Édito extrait du Plein droit n° 95, décembre 2012
« Des familles indésirables »

Naturalisation : encore une promesse non tenue

ÉDITO

Le candidat Hollande ne nous avait assurément pas abreuvés de promesses en matière de politique d’immigration. Nos attentes n’étaient donc pas immenses. Nous avions quand même retenu qu’il n’y aurait plus d’enfants en rétention, qu’on en finirait avec les contrôles au faciès, que les résidents étrangers obtiendraient le droit de vote. Six mois plus tard, on se prend à douter de la réalité de ces bonnes intentions.

Restait malgré tout l’accès à la nationalité française que le ministre de l’intérieur avait, très tôt après son entrée en fonction, déclaré vouloir faciliter, avec un objectif somme toute modeste : « retrouver les chiffres qui étaient ceux d’il y a deux ou trois ans ».

De fait, la baisse du nombre annuel des naturalisations, dont s’est flatté Claude Guéant et qui est due pour l’essentiel à la hausse du taux de décisions défavorables, est spectaculaire comme le montrent les chiffres officiels reproduits dans le récent rapport Mennucci sur l’accès à la nationalité française [1]. Ce taux, qui variait entre 20 et 25% entre 2000 et 2005, est passé à 32% en 2009, 35% en 2010 et 53% en 2011. Le nombre de décisions défavorables a dépassé cette année-là celui des décisions favorables et la tendance s’est maintenue au premier semestre 2012.

Non contents de maîtriser les flux migratoires, les préfectures et le gouvernement de « l’ère Sarkozy » ont donc entrepris de « maîtriser » l’accès à la nationalité française : des milliers de personnes qui remplissent manifestement les conditions pour devenir françaises se voient aujourd’hui refuser cet accès sans vraiment en comprendre les raisons. Ces raisons, on les trouve en fait dans les « fiches pédagogiques » élaborées par la Daic (direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté) à l’intention des agents des préfectures et restées confidentielles jusqu’à ce que leur contenu soit révélé par le rapport Mennucci.

Au-delà des chiffres, l’analyse des motifs de rejet est consternante [2] : situation irrégulière remontant à des lustres ; hébergement dans le passé d’un conjoint en situation irrégulière alors même, au surplus, que les membres de la famille ne sont pas visés par le délit d’aide au séjour irrégulier ; non-paiement ou retard dans le paiement de tel ou tel impôt alors qu’il s’agit de litiges mineurs et anciens avec le fisc qui ont donné lieu à régularisation… voire à la reconnaissance par le fisc lui-même de sa propre erreur. À cela s’ajoutent les réponses jugées « mauvaises » aux questions insidieuses posées au cours de l’entretien dit d’assimilation et qui visent à piéger exclusivement les postulants musulmans ou supposés tels : « que pensez-vous de l’interdiction du port du foulard à l’école ? », « des horaires réservés aux femmes dans les piscines publiques ? », « voyagez-vous sans votre mari ? »

La circulaire du 16 octobre 2012 risque d’être très insuffisante pour endiguer cette dérive. Une simple circulaire ne pouvait certes abroger le système résultant des textes législatifs et réglementaires. Mais rien, à sa lecture, ne permet de penser que le gouvernement envisage de réformer fondamentalement le dispositif mis en place par ses prédécesseurs : ni la compétence des préfectures, ni le mode d’appréciation de la connaissance du français par voie de tests, qui rehausse mécaniquement le niveau des exigences linguistiques requises et renchérit le coût de la naturalisation, ni l’obligation de connaître l’histoire, la culture et la société françaises, ni celle d’adhérer aux principes et valeurs essentiels de la république. Les assouplissements proposés, dont la plupart figuraient déjà dans une circulaire du 12 mai 2000 sont limités : ne pas écarter systématiquement de la naturalisation des personnes momentanément au chômage ou titulaires d’un CDD, ou réserver un « examen attentif » aux demandes émanant de jeunes entrés en France avant l’âge de quinze ans et y ayant suivi une scolarité d’au moins cinq ans ; ne plus considérer les périodes passées en séjour irrégulier comme un critère conduisant à refuser systématiquement la naturalisation (l’adverbe « systématiquement » laisse malgré tout augurer qu’on continuera à trouver des refus motivés de cette façon). Il n’est rien dit en revanche du motif si fréquemment utilisé à l’appui des décisions d’ajournement : le fait d’avoir hébergé des proches, ou même son conjoint, en situation irrégulière des années auparavant.

Pour vérifier le degré de connaissance de la société française et des droits et devoirs conférés par la nationalité française, le questionnaire à choix multiples est abandonné mais on prévoit d’en revenir à la forme classique de l’entretien. Est-ce un progrès ? On peut en douter quand on se rappelle que c’est sur la base de ce système qu’on a pu ajourner une demande au motif que le postulant – appariteur dans une université – n’avait pas su donner une définition acceptable des mots « démocratie » et « laïcité ».

Ne faut-il pas aussi s’inquiéter quand on lit dans la circulaire que « les difficultés rencontrées par certaines personnes pour conserver une activité, le recours récurrent aux systèmes d’assistance ou de longues ou fréquentes période d’inactivité » traduisent non seulement une insuffisance d’insertion professionnelle mais… un défaut d’assimilation justifiant l’ajournement ? On brouille ainsi la distinction observée jusque-là entre assimilation et autonomie matérielle.

Le texte reste fondamentalement empreint de l’idée que la nationalité française est une faveur qui se mérite, à l’opposé de l’intention annoncée d’en ouvrir plus largement l’accès.




Article extrait du n°95

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Dernier ajout : jeudi 20 avril 2023, 18:29
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