Collectif Droit au Compte

Lettre ouverte aux députés pour l’effectivité du droit au compte bancaire

Madame, Monsieur le député,

Nous avons pris connaissance du projet de loi de modernisation de l’économie prochainement en discussion à l’Assemblée Nationale, et en particulier de la partie sur l’accessibilité bancaire.

Les associations signataires de ce courrier constatent, justement, de nombreux dysfonctionnements relatifs à l’accès à un compte bancaire des populations précaires, notamment au regard de leur situation administrative.
Or, à l’heure où tout salaire, toute prestation sociale ne peut être versés que sur un compte, à l’heure où tous les paiements quotidiens doivent être effectués par chèque, carte de paiement, virement bancaire, il est indispensable d’être titulaire d’un compte de dépôt.

Nous constatons que nombreux sont ceux qui se voient exclus de cette possibilité, et notamment les étrangers, en situation régulière ou non.

Des exigences abusives et des refus injustifiés

Alors que les textes sont clairs, l’article R 312-2 du code monétaire et financier prévoyant notamment que « Le banquier doit, préalablement à l’ouverture d’un compte, vérifier le domicile et l’identité du postulant, qui est tenu de présenter un document officiel portant sa photographie. Les caractéristiques et les références de ce document sont enregistrées par le banquier. »
Toute personne domiciliée en France devrait donc n’avoir à produire qu’un document d’identité, une adresse et sa signature afin de pouvoir prétendre à l’ouverture d’un compte de dépôt. Aucun autre document ne devrait être exigé d’aucun établissement bancaire.

Or nos associations constatent que ce droit est quotidiennement bafoué : les banques refusent les passeports et cartes d’identité émis par les pays d’origine et exigent comme preuves d’identité des titres de séjour. Certains de ces titres de séjour sont refusés au motif qu’ils sont d’une durée trop brève, ou qu’ils sont précaires, ou qu’ils ne sont plus en cours de validité. Les attestations de domiciliation administrative ou associative sont tantôt refusées, tantôt à l’inverse exigées.
Ajoutons que la Banque Postale, qui est souvent sollicitée, n’ouvre pas de compte courant aux étrangers mais des Livrets A, lesquels ne comportent pas d’autres services que le dépôt et le retrait d’argent, et en particulier ne proposent pas de moyens de paiements. Plus victimes encore que les autres étrangers de ces exigences abusives et de ces exclusions, les demandeurs d’asile, SDF, apatrides et gens du voyage se voient même refuser l’accès à une carte de retrait.
Les jeunes majeurs (18-20 ans) se voient refuser l’ouverture d’un compte au motif qu’ils sont mineurs dans leur pays d’origine (pour certains pays) alors qu’ils sont considérés comme majeurs en France pour tout le reste.

La privation de fait des voies de recours prévues par les textes

Si les banques peuvent bien entendu refuser l’ouverture d’un compte il n’en reste pas moins que toute décision bancaire doit faire l’objet d’une notification écrite, en particulier si elle est négative.
Or, il apparaît que les banques opposent des refus verbaux, ou « refus-guichets », et la plupart du temps ne délivrent pas d’écrits aux populations précaires, ce qui les empêche de faire exercer leurs droits. Le droit au compte, droit qui existe depuis la Loi bancaire de 1984, modifiée en 2006, et n’est donc pas une nouveauté, est ainsi régulièrement violé. .

En effet, le code monétaire et financier prévoit (dans son article L 312-1) que si une banque notifie un refus (écrit, bien sûr !) à une personne demandant l’ouverture d’un compte, cette dernière peut saisir la banque de France afin que soit désigné un établissement bancaire qui lui ouvrira un compte si elle n’en possède pas déjà un. Le texte précise même que le compte ainsi ouvert doit comporter 12 services bancaires dits « de base », gratuit

Un projet de réforme qui n’apporte pas de réponse satisfaisante aux problèmes constatés

Le projet de Loi de modernisation de l’économie ne remet pas en cause le droit inscrit dans la loi, mais ne propose, pour renforcer ce droit, qu’une simple charte d’accessibilité bancaire aux fins d’assurer l’effectivité du droit au compte. L’appellation même de « charte » ne laisse pas présager que les banques seraient sanctionnées en cas de non respect du droit pourtant réaffirmé !

Les associations signataires de ce courrier demandent aujourd’hui que les textes soient respectés, que le droit au compte soit effectivement appliqué et même sensiblement amélioré. Elles souhaitent en effet rappeler que toute personne domiciliée en France a droit à l’ouverture d’un compte de dépôt, quelle que soit sa situation administrative ou financière, si elle n’en possède pas déjà un, et ce dans l’établissement bancaire de son choix.

Les établissements bancaires devraient donc, sous peine de sanctions :

  • ouvrir un compte de dépôt à toute personne qui en fait la demande et qui n’en possède pas déjà un, et qui est munie des documents mentionnés dans les textes,
  • notifier les refus par écrit afin que les personnes concernées puissent faire exercer leur droit au compte.

La Banque de France doit se voir doter des moyens nécessaires lui permettant d’obliger les établissements bancaires à respecter les procédures d’accès au droit au compte.

La « charte » évoquée dans le projet de Loi est gravement insuffisante si elle ne prévoit pas la possibilité pour la Banque de France de faire respecter ses décisions et de sanctionner les établissements bancaires qui ne se conformeraient pas à la loi.

Il nous semble – et l’expérience passée le confirme – qu’un article de loi sur ce sujet, aussi précis soit-il, ne saurait comporter des aspects suffisamment contraignants pour que soit pleinement garanti le droit au compte. Il faut lui adjoindre des textes d’application rigoureux.

Les associations signataires vous invitent à améliorer le texte,

  • d’une part en donnant plus de pouvoir à la banque de France dans la procédure de droit au compte,
  • d’autre part en mettant en place de réelles sanctions pour les établissements bancaires qui ne rempliraient pas la mission d’accessibilité bancaire dans toutes ses dimensions,
  • enfin en insistant pour que la loi actuellement discutée prévoie des textes d’application, afin que soit rendu effectif le droit au compte pour tous.
  • les associations refusent l’idée même d’établissements bancaires « dédiés » vers lesquels toute personne dite « précaire » serait orientée afin d’avoir accès à un compte bancaire.

De plus nous vous invitons à commanditer une véritable enquête nationale sur l’accessibilité bancaire.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur le député, l’expression de nos salutations distinguées.

Paris le 3 Juin 2008

Signataires :
ATMF, Cimade, Copaf, Creops, Dom Asile, Emmaüs France, Fapil, Femmes de la Terre, Fnasat, Gisti, Secours Catholique.

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Dernier ajout : mercredi 4 juin 2008, 10:37
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