Article extrait du Plein droit n° 33, novembre 1996
« Des jeunes indésirables »

Un « correspondant nationalité » sur le terrain

Corinne Bouchoux

Enseignante en sciences économiques et sociales

Dans cet établissement situé dans la banlieue sud de Paris et qui compte plus de deux mille cinq cents élèves, la première information menée au printemps 1994 fut « artisanale ». Un chef d’établissement très favorable à cette information, des adjoints intéressés et des conseillers principaux d’éducation pleins de bonne volonté, et un professeur partant dans cette opération servirent de point de départ.

On distribua avec zèle – et parfois quelques maladresses involontaires que seule l’expérience permettait d’appréhender – des feuilles d’information aux « élèves concernés ». Nous nous sommes mis à rechercher, avec ardeur, les élèves nés en France, de deux parents étrangers, et nous sommes aperçus que rien ne nous permettait de les identifier.

Les documents exigés lors de l’inscription, une fiche individuelle d’état civil, par exemple, ne nous renseignent qu’imparfaitement.

A titre expérimental, quatre classes furent, en cours de sciences économiques et sociales, renseignées sur le nouveau code de la nationalité, amenant de vives discussions. Heureusement que notre discipline ne nous conduisait pas à étudier la chimie ou la biologie : ramener ces séances d’information dans le cadre pédagogique aurait été difficile !

Un journaliste du Monde assista à cette information et fit un compte rendu dans une édition du quotidien en septembre suivant. Ce coup de projecteur sur le lycée amena des confrères journalistes à venir, eux aussi, aux nouvelles, ce qui ne manqua pas de susciter une certaine irritation chez quelques jeunes concernés par tant de sollicitude soudaine. Cette couverture médiatique tranchait avec le caractère modeste et artisanal de notre première information.

Bonnes intentions sans moyens

A la rentrée 1995, en septembre, outre ce mini tohu-bohu, arrivait, à la direction de l’établissement, un nouveau proviseur. D’emblée, il accepta l’idée de poursuivre l’action engagée. De nouveaux textes mettaient en place un « correspondant nationalité » dans chaque collège et lycée. Un texte ambitieux et clair : le « correspondant » doit informer les élèves concernés et les acteurs de l’établissement. Il peut également aider les élèves dans leurs démarches administratives.

Regrettons, au passage, que le proviseur n’ait pas l’obligation de nommer un correspondant et qu’aucun moyen ne soit octroyé. Un texte incitatif au premier abord, en réalité non obligatoire et dépourvu de crédits. Un vœu pieux, en quelque sorte !

Et dans les faits ? Une enquête téléphonique menée auprès d’établissements de la banlieue sud fait ressortir que, dans la majorité d’entre eux, aucune information n’est donnée, officiellement du moins. Pourquoi ? Manque de temps, de priorité, de moyen et… de bonnes volontés !

Dans notre lycée, nous avons mené en 1994-95 une action bénévole en assurant une information auprès de vingt-cinq élèves venus par « radio couloir » solliciter des conseils. Mais il a fallu aussi assurer une permanence, anonyme et gratuite, et améliorer nos compétences : plus de la moitié de nos interlocuteurs n’étaient pas nés en France et ne rentraient pas dans le cadre des nouvelles dispositions. Un travail passionnant, riche en contacts et discussions, qui nous a permis de réaliser que la tâche de correspondant répond à une réelle demande. Mais il nous est aussi apparu qu’outre des compétences juridiques et techniques précises, il fallait une pédagogie à toute épreuve et un sens de la psychologie hors pair.

Durant l’année scolaire 1995-96, l’information s’institutionnalise et l’amateurisme recule un peu : la direction nous offre un casier (!) et l’administration, en accord avec la direction, paye deux heures par mois pour informer les élèves. Une fois par mois, à l’heure du déjeuner en changeant régulièrement de jour, est donc organisée une permanence d’une heure et demie, la dernière demi-heure permettant de voir des élèves individuellement et d’organiser la permanence.

Quel bilan peut-on en tirer ? Le début a été lent (Vigipirate à l’automne, grèves des transports en décembre…). Le rythme a été trouvé en janvier 1996.

Nous avions, au préalable, étudié les fiches de tous les élèves afin de cerner le « public » potentiellement concerné, deux cents élèves au maximum. Pour le moment, une cinquantaine d’élèves ont été vus, mais la moitié ne relève pas de cette réforme ! Moralité : le correspondant nationalité travaille dans le flou ; il a du mal a débusquer les élèves nés en France de parents étrangers, mais il suscite par contre une demande chez des jeunes nés à l’étranger.

Que faudrait-il faire ?

  • Former sérieusement les correspondants nationalité.
  • Réunir les correspondants de chaque académie deux fois par an : une fois à la rentrée, une fois en juin.
  • Donner au correspondant nationalité un crédit annuel d’heures en fonction de la taille de l’établissement et de l’acuité du problème.
  • Former tous les enseignants avec une réunion obligatoire d’une heure.
  • Former tous les personnels de direction actuels et futurs.

La mission du correspondant nationalité est fondamentale et son institution nous semble, à l’usage, une bonne idée. Mais si on veut lui donner un rôle, encore faut-il lui en donner aussi les moyens. Et là, il est question de logistique. Les exigences de la démocratie (car il s’agit de former des citoyens) s’accommode mal avec l’austérité budgétaire. Notre expérience montre cependant qu’avec de la bonne volonté, on peut fonctionner, à condition que l’intendance suive.



Article extrait du n°33

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Dernier ajout : vendredi 21 mars 2014, 19:19
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