action collective
OSCAR ou le déni de citoyenneté européenne des Roms
La Résolution adoptée le 7 septembre par le Parlement européen sur la situation des Roms et la libre circulation des personnes dans l’Union européenne renforce considérablement la vague de protestations déjà exprimées, en France et à l’étranger, contre la campagne xénophobe menée par le gouvernement français contre les Roms.
S’agissant particulièrement du fichage biométrique des Roms, la Résolution « souligne que le relevé des empreintes digitales des Roms expulsés est illégal et contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [...], aux traités et au droit de l’Union européenne [...], et qu’il constitue une discrimination fondée sur l’origine ethnique ou nationale ».
C’est pourtant précisément ce que la France se propose de faire très prochainement. Certes, le fichier OSCAR, dont la légalité a été contestée devant le Conseil d’État, vise l’ensemble des étrangers susceptibles de bénéficier d’une aide au retour. Mais, en pratique, ce sont majoritairement les Roms, qu’ils soient ressortissants bulgares ou roumains, qui sont visés puisqu’ils représentent 90 % des personnes qui se voient attribuer une aide au retour « humanitaire ». La raison en est simple : les pouvoirs publics ont développé une stratégie consistant, lors de l’évacuation d’un campement de Roms roumains ou bulgares, à leur forcer la main pour qu’ils acceptent l’aide au retour « humanitaire », sous peine d’être placés en garde à vue ou d’encourir des poursuites pénales.
Le fichage biométrique des Roms, qui prend un relief particulier dans le contexte actuel, constitue un déni inacceptable de leur citoyenneté européenne. C’est là une raison supplémentaire et urgente de faire constater l’illégalité du fichier Oscar.
Devant l’imminence de la mise en oeuvre de la biométrie dans le fichier OSCAR, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), l’association Imaginons un réseau Internet solidaire (IRIS) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont demandé le 31 août dernier au Conseil d’État d’accélérer l’instruction de leur recours contre le décret de création de ce fichier. Le GISTI, IRIS et la LDH se félicitent de voir leur requête entendue. Comme l’analysent les associations dans leur note complémentaire, OSCAR représente aujourd’hui un danger immédiat et massif pour les Roms, tout en demeurant un outil de biopolice des étrangers non européens.
Organisations signataires :
- GISTI, Groupe d’information et de soutien des immigrés
- IRIS, Imaginons un Réseau Internet Solidaire
- LDH, Ligue des droits de l’homme
OSCAR, un danger immédiat et massif pour les Roms
Note complémentaire du GISTI, d’IRIS et de la LDH - 21 septembre 2010
Le fichier OSCAR vise l’ensemble des étrangers susceptibles de bénéficier d’une aide au retour dite volontaire (ARV) ou humanitaire (ARH). Toutefois, ce fichage biométrique représente pour les Roms, dans le contexte de la campagne xénophobe conduite depuis cet été par le gouvernement à leur encontre, un danger non seulement immédiat mais également massif. En outre, comme l’indique la Résolution européenne, ce fichage est une atteinte, aggravée par son caractère discriminatoire, au principe de liberté de circulation des citoyens européens dans l’Union.
Ce traitement des Roms comme des citoyens de seconde zone de l’Union européenne a été sciemment anticipé par le gouvernement français, en prévision de l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’UE au 1er janvier 2007.
Une stratégie de déni de citoyenneté européenne
Dès décembre 2006, une Circulaire a prévu, en dehors de tout cadre et fondement légal, la possibilité d’allouer à ces ressortissants européens l’ARH, qui jusque là n’était qu’un dispositif embryonnaire (548 personnes en 2006, 757 du 1er janvier 2007 au 31 août 2007) et exceptionnel. En 2007, un amendement à la loi sur l’immigration autorise le fichage biométrique des bénéficiaires de l’aide au retour déjà prévu par la Circulaire de 2006, donnant une base législative au décret de création du fichier OSCAR.
Les pouvoirs publics ont alors développé une stratégie bien connue consistant, lors de l’évacuation d’un campement de Roms roumains ou bulgares, à leur forcer la main pour qu’ils acceptent l’aide au retour « humanitaire », au risque d’encourir, à défaut, la garde à vue ou même des poursuites pénales.
Alors que rien ne peut empêcher les Roms, sitôt partis, de revenir en France pour une période de 3 mois comme tous les citoyens européens, cette stratégie a été développée car il était devenu juridiquement beaucoup plus difficile pour les services préfectoraux de prononcer à l’encontre des Roumains ou Bulgares, des obligations de quitter le territoire voire des mesures de reconduite à la frontière.
Brice Hortefeux, alors ministre de l’immigration, n’a eu de cesse de présenter ce dispositif d’aide au retour « humanitaire » comme un dispositif d’éloignement forcé « de clandestins » ou de « sans-papiers ». Les statistiques de l’ARH sont dès lors intégrées parmi les indicateurs de la politique du chiffre instaurée par Nicolas Sarkozy. Ainsi, dans une conférence d’octobre 2008, Brice Hortefeux se félicitait d’avoir réalisé l’objectif de 26 000 « reconduites à la frontière » [sic] grâce à la multiplication par quatre en un an du nombre d’aides au retour, passé de 1 760 à 8 349.
Les statistiques officielles de l’aide au retour attestent de cette stratégie : avant le 1er janvier 2007, les ressortissants de Roumanie et de Bulgarie constituaient 25 % du nombre total de migrants irréguliers expulsés. Après l’accession de ces pays à l’UE, le nombre d’ARH a brusquement augmenté, passant de moins de 400 en 2005 et 2006 à près de 3 000 en 2007, plus de 10 000 en 2008 (81 % accordées aux Roumains et 9% aux Bulgares), et plus de 12 000 en 2009 (83 % pour les Roumains et 7 % pour les Bulgares).
Les Roms, cible principale d’OSCAR
Ces statistiques démontrent que l’aide au retour est, de par l’usage qui en est fait pour éloigner collectivement les Roms lors d’évacuation de camps, essentiellement destinée à des Roumains ou des Bulgares.
Depuis le « discours de Grenoble » du président de la République, 979 Roms roumains et bulgares supplémentaires ont été reconduits entre le 28 juillet le 17 août, dont 151 « de manière contrainte » (sur le fondement d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière ou d’une obligation de quitter le territoire français) et 828 « de manière volontaire [sic] », soit 84 %. Dans sa réponse à une question parlementaire, le 14 septembre dernier, le ministre de l’Intérieur se targuait de ce que, depuis le 1er août, 441 « campements illicites » avaient été démantelés. Et lors de sa conférence de presse du 14 septembre, Eric Besson a donné de nouveaux chiffres : « le nombre des retours volontaires connaît une augmentation importante, a-t-il déclaré. Il est passé de 5 250 sur les huit premiers mois de l’année 2009 à 6 020 sur les huit premiers mois de l’année 2010, soit une croissance de 14,7 %. Les retours volontaires en direction de la Roumanie sont les plus nombreux. Les prochains vols affrétés à destination de Bucarest partiront les 14, 16 et 30 septembre prochains ».
Au total, au 30 août 2010, environ 8 000 Roms ont été éloignés du territoire depuis le 1er janvier 2010. On peut donc affirmer sans craindre d’être démenti que dans plus de 80 % des cas seront enregistrés sur OSCAR des données biométriques de citoyens de l’Union européenne, de nationalité roumaine ou bulgare et, selon toute vraisemblance, des Roms.
OSCAR ne concernera que de manière très marginale les citoyens des autres pays de l’Union européenne. En effet, sur les 566 citoyens européens majeurs d’une autre nationalité ayant fait l’objet d’une mesure d’éloignement en 2009, la proportion de retour « volontaire » est exactement inverse à celle des Roms, soit 10 % : 88 Néerlandais (dont un seul retour volontaire), 78 Polonais (13 retours volontaires), 63 Espagnols (pas de retours volontaires), 55 Lituaniens, 47 Italiens.
En outre dans la mesure où il est quasiment impossible à un ressortissant d’un pays tiers ayant bénéficié d’une aide au retour de revenir sur le territoire français, faute d’obtention d’un visa, le fichier aura pour usage quasi-exclusif d’entraver la liberté de circulation de Roms roumains ou bulgares ayant déjà fait l’objet d’une aide au retour.
Le gouvernement victime de sa politique perverse
Le gouvernement justifie le développement du fichage biométrique avec OSCAR par la nécessité de lutter contre les personnes bénéficiant plusieurs fois de l’aide au retour. Mais il est victime de sa propre turpitude ! Aucun Rom roumain ou bulgare n’a jamais spontanément sollicité cette aide au retour.
C’est bien le gouvernement qui a organisé, en dehors de tout fondement légal, l’attribution massive de cette aide depuis 2007 en dépêchant des agents du ministère de l’Immigration lors de l’évacuation des camps de Roms. À défaut d’obtenir leur consentement au retour, ces citoyens de l’Union européenne ne peuvent faire l’objet d’un éloignement, sauf dans le cas de trouble à l’ordre public ou de travail sans autorisation dans les trois premiers mois de leur séjour, ou de séjour supérieur à trois mois sans justificatif. Dans ce dernier cas, les ressortissants européens doivent bénéficier d’un délai d’un mois pour organiser leur départ ou contester la décision.
La véritable justification de la création d’OSCAR est donc bien de lutter contre une « fraude » entièrement organisée par une politique gouvernementale de renvoi pseudo-volontaire de citoyens européens en droit de revenir en France même s’ils ont bénéficié de cette aide, compte tenu du principe de liberté de circulation.
Prochaine étape : LOPPSI 2 et nouvelle loi sur l’immigration
Paradoxalement d’ailleurs, la mise en œuvre d’OSCAR aurait pour effet d’entraver cette stratégie de renvoi forcé par l’aide au retour « humanitaire » puisqu’une personne ayant déjà bénéficié de l’aide ne pourra plus se la voir « proposer » au moment de l’évacuation des terrains.
Pour parer à cet « effet secondaire » aussi imprévu qu’indésirable, le gouvernement pris à son propre piège invente à présent de nouvelles manières de « troubler l’ordre public » : « mendicité agressive », « abus du droit au court séjour », ou encore « installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à une personne publique ou privée en vue d’y établir des habitations, comportant de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ».
Ces improbables innovations constituent autant d’amendements aux projets de loi LOPPSI 2 et de loi sur l’immigration, dans un seul objectif : expulser nos concitoyens européens, cette fois en jetant le masque du retour « volontaire » ou « humanitaire », et en économisant le montant de l’ARH.
OSCAR, outil de biopolice des étrangers
OSCAR redeviendrait alors un outil de biopolice des seuls étrangers non européens, que le GISTI, IRIS et la LDH dénoncent tout autant dans leur recours devant le Conseil d’État.
Outre la collecte de données biométriques, dont celles des enfants, au motif rebattu de la lutte contre la fraude, dont la futilité et la disproportion apparaissent ici évidentes au vu des montants alloués, les trois associations contestent en effet l’enregistrement dans le fichier des coordonnées du bénéficiaire dans le pays d’origine, alors même que cette aide au retour est attribuée en un versement unique avant le départ, tant pour l’aide au retour « humanitaire » que pour l’aide au retour « volontaire » à de très rares exceptions près, comme le prescrit la nouvelle Instruction de l’OFII du 15 mars 2010. Sont aussi contestés la durée excessive de conservation de ces données, ainsi que l’enregistrement dans le fichier du numéro AGDREF, ce qui permet le rapprochement entre OSCAR et le fichier des étrangers. Enfin, la finalité statistique du fichier est dépourvue des garanties minimales d’anonymisation et d’agrégation.
Références concernant OSCAR, procédure de recours, dispositif de l’aide au retour, et données statistiques citées disponibles à : http://www.iris.sgdg.org/actions/fichiers.
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