3. Décisions du Conseil constitutionnel (1996, 1998, 2004)

Décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 relative à la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire

Résumé : L’insertion de l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’un étranger au 4° de l’article 421-1 du code pénal relatif aux actes de terrorisme est inconstitutionnelle.

  • L’article 1er de la loi modifiait l’article 421-1 du code pénal qui définit l’acte de terrorisme. Il intégrait parmi les crimes et délits susceptibles de constituer un acte de terrorisme – s’ils sont « commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger définie à l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
    Le Conseil constitutionnel conclut au caractère inconstitutionnel de cette disposition.
    Il souligne que l’article 21 « incrimine non pas des actes matériels directement attentatoires à la sécurité des biens ou des personnes mais un simple comportement d’aide directe ou indirecte à des personnes en situation irrégulière » et que « ce comportement n’est pas en relation immédiate avec la commission de l’acte terroriste ». En outre, il peut de toutes façons entrer dans le champ de la répression de la complicité des actes de terrorisme, de recel de criminel et de la participation à une association de malfaiteurs. Le Conseil constitutionnel ajoute que la qualification d’acte de terrorisme a pour conséquence non seulement une aggravation des peines mais aussi l’application de règles procédurales dérogatoires au droit commun. Le législateur a donc entaché son appréciation d’une disproportion manifeste.
  • Le Conseil constitutionnel a en revanche rejeté la partie de la saisine qui entendait mettre en cause plus largement la conformité à la Constitution de l’article 21. Selon les auteurs de la saisine, « la répression générale, absolue et indistincte de toute forme d’aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière coupe ces derniers, quelles que soient leur détresse et ses causes, de tout contact humain, de toute main tendue, fût-elle celle d’une association de secours social. Les voilà donc, par l’effet de la loi, retranchés de toute relation humaine, voués à contaminer pénalement quiconque se bornerait à simplement tenter de leur venir en aide et, partant, de faciliter même indirectement leur séjour ». En ce qu’il prévoit une répression « générale, absolue et indistincte » de toute forme d’aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière, cet article était contraire, selon eux, au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
    Le Conseil constitutionnel a considéré que les infractions prévues par l’article 21 étaient définies dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire. Cette définition ne met pas en cause le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.


Décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998 relative à la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile (Chevènement)

Résumé : Il n’appartient pas au ministre de l’intérieur d’apprécier la notion de « vocation humanitaire » des associations et de fixer la liste de ces associations pouvant bénéficier de l’immunité pénale.

  • L’article 13 de la loi visait à compléter l’article 21 ter de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relatif à la responsabilité des personnes morales en ajoutant que ces dispositions « ne sont pas applicables aux associations à but non lucratif à vocation humanitaire, dont la liste est fixée par arrêté du ministre de l’intérieur, et aux fondations, lorsqu’elles apportent, conformément à leur objet, aide et assistance à un étranger séjournant irrégulièrement en France ».
    Le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les mots "dont la liste est fixée par arrêté du ministre de l’intérieur". Cette disposition fait en effet dépendre le champ d’application de la loi pénale de décisions administratives, « en soumettant à l’appréciation du ministre de l’intérieur la vocation humanitaire des associations, notion dont la définition n’a été précisée par aucune loi et de la reconnaissance de laquelle peut résulter le bénéfice de l’immunité pénale en cause ». Ladite disposition porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines et méconnaît l’étendue de la compétence que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution. Compte tenu de l’inséparabilité des termes inconstitutionnels des autres dispositions de l’article 13 de la loi, c’est tout l’article qui a été déclaré contraire à la Constitution.
    Le Conseil a en outre rappelé qu’il appartient au juge, conformément au principe de légalité des délits et des peines, d’interpréter strictement les éléments constitutifs de l’infraction définie par l’article 21, notamment lorsque la personne morale en cause est une association à but non lucratif et à vocation humanitaire, ou une fondation, apportant, conformément à leur objet, aide et assistance aux étrangers (principe figurant déjà dans sa décision de 1996 ci-dessus).


Décision n° 2004-492 DC du 02 mars 2004 relative à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (loi Perben II)

Résumé : le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers.

  • L’article 1er de la loi Perben II soumet le délit d’aide à l’entrée, à la circulation, et au séjour irrégulier d’un étranger à des règles de procédure spécifiques (enquête, garde à vue, perquisitions, instruction, jugement…) lorsqu’il est commis en bande organisée.
    Les auteurs de la saisine soutenaient notamment que la liste des infractions retenue par l’article 706-73 du code de procédure pénale comme relevant de la criminalité organisée méconnaissait les principes de nécessité et de légalité des délits et des peines ainsi que le droit au recours qui résulte de l’article 16 de la Déclaration. Si certaines infractions (trafic de stupéfiants, proxénétisme aggravé, traite des êtres humains, terrorisme) relèvent de la criminalité organisée au sens criminologique du terme, tel n’était pas le cas selon eux de l’aide à l’entrée et au séjour d’un étranger en situation irrégulière.
    Pour rejeter le grief, le Conseil affirme que le concept de « bande organisée » est défini d’une façon qui n’est ni obscure, ni ambiguë par l’article 132-71 du code pénal (« tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions »). Il émet toutefois une réserve d’interprétation en précisant que « le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers ; que, de plus, s’applique à la qualification d’une telle infraction le principe énoncé à l’article 121-3 du même code, selon lequel il n’y a point de délit sans intention de le commettre ».

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Dernier ajout : mercredi 18 juillet 2018, 16:40
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