Édito extrait du Plein droit n° 121, juin 2019
« Frontières d’ailleurs »

Le droit à la scolarisation pour les nuls... du ministère

ÉDITO

Il n’y a pas toujours lieu de se réjouir des décisions prises par les juges dans le champ de l’asile et de l’immigration. Pour les associations de défense des droits des personnes étrangères qui ont été amenées à construire des stratégies contentieuses et à multiplier les actions judiciaires pour tenter de faire avancer les droits ou éviter qu’ils ne reculent encore, il y a plus de combats perdus que de batailles gagnées. Dans ce contexte, la décision rendue par la cour administrative d’appel de Paris, le 14 mai 2019, fait figure d’exception. Elle a trait à un droit – le droit d’être éduqué et instruit – dont on ne cesse de rappeler la valeur essentielle, à l’occasion de chaque réforme de l’éducation nationale ; pourtant dans cette affaire, ce droit était bien mal embarqué.

Un jeune étranger isolé de 16 ans, écarté d’une prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) au motif qu’il serait majeur, se voit opposer un refus d’affectation dans un établissement scolaire. Une nouvelle double peine… À la rue la nuit, à la rue le jour, sans accès possible à l’éducation et à l’instruction, cet adolescent comme tant d’autres est victime d’une pratique du rectorat de Paris qui, depuis 2015, consiste à lier affectation scolaire et reconnaissance de la qualité de mineur en danger. Dorénavant, ne sont plus scolarisés que les jeunes pris en charge par l’ASE, c’est-à-dire ceux dont cette dernière a reconnu la minorité.

Pour justifier cette pratique, le rectorat et le ministre de l’éducation nationale se bornent à arguer que l’obligation scolaire prenant fin à 16 ans, ils ne sont pas tenus de faire droit aux demandes de scolarisation après cet âge, au mépris de leurs propres instructions, notamment de la circulaire du 2 octobre 2012 indiquant que les affectations sont ouvertes sur la base de l’évaluation du niveau des élèves, sans autre considération ; au mépris encore – mais on y est malheureusement habitué – de la position prise par le Défenseur des droits en 2016 où il dénonce sans ambages les pratiques administratives [1].

Mais la cour administrative d’appel, comme le tribunal administratif avant elle [2], voit les choses autrement : le droit à l’éducation « trouve à s’exercer même dans le cas où l’enfant, âgé de plus de 16 ans, n’est plus soumis à l’instruction obligatoire ». Elle poursuit : « Dès lors la privation pour un enfant de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, est susceptible de porter atteinte à son droit à l’instruction. » Il en résulte que le rectorat est tenu de proposer une affectation à tout jeune de moins de 18 ans, quels que soient sa situation administrative, sa nationalité et son parcours. S’agissant des adolescents allophones, il ne saurait être question pour le rectorat, si l’on entend respecter la valeur constitutionnelle du droit à l’instruction ici rappelé, de se retrancher derrière le manque de places adaptées pour ne pas donner suite aux demandes d’affectation. Ce droit aux fondements divers (Convention internationale des droits de l’enfant, Convention européenne des droits de l’Homme et son premier protocole additionnel, Charte des droits fondamentaux et de nombreux textes issus du droit français) consacre l’accueil obligatoire des adolescent·es, notamment de celles et ceux qui ne maîtrisent pas encore la langue française ou dont le niveau pêche pour intégrer une classe ordinaire.

La Cour prend aussi position sur l’articulation entre refus de prise en charge par l’ASE pour « doute sur l’âge » et droit à l’éducation durant la minorité : « Cette seule circonstance ne faisait pas obstacle à ce que le recteur procède à l’affectation de X dans l’établissement scolaire qu’il estimait le plus adapté à son niveau scolaire compte tenu de ses souhaits et de son cursus. » Pour le juge, il n’entre pas dans les missions du rectorat de vérifier que le jeune est ou non pris en charge comme mineur en danger. Il n’a pas à remettre en cause la minorité déclarée, comme il ne peut davantage tirer conséquence du doute sur l’âge revendiqué par les acteurs de la protection de l’enfance.

Cette décision attendue vient conclure de belle façon le mouvement de protestations d’associations contre les refus de scolarisation des jeunes étrangers isolés, évincés de l’Aide sociale à l’enfance. C’est une « mise au point bienvenue, après le triste spectacle offert par l’éducation nationale, le recteur et le ministère bataillant pendant près de quatre ans à contre-courant de leur mission pour ne pas scolariser un adolescent en grande précarité [3] ». Après cet arrêt à la portée considérable, plus aucun·e adolescent·e ne devrait être privé·e de scolarisation.




Notes

[1Défenseur des droits, Rapport 2016 consacré aux droits de l’enfant. Droit fondamental à l’éducation : une école pour tous, un droit pour chacun, 2016 [en ligne].

[2TA de Paris, jugement du 30 janvier 2018.


Article extrait du n°121

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Dernier ajout : samedi 6 juillet 2019, 16:16
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