Article extrait du Plein droit n° 39, juillet 1998
« Une vieillesse illégitime »

À Grenoble, l’opération Terray

Gilles Desrumaux

Responsable de l’Office Dauphinois des Travailleurs Immigrés (ODTI)

Sortir de l’insalubrité...

Comment sortir « par le haut » d’une situation d’insalubrité dans un immeuble proche du centre ville de Grenoble ? L’opération « Terray » est une bonne illustration de ce que peuvent faire les associations lorsqu’elles font converger leurs savoir-faire et leur volonté sur un projet concret pour le faire aboutir.

En 1989, les soixante locataires de l’immeuble du 7, rue Alphonse Terray cessent de régler leur loyer du fait de la dégradation forte de leur habitat et de l’état d’abandon dans lequel le laissent ses propriétaires. Malgré une enquête d’insalubrité engagée par la Ville de Grenoble, un arrêt d’insalubrité rendu par le préfet en 1992, un décès intervenu du fait du froid, les propriétaires refusent d’effectuer les travaux de salubrité et de sécurité nécessaires.

Or, les résidents forment une population marquée par le vieillissement et la précarité : sur les 57 occupants légaux qui sont recensés en 1994, 84 % ont plus de 50 ans, 50 % sont chômeurs ou vivent du RMI, 16 % sont retraités, 38 % perçoivent moins de 3 000 francs mensuels.

Fin 1993, interpellé par les habitants, l’Office dauphinois pour les travailleurs immigrés (ODTI) obtient de la Ville de Grenoble l’engagement d’une procédure de péril sur l’immeuble, qui oblige les propriétaires à réaliser les travaux de sécurité, obligation dont ils s’acquitteront de manière très insuffisante.

Le conflit entre alors dans une phase judiciaire : les propriétaires, après une réfection sommaire, assignent les habitants en expulsion pour occupation sans droit ni titre. L’ODTI soutient les locataires au tribunal et le président de l’association « Un Toit Pour Tous » est nommé médiateur par la justice, en vue de trouver une solution négociée au conflit. Il s’appuie sur les compétences d’une agence immobilière à vocation sociale « Territoires » qui formule un projet de relogement des résidents et de réhabilitation de l’immeuble.

En 1995, après de longues tractations avec la famille propriétaire, celle-ci consent à vendre l’immeuble à un bailleur social HLM « l’Opale ».

...et mettre en place un lieu de vie

Une mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage déléguée est confiée aux Services pour l’habitat afin de permettre la réalisation d’une opération de 27 logements à caractère très social et à destination de populations diverses (jeunes, familles, personnes âgées, immigrés isolés).

Dans ce cadre, l’Opale confie à l’ODTI la mission de relogement des occupants de l’immeuble(1) puis la gestion de trois appartements dans l’immeuble du 7, rue Alphonse Terray. Ceux-ci sont répartis sur trois étages, avec ascenseur et équipements prévus pour pouvoir accueillir des personnes pouvant présenter des handicaps physiques.

Chaque appartement de type 4, aménagé pour accueillir trois personnes, dispose d’une cuisine, de sanitaires, d’une pièce commune et d’une chambre individuelle pour chaque personne.

Chacune des trois pièces communes est aménagée en fonction d’une utilisation spécifique : préparation ou prise en commun des repas, lieu d’échange, de rencontre, accueil d’une tierce personne si le besoin s’en fait sentir.

Les trois appartements sont conventionnés en tant que « résidence sociale ». Chaque personne est titulaire d’un contrat de résident. Le montant de la redevance est de 1 450 F. Après déduction de l’APL, le reste à payer pour les personnes ayant les ressources les plus faibles est de 350 F. Une grille d’évaluation de la dépendance a été élaborée pour permettre de recenser nominativement des personnes qui relèvent du projet et qui seraient d’accord pour aller habiter ce lieu de vie.

L’ODTI, qui effectue un suivi régulier des personnes et des appartements, assure deux types de fonctions :

  • des fonctions médico-sociales confiées à un travailleur social de l’association : recensement des personnes et gestion des admissions, suivi des personnes et coordination avec les intervenants médico-sociaux (aide ménagère, infirmière, médecins, assistantes sociales, etc.), évaluation du projet qui est expérimental.
  • des fonctions d’hôte pour, quotidiennement : effectuer les tâches matérielles (repas, ménage, courses, courrier, lavage, repassage, etc.) autant que possible avec les personnes de manière à instaurer des relations d’échanges, de convivialité et d’animation (élaboration de repas en commun, jeux, discussions...) ; être à l’écoute des personnes et veiller aux questions de bien être, d’hygiène, d’alimentation et de santé ; faire le lien avec le travailleur social de l’association quand la situation médico-sociale d’une personne le justifie.

L’objectif de l’ODTI est de mettre en place une structure à caractère expérimental de manière conjointe avec le GRAVE et le CCAS (centre communal d’action sociale) de Grenoble. En fonction des besoins, cette expérience pourra être étendue notamment à d’autres petites unités dans le cadre de la rénovation des foyers de l’agglomération Grenobloise. La question du financement de la gestion adaptée et de l’accompagnement médico-social de ce public dans ce type de logement reste aujourd’hui posée(2).


(1) « Évaluation de l’action de relogement du 7, rue Alphonse Terray à Grenoble », février 1997, ODTI.

(2) Cette présentation du lieu de vie « Terray » est notamment tirée d’un article de Florent Louise, directeur du CHRS de l’ODTI dans la revue Écarts d’identité, n° 80, p 8 à 10, mars 1997.



Article extrait du n°39

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Dernier ajout : vendredi 4 avril 2014, 12:53
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