www.gisti.org/dossier-noir-des-naturalisations

Le dossier noir des naturalisations

Ce dossier a été mis en ligne pour la première fois en 2012 et complété en 2017.
Sa mise à jour est actuellement en cours.

Pourquoi ce dossier noir ?

Les naturalisations ont toujours été considérées comme une prérogative discrétionnaire du gouvernement, et même la prérogative discrétionnaire par excellence. On dit volontiers qu’il s’agit là d’une « faveur » et non d’un droit. Mais ce pouvoir discrétionnaire n’est pas un pouvoir arbitraire : les conditions de recevabilité de la demande de naturalisation sont énumérées par le code civil et l’administration n’est pas libre de les interpréter à sa guise ; et si elle peut rejeter ou ajourner pour des raisons d’« opportunité » une demande qui remplit les conditions prévues par la loi, elle doit, depuis 1993, motiver sa décision, c’est-à-dire en donner les raisons.

Jusqu’à une époque relativement récente, les flux de naturalisations ont toujours été importants et l’accès à la nationalité française par cette voie restait une perspective plausible pour personnes étrangères, dès lors qu’elles parlaient à peu près correctement le français, n’étaient pas au chômage, gagnaient au moins le SMIC et, bien sûr, n’avaient pas commis de délit grave. Un des obstacles le plus fréquemment rencontré était lié aux exigences en matière d’occupation d’un emploi et de ressources. À cet égard une circulaire du 12 mai 2000 avait préconisé une attitude plus souple, comme la possibilité de prendre en compte les ressources du conjoint, de ne pas écarter par principe les candidats à la naturalisation titulaires de contrats à durée déterminée ou encore de ne pas opposer ces exigences à ceux qui, entrés en France à un très jeune âge, présentaient leur demande alors qu’ils n’étaient pas encore entrés dans la vie active.

Mais dans les années suivantes, la tendance s’est inversée. Ce constat, qui avait conduit à mettre en ligne, en 2012, ce « dossier noir des naturalisations », n’a pas été démenti par la suite.

Le lien entre le droit de l’immigration et le droit de la nationalité, s’il a toujours existé, est devenu encore plus visible, comme le montre la concomitance des réformes de la législation sur l’entrée et le séjour et des réformes du code de la nationalité. Jusqu’alors, toutefois, le législateur avait pris soin de les aborder séparément pour donner une apparence de crédibilité à l’affirmation souvent réitérée que les textes sur la nationalité sont destinés à régir le destin de la communauté nationale et non à réguler les flux migratoires. Les lois adoptées depuis 2003 ne s’encombrent plus de cette précaution formelle : elles incluent couramment des dispositions sur la nationalité dont il ressort que les mêmes préoccupations guident le traitement des questions de nationalité et de police des étrangers. Le rétrécissement de l’accès à la nationalité française va de pair avec la précarisation de la population immigrée. Il n’en résulte pas de réforme d’envergure, comme l’avait été la loi Méhaignerie de 1993, contemporaine de la loi Pasqua ; mais l’addition de mesures ponctuelles finit par dessiner l’orientation générale : créer des obstacles supplémentaires à l’accès à la nationalité française de tous ceux dont on met en doute la bonne foi, qu’on soupçonne de ne pas être intégrables… ou qu’on ne souhaite tout simplement pas intégrer parce qu’ils ne correspondent pas à l’image de l’identité nationale.

Si les modifications législatives les plus visibles ont visé l’acquisition de la nationalité française par mariage et donc les conjoints de Français et si les controverses ont surtout porté, depuis le milieu des années 1980 et à nouveau aujourd’hui, sur l’acquisition automatique de la nationalité française à la majorité en raison de la naissance en France la naturalisation a elle aussi été concernée par les réformes– lesquelles ont à leur tour engendré des pratiques de plus en plus restrictives. Pour remplir la condition d’assimilation, le postulant doit aujourd’hui justifier de sa connaissance non plus seulement de la langue française – dont la vérification se fait désormais par la production d’un diplôme ou d’une attestation, ce qui relève mécaniquement le niveau d’exigence – mais également « de l’histoire, de la culture et de la société françaises […] et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ». Il doit aussi « justifier de son adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République ». Car, comme le rappelle une circulaire de 2012, un candidat à la nationalité française ne peut ignorer « ni l’héritage commun, ni les institutions de la Nation, ni les valeurs du peuple qu’il entend rejoindre ».

Le raidissement se traduit dans les chiffres. En 2012, le ministre de l’Intérieur de l’époque relevait, pour s’en féliciter, que le nombre d’étrangers naturalisés avait chuté de 30 % en 2011 : alors que près de trois quarts des demandes étaient acceptées dans le passé, la majorité d’entre elles était aujourd’hui refusée, précisait-il. En 2023, on a entendu un autre ministre de l’Intérieur tenir le même discours et porter à l’actif du gouvernement la baisse de 30 % en cinq ans du nombre de naturalisations accordées. Ces statistiques, brandies pour donner des gages à la partie de la classe politique et de l’opinion que l’on entend séduire, sont faussées et fantaisistes. Mais si l’on fait abstraction des fluctuations conjoncturelles qui permettent ces manipulations, la baisse du nombre d’acquisitions de la nationalité française sur le moyen et sur le long terme est un fait incontestable.

Au-delà des chiffres, dont la fiabilité et l’interprétation peuvent prêter à controverse, l’analyse qualitative des décisions de rejet est hélas éclairante. Non seulement les conditions posées par la loi sont interprétées de façon extrêmement stricte, mais on est encore plus frappé par l’accumulation de motifs de refus ou d’ajournement contestables ou fallacieux : situation irrégulière remontant à des lustres ; hébergement dans le passé d’un conjoint en situation irrégulière (alors même, au surplus, que les membres de la famille ne sont pas visés par le délit d’aide au séjour irrégulier ; retard dans l’acquittement d’un impôt ou litige mineur et ancien avec le fisc depuis longtemps régularisé.

Le soupçon d’un défaut d’assimilation est quant à lui systématique face aux personnes de culture ou de religion musulmane, suspectées de ne pas adhérer aux valeurs de la République et dont le comportement est scruté à la loupe. Il justifie des interrogatoires intrusifs, lors des entretiens dits d’assimilation, dans la vie privée des personnes concernées pour vérifier que leurs comportements et leur mode de vie ne sont pas incompatibles avec les « valeurs de la société française ».

Le tableau qui ressort des pratiques de l’administration est globalement consternant et certains refus sont tout simplement scandaleux : non contents de maîtriser les flux migratoires, les gouvernements successifs, depuis « l’ère Sarkozy », ont entrepris de « maîtriser » l’accès à la nationalité française, y compris par les méthodes les plus contestables. Des centaines, voire des milliers de personnes qui, de toute évidence, remplissent les conditions d’accès à la nationalité française se voient aujourd’hui refuser cet accès sans bien en comprendre la raison.

Les décisions contestables peuvent prospérer sans réel frein ni contrôle : outre que le juge administratif a toujours laissé une très grande latitude d’action à l’administration dans ce domaine, le contentieux est rare car les personnes concernées hésitent à entamer les recours théoriquement possibles : soit parce qu’un recours hiérarchique devant le ministre aboutit parfois à une décision plus sévère, soit en raison de la durée des instances devant le tribunal administratif de Nantes qui est telle qu’un recours contentieux a peu de chances d’être jugé avant que le délai d’ajournement soit expiré.


Sommaire

I. Condition de résidence habituelle

A. Textes
B. Attaches en France
C. Ressources

II. Condition de moralité et loyalisme

A. Textes
B. Condamnations / trouble à l’ordre public
C. Comportement vis-à-vis des institutions, comportement civique
D. Liens avec le pays d’origine
E. Hébergement d’un proche en situation irrégulière

III. Condition d’assimilation

A. Textes
B. Connaissance de la langue française
C. Connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises
D. Us et coutumes / adhésion aux principes et valeurs essentiels

IV. Documents

A. Généralités sur la procédure de naturalisation
B. Rapports officiels
C. Revue de presse
D. Études et recherches

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 25 avril 2024, 16:21
URL de cette page : www.gisti.org/article2775