastler montrent que la procédure ne répond pas encore au principe de la démarche unique. Certaines préfectures refusent de mettre à la disposition des correspondants dans les établissements, les formulaires nécessaires (protocoles d’accueil, demande de titre de séjour, demande de contrôle médical) ce qui entraîne navettes et perte de temps.

Pour autant, on n’a pas forcément attendu la loi pour établir des relations privilégiées entre services (à titre d’exemple la responsable de l’accueil des chercheurs étrangers à l’IRD et sa correspondante à la préfecture sont en relation depuis six ans). Les personnes que nous avons contactées soulignent toutes la qualité et l’efficacité des collaborations qui constituent un appui et une source de conseils et d’information importants. Le gain de temps pour le chercheur accueilli est notable, cela passe y compris par le fait d’être accompagné à la préfecture par le responsable de son dossier dans l’institut d’accueil, lors du premier séjour en France. Dans l’organisme où cette pratique est courante, le bénéfice est très clair : le correspondant en préfecture, prévenu de la visite, donne l’un des premiers numéros dans la liste d’attente, et celle-ci se limite à une heure au maximum « alors qu’on peut y passer la journée  ». Cela fonctionne d’autant mieux que les dossiers préparés sont complets et concernent des personnes « en règle ».

Tous les chercheurs étrangers ne sont cependant pas concernés par cet allégement de procédure. Si les ressortissants européens bénéficient de la libre circulation communautaire, la situation des Algériens reste quant à elle soumise à l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié (procédure d’introduction pour les travailleurs et visa visiteur pour les autres), ce qui ne facilite pas leur mobilité. D’ailleurs, la responsable des chercheurs étrangers dans l’un des organismes de recherche constate l’absence d’invitation de chercheurs algériens au cours des deux ans écoulés. La difficulté de montage de la procédure y contribue sans doute.

Il y a quelques mois à peine, en période de rentrée, le secrétaire général de la fondation Kastler examinant l’impact de la nouvelle procédure en matière d’accueil des chercheurs étrangers faisait les réflexions suivantes :

« Paradoxalement, alors que notre dispositif légal est devenu en tous points comparable à celui des pays réputés les plus attractifs pour les chercheurs, comme les États-Unis ou le Canada, il n’est pas encore suffisamment opérationnel et nos ambitions s’en trouvent contrariées. […] En pratique, l’expérience montre que ce n’est pas le rayonnement de notre recherche qui est en cause, mais deux facteurs qui concourent à entretenir la situation d’avant 1998 :

Les préoccupations sécuritaires du contrôle migratoire régissent encore largement le fonctionnement de nos consulats et préfectures, voire même de nos organismes de recherche, retardant l’ouverture voulue par le législateur dans le cas des scientifiques. -* La coordination de l’accueil est médiocre et interdit toute velléité d’amélioration globale. Les directives des services consulaires, préfectoraux ou universitaires (parfois entre deux services d’un même établissement ou organisme de recherche), sont trop souvent contradictoires et doivent absolument être harmonisées. Car, s’il est un domaine dans lequel il est impératif d’anticiper, de préparer, d’organiser c’est bien la mobilité  ». [3]

L’accueil et l’intérêt porté à notre démarche et à nos questions dans les différents services que nous avons sollicités, les dysfonctionnements et incohérences désignés par les agents souvent préoccupés d’apporter des solutions à des cas parfois complexes en témoignent : les chercheurs étrangers ne sont pas à l’abri des difficultés et nous ne savons rien de ceux qui renoncent à venir. S’ils font partie des catégories « privilégiées » d’étrangers dans la mesure où leur accueil est sans doute moins soumis que d’autres aux préoccupations sécuritaires, celles-ci sont néanmoins présentes et des études poussées mettraient sans doute en évidence des inégalités de traitement et d’accès à la mobilité selon les pays d’origine. Le « tapis rouge » ne se déroule pas sans à-coups et pas sous les pieds de tous ceux qui pourraient y prétendre. ;




Notes

[1Cette condition de participation financière de l’employeur du pays d’origine s’inscrit dans la philosophie de l’IRD visant au renforcement de la formation et du développement des pays du Sud. Il ne s’agit pas de favoriser une « fuite des cerveaux » mais de construire un échange où l’employeur est effectivement partie prenante dans la formation du chercheur.

[2On trouvera à ce sujet quelques témoignages édifiants dans les Chroniques de la FnAK (ex. n° 12 du bulletin de liaison du réseau d’accueil des chercheurs érangers en France, consultable sur le site web).

[3« Accueil des chercheurs étrangers en France. Où en sommes-nous ? », Antony Mauvais, secrétaire général de la Fondation nationale Alfred Kastler de l’Académie des Sciences (FnAK), Chroniques de la FnAK, bulletin de liaison du réseau d’accueil des chercheurs érangers en France, n° 18.


Article extrait du n°47-48

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 24 avril 2014, 16:12
URL de cette page : www.gisti.org/article4608