Calais, mars 2017 : Interdiction de la distribution de repas aux exilés
Annulation par le TA de Lille de trois décisions de la maire de Calais
Fin février, les associations avaient alerté le gouvernement ... en vain.
Lettre ouverte au ministre de l’Intérieur et à la ministre du Logement
Calais, le 28 février 2017
Depuis l’évacuation du bidonville de Calais et faute d’avoir mis en place un dispositif d’urgence indispensable d’accueil des exilés dans le Calaisis, nous rencontrons de nombreuses personnes en danger. Elles sont réellement en danger, compte tenu des conditions de vie dans lesquelles elles sont maintenues du fait de l’absence totale du moindre accueil. Les besoins élémentaires ne sont pas pourvus (accès à un abri pour la nuit, à l’eau potable, à la nourriture, aux toilettes…). Nous constatons avec effroi que de nombreux enfants ainsi que de nombreux réfugiés potentiels sont totalement abandonnés et, sciemment, mis en danger par les autorités de notre pays. Les exilés que nous rencontrons souffrent notamment de ne pas pouvoir s’alimenter. Ils ont faim. À défaut d’un dispositif de distribution alimentaire sur un lieu dédié par une organisation opératrice désignée par vos services, nous envisageons donc de recommencer – comme par le passé – à organiser de nouveau une distribution alimentaire de rue. Vous ne pouvez pas continuer à faire « comme si » les réfugiés n’étaient pas présents dans le Calaisis, continuer à nier la réalité, en pensant laisser ce « dossier » à ceux qui vous succéderont… Nous vous demandons une nouvelle fois de revenir sur les décisions qui ont été prises et annoncées et de répondre au respect humanitaire minimal dû à tout individu. Si tel ne devait pas être le cas, nous sommes déterminés à prendre nos responsabilités afin de faire face à la crise humanitaire que nous constatons. |
Signataires :
Le Réveil Voyageur - L’Auberge des migrants - Emmaüs France - Utopia 56 - Salam Nord - Pas-de-Calais - Help Refugees - Refugee Community Kitchen (RCK) - Secours Catholique délégation du Pas-de-Calais
Offensives de la maire de Calais contre les distributions de repas aux migrants
- Arrêté du 2 mars 2017 de la maire de Calais portant interdiction des occupations abusives, prolongées et répétées de la zone industrielle des Dunes
EXTRAITS
Considérant la présence régulière et massive d’individus ou de groupes d’individus sur la zone des dunes aux fins de distribution des repas des migrants ;
Considérant que les occupations abusives, prolongées et répétées de la zone industrielle des Dunes occupations abusives sont de nature à perturber la tranquillité, la salubrité et la sécurité publiques ;
Considérant que les occupations abusives, prolongées et répétées de la zone industrielle des Dunes sont de nature à engendrer des tensions permanentes entre les ethnies en présence et ont déjà dégénéré en rixes impliquant plusieurs centaines de personnes mais également provoqué des incendies et des explosions, tout cela ayant mis en danger l’intégrité des passants et des biens ;
[...] Sont interdites, sauf autorisation particulière, les occupations abusives, prolongées et répétées de la zone industrielle des Dunes.
6 mars 2017 : communiqué de la Maire de Calais La semaine dernière, une présence régulière d’individus a été constatée sur la zone industrielle des Dunes, à des fins de distribution de repas aux migrants. Après avoir été alertée par les usagers du secteur, notamment les chefs d’entreprises, et comme je l’annonçais dans un communiqué le 3 mars dernier, j’ai décidé de prendre un arrêté interdisant tout regroupement sur la zone des Dunes. Cette décision est fondée sur deux raisons. D’une part, éviter de nouveaux troubles à l’ordre public. D’autre part, permettre au Gouvernement de tenir ses propres engagements puisque le Ministre de l’Intérieur, en visite à Calais le 1er mars dernier, a déclaré qu’aucun point de fixation de migrants ne doit exister sur le territoire. Depuis la prise de cet arrêté, il a été constaté que certaines associations procèdent désormais à la distribution des repas sur le périmètre du Bois Dubrulle. Je rappelle d’ailleurs que, par l’intermédiaire des Centres d’Accueil et d’Orientation (C.A.O), les migrants ont la possibilité d’être hébergés, nourris et de pouvoir se doucher. Par ailleurs, un rassemblement d’associatifs et de militants s’est une nouvelle fois constitué sur la Place d’Armes samedi dernier, perturbant ainsi la tranquillité des Calaisiens. Parce que je n’accepterai pas que la population calaisienne soit de nouveau contrainte de subir ces troubles à l’ordre public, et parce que toutes les dispositions nécessaires doivent être prises pour empêcher la création de nouveau points de fixation à Calais, j’ai décidé d’élargir le périmètre de cet arrêté municipal au Bois Dubrulle et à la Place d’Armes. Au moment où nous mettons en œuvre une stratégie marketing et touristique visant à redorer l’image de notre ville et à lui rendre son attractivité, nous ne pouvons tolérer ces agissements. Je réaffirme également que c’est à l’État qu’incombe la mise en place des dispositifs nécessaires à la prise en charge des migrants, en dehors du territoire du Calaisis. |
Arrêté du 6 mars 2017 de la maire de Calais : extension de l’arrêté du 2 mars->
L’arrêté du 2 mars est étendu à deux lieux ciblés par le communiqué :
- Le bois de Dubrulle, lieu où, depuis le 2 mars, les associations avaient déplacé leurs distributions de repas, à côté de la zone des Dunes
- La place d’armes où samedi 25 février puis samedi 4 mars des militants se réunissaient pour un « brin de toilette » en public... "perturbant ainsi la tranquillité des Calaisiens".
Lettre de la maire du Calais refusant d’autoriser les associations à distribuer des repas (9 mars)
Presse
- Alors que le ministre de l’Intérieur était en visite à Calais mercredi, la maire Natacha Bouchart a réagi sur le traitement des migrants
Europe 1, 1er mars 2017
Une opposition ferme à tout dispositif humanitaire.
Mercredi 1er mars, le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux était en visite à Calais. Il a, à plusieurs reprises, répété qu’il n’y aurait "pas de nouveau campement à Calais", poursuivant que tout dispositif d’accueil pour les migrants dans la ville constituerait "une forme d’appel". Et d’ajouter : "Nous n’empêcherons pas la distribution de repas. Mais nous nous opposerons fermement à tout ce qui fait fixation."
La maire "personnellement opposée"
Une position que la maire LR de Calais, Natacha Bouchart, rejette. Comme le révèle La Voix du Nord, cette dernière a soutenu, peu après les déclarations du ministre de l’Intérieur, qu’elle était "personnellement opposée, même si c’est humainement difficile à dire", à tout dispositif humanitaire mis en place dans sa ville, comme les douches fournies par le Secours catholique ou encore les distributions de repas.
- Calais : « Désolé, je ne peux plus vous nourrir à cause d’un arrêté municipal »
Libération, 2 mars 2017 par Haydée Sabéran, correspondante à Lille
Empêcher les humanitaires de nourrir les migrants. C’est l’idée que la maire de Calais a trouvé pour tenter de dissuader les exilés de venir dans sa ville pour tenter de passer la Manche. Natacha Bouchart avait annoncé mercredi un arrêté municipal pour empêcher les distributions. Signé ce jeudi, il n’interdit pas noir sur blanc de donner à manger, seulement la « présence prolongée » dans la zone des dunes. Ça revient au même.
Près des bosquets de cette zone industrielle [...] les associations caritatives distribuent 400 des 500 repas offerts chaque jour aux exilés.
La maire de Calais ne peut plus empêcher les migrant.e.s de se nourrir !
TA de Lille, 22 mars 2017, référé-liberté contre les deux arrêtés de la maire et sa lettre du 9 mars.
Requérants : Care4Calais, Le Secours Catholique, Médecins du Monde, La Ligue des Droits de l’Homme, l’Auberge des Migrants, Utopia 56, Refugee Community Kitchen, La Cabane juridique et le Gisti.
Le tribunal suspend ces trois décisions.
Extraits :
« Les mesures litigieuses qui ont pour effet de priver une population en très grande précarité d’une assistance alimentaire vitale ne sont ni adaptées, ni nécessaires, ni proportionnées au regard du but réalisé » [...] « La maire a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de réunion et, en faisant obstacle à la satisfaction par les migrants de besoins élémentaires vitaux au droit de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants consacré par l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. » |
Extraits
En affamant les migrant.e.s, l’objectif affiché par la maire, activement soutenu par ces représentants des pouvoirs publics, était donc de faire place nette, d’empêcher la création de ce qu’elle appelle joliment des « points de fixation » et de faire croire ainsi que la grande opération d’évacuation « humanitaire » avait suffi à empêcher les exilé.e.s de continuer de faire route vers la Grande-Bretagne. C’est pour rappeler ce petit monde à l’ordre que onze associations, dont le Gisti, ont saisi le juge des référés pour lui demander de suspendre l’exécution des décisions de la maire. Ces décisions sont d’autant plus graves qu’elles émanent de l’autorité tenue d’assurer le respect de la dignité humaine sur son territoire et, dans ce cadre, de tenir compte des besoins élémentaires des personnes sans abri qui s’y trouvent lorsqu’ils ne sont pas suffisamment pris en compte par les services publics. « Considérant que, par les décisions attaquées, la maire de Calais a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de réunion et, en faisant obstacle à la satisfaction par les migrants de besoins élémentaires vitaux au droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants consacré par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », le juge a reçu cinq sur cinq les demandes de ces associations, suspendant jusqu’à nouvel ordre l’exécution de ces arrêtés et de ces décisions interdisant la distribution de repas. Fallait-il vraiment un juge pour dire qu’il n’est pas admissible d’empêcher les exilé.e.s de se nourrir et les associations de pourvoir à ces besoins élémentaires ? |
Avis du Défenseur des droits
- Observations présentées au tribunal avant l’audience : décision du 16 mars 2017, n°2017-119
Extraits :
Cette interdiction de distribution de repas n’est pas dépourvue de lien avec une autre réclamation dont est saisie le Défenseur des droits, relative à la présence policière et aux contrôles d’identités de jeunes migrants aux abords du service de douches que le Secours catholique a mis en place. Comme l’avait écrit le Défenseur des droits en octobre 2015, ces leviers procèdent d’une volonté de dissuasion visant à « ne pas rendre Calais attractif », à « ne pas créer de nouveaux points de fixation », à « ne pas provoquer d’appel d’air ». Si ces méthodes sont connues depuis plusieurs décennie, la pression atteint aujourd’hui un niveau inédit en mettant en cause, d’une part, le fonctionnement d’une association humanitaire s’occupant de mineurs non accompagnés et, d’autre part, le libre-accès à la distribution humanitaire de nourriture qui, depuis la fermeture de Sangatte en 2002 et avant l’ouverture du centre Jules Ferry en 2015, avait toujours été respecté. |
Les obstacles à la distribution de nourriture n’ont pas cessé pour autant...
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