Article extrait du Plein droit n° 1, octobre 1987
« Immigrés : la dérive de l’État de droit »

Les Mauriciens victimes de la rumeur de Nanterre

Début mai 1987, la presse parisienne annonce une vingtaine « d’expulsions » de Mauriciens hors de France. À l’origine une rumeur selon laquelle la Préfecture des Hauts-de-Seine régularisait la situation des ressortissants mauriciens en séjour irrégulier. Que s’est-il réellement passé ?

Entre le 4 et le 11 mai 1987, la ville de Nanterre a vu affluer un nombre important de Mauriciens, 1 200 personnes environ.

Une rumeur s’était en effet propagée parmi eux qu’une opération de régularisation des sans-papiers allait intervenir, et que l’obtention d’un formulaire de contrat de travail, nécessaire pour la demande de papiers, était possible à Nanterre. Quelques-uns, au début, se sont présentés à la Préfecture mais ont été dirigés sur la Direction départementale du Travail et de l’Emploi, où des imprimés leur ont été remis. La rumeur semblait donc confirmée, et elle s’est alors répandue à grande vitesse dans toute la région parisienne.

En effet, les candidats à la régularisation n’ont fait aucune différence entre la simple remise d’un imprimé par l’administration et l’ouverture effective de dossiers d’admission au travail.

En principe, l’administration ne peut refuser à aucun demandeur la remise d’un formulaire nécessaire à la constitution d’un dossier, même s’il est acquis dès le départ que celui-ci n’a aucune chance d’aboutir.

Ce respect des procédures, qui n’est pas la pratique courante de l’administration, est donc à porter au crédit de la DDTE des Hauts-de-Seine. Mais il a eu pour effet, pendant un certain temps, d’entretenir l’illusion d’une possible régularisation, bien que certains fonctionnaires des services aient tenté de détromper les Mauriciens. Il a permis, par ailleurs, de recueillir des informations sur les demandeurs eux-mêmes et sur les emplois qu’ils occupent.

Comment ces informations seront-elles utilisées par l’administration ? Mystère. On peut cependant supposer que, dans la mesure où elles sont exactes, les employeurs qui enfreignent la loi seront contrôlés et éventuellement poursuivis.

L’affaire laisse toutefois perplexe à beaucoup d’égards et amène à se poser plusieurs questions :

– la DDTE devait-elle recevoir les demandeurs et leur donner des formulaires, alors que les étrangers voient normalement leurs demandes de titres instruites au « guichet unique » de la préfecture ? Erreur ou entente avec la préfecture ? Nul ne le sait. Toujours est-il que, parmi les Mauriciens qui se sont présentés à la préfecture, une vingtaine ont fait l’objet d’une procédure de reconduite à la frontière.

Mais il est certain que le préfet n’a pas dû ignorer cette affluence de Mauriciens en séjour irrégulier qui, le lundi 11 mai, formaient une file d’attente, considérable. Et les propos expéditifs tenus ce week-end-là par monsieur Pasqua [1] avaient pu faire craindre le pire. Cependant, à aucun moment ces attroupements n’ont donné lieu à des contrôles de police ;

– par qui cette rumeur a-t-elle été lancée ? Et dans quel but ? Les différents échos recueillis ici ou là désignent tantôt les pouvoirs publics français, tantôt les officiels mauriciens, sans qu’on puisse vraiment établir le rôle exact des uns et des autres dans la propagation de l’information.

Ce qu’on sait par contre avec certitude, c’est que la réunion annuelle de la commission mixte franco-mauricienne s’est tenue à Paris les 24 et 25 mai 1987 et qu’entre autres questions, il y a été évoqué celle de l’insertion de la main-d’œuvre mauricienne présente en France.

D’autre part, le vice-premier ministre de l’Île Maurice, lors de sa récente visite en France est, selon ses propres déclarations, intervenu auprès des pouvoirs publics français pour quelques dossiers de Mauriciens en séjour irrégulier dont il a pu obtenir la régularisation. De là à ce qu’une rumeur de régularisation générale se répande en milieu mauricien, y compris officiel, il n’y avait qu’un pas.

Cette malheureuse opération a permis, encore une fois, de mesurer le caractère éminemment expéditif de la procédure de reconduite administrative instaurée par la « loi Pasqua ». En effet, beaucoup de Mauriciens reconduits vivaient en France depuis plusieurs années et justifiaient parfois de situations familiales et personnelles qui auraient mérité un autre traitement.




Notes

[1« Un charter, c’est trop, disent certains. Mais si demain je dois faire un train, je le ferai ! »


Article extrait du n°1

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Dernier ajout : mercredi 2 avril 2014, 14:15
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