C. Études et recherches

Comment un État-nation trace-t-il les frontières de ce qu’il perçoit comme son « identité » ? Pourquoi et comment, pour y parvenir, cherche-t-il constamment à définir son extériorité au travers d’un Autre jugé« inassimilable » ? En revenant sur les origines historiques de l’injonction à l’assimilation dans la procédure de naturalisation, ce livre cherche d’abord à montrer que ces « frontières » sont mouvantes. Celles-ci sont en effet le fruit de facteurs multiples, liés au contexte social et politique aussi bien qu’aux glissements des significations et des usages du concept même d’« assimilation » (des colonies vers la métropole, du discours politique vers le juridique...).

Mais, outre cette dimension historique, ce livre novateur analyse la manière dont l’administration mesure l’« assimilation » des candidats. Grâce à une enquête minutieuse en préfecture qui aura duré deux ans (2006-2007), l’auteur met ainsi en lumière l’invention des critères d’assimilation et les usages administratifs qui en sont faits, également déterminés par la concurrence de logiques administratives distinctes, les pratiques des agents subalternes et la « naturalisabilité » des candidats.

La « vérité objective » de la naturalisation est particulièrement bien révélée par les cas de refus de naturalisation pour « défaut d’assimilation », qui concernent aujourd’hui principalement des femmes et/ou des musulmans. Ces refus soulèvent ainsi les questions du hijab, de la polygamie et de l’« islamisme », qui constituent à l’heure actuelle autant de frontières à la prétendue « identité nationale ».

Au durcissement de la politique de naturalisation observé depuis 2006 s’ajoutent les multiples obstacles administratifs que doit affronter l’étranger qui souhaite devenir français. L’hétérogénéité des pratiques préfectorales, l’arbitraire du processus de sélection des candidats, l’attitude tatillonne de certaines préfectures, toutes ces disparités font craindre que le projet de transférer aux préfectures la décision finale ne marque la fin de l’égalité de traitement en la matière.

  • François Masure, Devenir français. Approche anthropologique de la naturalisation, Presses universitaires du Midi, 2014.

La nationalité française et les voies de son acquisition constituent en France un enjeu politique majeur depuis une vingtaine d’années. Cet ouvrage cherche à saisir ce que signifie être français « par acquisition », à partir de l’expérience qu’en ont ceux qui se soumettent à la naturalisation. Il s’agit ici d’articuler des trajectoires d’étrangers devenus français, ou en passe de le devenir, aux cadres historiques de la constitution de l’État et de son action, dont le droit est un outil essentiel. À quelles logiques et à quels projets la naturalisation répond-elle ? Que faire du passé, des héritages familiaux, culturels et sociaux ? Comment peut-on être français lorsqu’on ne l’est pas de naissance ? Est-on alors un Français comme les autres ? La naturalisation se mérite : le contrôle de son octroi souligne une interrogation sur le mode d’être français. Ce soupçon inaugural ne fait qu’anticiper la future condition : parce qu’il n’est pas possible de dissimuler tous les signes de l’étranger que l’on fut (la « gueule », le nom ou l’accent), l’interrogation récurrente sur « l’origine » signale un Français extra-ordinaire. Cette interrogation sur l’origine révèle les effets de distinction que la naturalisation opère entre Français : ceux qui ne sont que français, qu’on dit aussi « de souche » et qui n’auront jamais à justifier leur nationalité, et ceux qui le sont par acquisition, d’une nature irréductiblement singulière. Effet de distinction qui conduit à repenser les frontières de la nation à la lumière de ses impensés et à entrevoir un groupe paradoxal de « nationaux étrangers ».

  • Sarah Mazouz, La République et ses autres. Politiques de la discrimination et pratiques de naturalisation dans la France des années 2000, Thèse EHESS, 2010.


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Dernier ajout : jeudi 17 mars 2016, 16:10
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