Article extrait du Plein droit n° 71, décembre 2006
« Histoires de mobilisations »

Des fichiers pour gérer, contrôler, surveiller les étrangers

Danièle Lochak

On a dressé ici une liste des principaux fichiers destinés à la gestion, au contrôle et à la surveillance des étrangers. Non seulement cette liste n’est pas exhaustive, mais bien d’autres fichiers de police – à commencer par le STIC (système de traitement des infractions constatées) – sont également consultés dans ce même but [1].

Les fichiers nationaux

Le fichier ADGREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France). Prenant la suite d’un fichier créé en 1982 et qui centralisait toutes les données nécessaires à la fabrication des titres de séjour, il a été créé en 1993 pour répondre à des finalités plus larges : améliorer la gestion administrative des dossiers des étrangers, lutter contre la fraude en fiabilisant la fabrication des titres de séjour, lutter contre l’immigration clandestine en vérifiant la régularité du séjour en France, établir des statistiques, enfin. Il contient plusieurs millions de fiches (3,5 millions d’étrangers fichés en 2001). Il rassemble l’ensemble des informations administratives concernant les étrangers : état civil, numéro d’identification, adresse, filiation, situation familiale, conditions d’entrée en France (entrée régulière ou irrégulière, regroupement familial…), situation professionnelle, nature et durée de l’autorisation de séjour, refus de séjour éventuel, mesures d’éloignement, contentieux en cours… Il ne peut pour le moment intégrer les données biométriques (photographie, empreintes digitales). Ont accès aux informations contenues dans le fichier les préfectures, les magistrats de l’ordre judiciaire, les services de police et de gendarmerie pour vérifier la régularité du séjour mais aussi les organismes de sécurité sociale lorsque le bénéfice des prestations est subordonné à la régularité du séjour. Les agents des préfectures sont autorisés à consulter simultanément le fichier des personnes recherchées (FPR) (voir ci-après).

  • Le fichier des personnes recherchées (FPR). Actuellement régi par un arrêté du 15 mai 1996 modifié en 2005 et géré par le ministère de l’intérieur et le ministère de la défense, il recense toutes les personnes faisant l’objet d’une mesure de recherche administrative ou judiciaire. Il est divisé en plusieurs sous-fichiers qui regroupent les individus concernés en fonction du fondement juridique de la recherche. Plusieurs catégories d’informations intéressent de façon spécifique les étrangers : « police générale des étrangers », « opposition à résidence en France », « opposition à entrée en France », « interdiction du territoire », « étranger recherché en vue de son extradition »… Le fichier comprend entre 280 000 et 450 000 fiches (chiffres fournis respectivement par un rapport remis au ministre de l’Intérieur en novembre 2006 et sur le site de la Cnil). Il est relié au SIS (voir plus loin) qu’il permet d’alimenter automatiquement, et il est systématiquement consulté lors des demandes de délivrance des titres de séjour simultanément avec l’ADGREF.
  • Le fichier des empreintes digitales des étrangers. La loi Debré de 1997 avait autorisé le relevé des empreintes digitales des étrangers qui, soit sollicitent la délivrance d’un titre de séjour, soit sont en situation irrégulière en France, soit encore font l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire français. Cette possibilité de fichage est actuellement prévue à l’article L. 611-3 du CESEDA. Le fichier n’est toujours pas opérationnel pour des raisons techniques et budgétaires. La loi Sarkozy de 2003 a inclus la photo parmi les données mises en mémoire et étendu le fichage aux demandeurs de visas (voir ci-après).
  • Le fichier des ressortissants étrangers sollicitant la délivrance d’un visa. La loi Sarkozy de 2003 a prévu que peuvent être relevées et mises en mémoire les empreintes digitales et la photo des étrangers qui sollicitent la délivrance d’un visa, et que ces mêmes données doivent être mises en mémoire lorsque le visa est accordé (art. L. 611-6 du CESEDA). L’objectif est de lutter contre les fraudes documentaires et les usurpations d’identité et d’améliorer la vérification de l’authenticité des visas et de l’identité des étrangers lors des contrôles aux frontières. Le fichier a été mis en service à titre expérimental sur le fondement d’un décret du 25 novembre 2004. Il s’agit, surtout, de mettre en place, dans le cadre français, un fichier qui sera connecté par la suite au VIS (voir plus loin).
  • Réseau Mondial Visas 2 (RMV 2). Créé en 2001 au ministère des affaires étrangères, ce traitement automatisé a pour finalité l’instruction des demandes de visas par les consulats, en permettant l’échange d’informations avec le ministère de l’intérieur et les autorités des États Schengen. Il centralise une série de fichiers : fichier des demandes, délivrances et refus de visas, fichier des « répondants signalés » (personnes qui accueillent les demandeurs de visa lors de leur séjour en France), fichier des titres de voyage, fichier des interventions, fichier central d’attention (signalements aux fins de non admission), etc. L’application permet l’interrogation systématique du SIS.
  • Le fichier de gestion des demandeurs d’asile (Inerec). Créé en 1990 pour permettre à l’Ofpra de gérer les demandes d’asile, il permet l’échanges d’informations avec les préfectures et le ministère de l’intérieur sur la situation des demandeurs d’asile. La base contient environ un million d’identités.
  • Le fichier dactyloscopique des demandeurs d’asile. Ce fichier a été créé en 1989, afin de repérer les fraudes, c’est-à-dire le dépôt de plusieurs demandes sous des identités différentes – et donc d’identifier les demandeurs, à défaut de pouvoir définir leur identité. Il a été remplacé en 1995 par un fichier permanent inséré dans le système Eurodac (voir plus loin) destiné à permettre la comparaison des empreintes digitales des demandeurs d’asile avec l’ensemble des pays de l’Union européenne. Le fichier contient les empreintes d’environ 450000 personnes.
  • Le fichiers des hébergeants. La mise en mémoire et le traitement automatisé des demandes de validation des attestations d’accueil ont été autorisés par la loi Sarkozy de 2003 (art. L. 211-7 du CESEDA) et organisés par le décret du 2 août 2005. Il appartient donc à chaque maire d’en décider la création dans sa commune. Les catégories de données enregistrées concernent à la fois l’hébergeant (identité, date et lieu de naissance, nationalité, adresse, données relatives à la situation financière, données relatives aux attestations d’accueil antérieurement signées par l’hébergeant…), la personne hébergée et le logement (caractéristiques : surface habitable, nombre de pièces habitables, nombre d’occupants, droits de l’hébergeant sur le logement : propriétaire, locataire ou occupant).
  • Le fichier ELOI. Créé par un arrêté du ministre de l’intérieur en juillet 2006, il vise à « faciliter l’éloignement des étrangers se maintenant sans droit sur le territoire par la gestion des différentes étapes de la procédure d’éloignement ». Il contient des données relatives à l’étranger en situation irrégulière (y compris des indications concernant ses enfants), à l’hébergeant chez qui l’étranger en situation irrégulière est assigné à résidence, aux visiteurs de la personne placée en rétention administrative. On apprend, en lisant le rapport remis au ministre de l’intérieur en novembre 2006 (voir note), qu’il existait déjà un fichier de suivi des personnes faisant l’objet d’une rétention administrative, créé en 1994 et géré par la gendarmerie, qui devra être détruit lorsque le fichier ELOI sera opérationnel. Ce rapport donne aussi des précisions sur le fichier ELOI : celui-ci comporte en fait deux applications : SUEDEE (suivi des étrangers devant être éloignés) et SIRSEI (système d’information en réseau du suivi des étrangers incarcérés), et lorsque le préfet prend un arrêté de reconduite à la frontière, un dossier SUEDEE est établi et envoyé au centre de rétention administrative pour remplir notamment la rubrique « visite » qui permet d’identifier tout visiteur de l’éloigné.

Les fichiers européens

Eurodac. Créé par le règlement du 11 décembre 2000, pour accompagner la mise en œuvre du règlement Dublin II – qui vise à déterminer l’État responsable d’une demande d’asile – , il mémorise les empreintes digitales des demandeurs d’asile mais doit intégrer également les empreintes des étrangers entrés irrégulièrement ou en situation irrégulière sur le territoire d’un État.

  • Le SIS (système d’information Schengen). Ce fichier, créé pour la mise en œuvre de la Convention d’application des accords de Schengen (1990) et commun à l’ensemble des États membres de l’espace Schengen, a pour objet de centraliser et de faciliter l’échange d’informations détenues par les services chargés de missions de police. Il est composé d’un système central installé à Strasbourg (C-SIS) et de systèmes nationaux (N-SIS) implantés dans chaque pays. Chaque État partie est responsable de la partie nationale du fichier, à laquelle les autres États accèdent à travers le système central. Figurent notamment dans le SIS les personnes recherchées aux fins d’extradition, les étrangers « indésirables » dans l’un des États parties, des personnes disparues, des témoins et personnes citées à comparaître, des personnes fichées aux fins de surveillance discrète. En pratique, la plupart des signalements concernent des ressortissants de pays tiers et la quasi-totalité des personnes interpellées sur la base d’un signalement Schengen sont des étrangers. En 2003, la partie française du SIS contenait environ 1,3 millions de signalements concernant des personnes (la base intègre aussi le signalement de véhicules ou d’objets). La mise en place d’un nouveau système, le SIS II, comportant d’autres catégories de signalement et intégrant des données biométriques, était annoncée pour 2006 mais a été reportée, vraisemblablement à 2008.
  • Le VIS (système d’information sur les visas). Sa création a été décidée par la décision 2004/512/CE du Conseil, du 8 juin 2004 et un règlement est en préparation. Le nouveau fichier doit permettre l’échange d’informations en matière de visas entre les États membres et faciliter les contrôles aux frontières extérieures, l’application du règlement Dublin II et l’identification et le retour des personnes en situation irrégulière. Les données enregistrées seront notamment : l’autorité à laquelle la demande a été présentée, les noms, sexe, date, lieu et pays de naissance, la nationalité, le type de visa demandé, les coordonnées de l’hébergeant, la photographie et les empreintes digitales du demandeur. Sera également consigné le sort réservé à la demande : refus, délivrance, annulation ou retrait, etc.
  • Le SIE (système d’information Europol). Europol (office européen de police), a été créé en 1995 dans le cadre du 3e pilier (Justice et affaires intérieures) pour lutter contre la drogue. Son champ de compétence a été progressivement étendu et couvre désormais vingt-cinq types d’infractions, dont la lutte contre le trafic de stupéfiants, la traite des êtres humains, les filières d’immigration clandestine, le terrorisme. À cette fin, Europol doit faciliter l’échange d’informations entre les États membres et gérer des recueils d’informations informatisés. Le système d’information d’Europol contient un ensemble de données à caractère personnel relatives à des personnes soupçonnées d’avoir commis ou de commettre une infraction. Ces informations sont directement accessibles en consultation par les Officiers de liaison Europol (OLE) et les services de police nationaux.




Notes

[1Principales sources utilisées : – Dictionnaire permanent de droit des étrangers, Étude « fichiers informatiques » ; – Sur le site de la CNIL, la rubrique « les principaux fichiers en fiche » www.cnil.fr/index.php?id=1803 – Rapport du Groupe de travail sur les fichiers de police et de gendarmerie, remis au ministre de l’intérieur en novembre 2006 (à paraître à la Documentation française).


Article extrait du n°71

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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