Le délit de solidarité en Italie

2019, Italie - criminalisation du sauvetage en mer

Le Iuventa a contribué à sauver près de 20 000 personnes avant d’être saisi par la justice italienne en 2017.
Sept Allemands, deux Écossais et un Espagnol encourent jusqu’à 20 ans de prison après avoir sauvé des milliers de personnes de la noyade en Méditerranée centrale. La justice italienne les accuse d’« aide à l’immigration irrégulière » pour avoir mené des oprations de sauvetage à bord du Iuventa, un navire humanitaire.
Opéré par l’ONG allemande Jugend Rettet, le Iuventa a mené plusieurs campagnes de sauvetage au large de la Libye en 2017. Le navire s’est rendu célèbre en participant au sauvetage de près de 20 000 personnes en mer, mais aussi en étant la cible du gouvernement italien dominé par l’extrême droite de Matteo Salvini.
Le Iuventa finit par être saisi en août 2017 suite à l’ouverture d’une enquête en Sicile contre son équipage. Les missions de sauvetage sont donc arrêtées alors que la Méditerranée reste la route migratoire la plus dangereuse du monde. Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), 2 832 personnes sont mortes en Méditerranée centrale pour la seule année 2017.

Interviewé par El Pais, le pompier espagnol qui faisait partie de l’équipage raconte qu’en respectant les règles, ils ont dû « regarder les gens mourir à cause de la bureaucratie ». Alors que Miguel Roldan et deux autres sauveteurs perçoivent les cris de détresse de naufragés dans l’eau au milieu de la nuit, le Centre de contrôle des opérations de recherche de Rome leur interdit de leur porter assistance, parce qu’ils se trouvent dans les eaux territoriales libyennes. Ils ne seront autorisés à le faire que 15 minutes plus tard, « une éternité pour des migrants luttant pour rester en vie (…) Plusieurs se sont noyés », raconte-t-il.
« Depuis le début des opérations, nous avons coopéré directement et totalement avec les autorités italiennes », affirme Sascha Girke au journal espagnol. Le fondateur de Jugend Rettet ne cache pas sa colère face à la menace qui pèse sur l’équipage de sauveteurs visés par l’enquête du parquet de Trapani.

Trois pompiers espagnols avaient déjà fait l’objet de poursuites pour les mêmes motifs en 2018, risquant jusqu’à 10 ans de prison pour leurs actions au large des îles grecques de la mer Égée. Les trois hommes ont été acquittés, rappelle El Pais, mais la situation est cette fois différente puisque l’équipage du Iuventa est poursuivi par la justice italienne sous un gouvernent qui prend ouvertement à partie les ONG humanitaires. L’enquête doit déterminer d’ici l’été si les 10 sauveteurs doivent comparaître devant un tribunal.

2018, Italie - poursuites du maire de Riace, le village accueillant de Calabre

Contexte

Octobre 2018, à l’aube, Domenico Lucano, maire de Riace, est arrêté sur ordre du procureur de Locri. Il placé aux aux arrêts domiciliaires et poursuivi pour « aide à l’immigration clandestine »

  • Communiqué d’Euromed (en anglais), 2 octobre 2018
    Le maire du village italien de Riace, Domenico Lucano, à l’avant-garde d’un modèle d’intégration à travers le monde, a été placé en détention provisoire par le procureur de Locri pour aide à l’immigration clandestine.
    Il s’agit de l’énième manifestation du système croissant de criminalisation de la solidarité qui, en quelques années, a vu un nombre croissant de mandats d’arrêt à l’encontre d’ONG, d’organisations de la société civile et de particuliers actifs dans le sauvetage de personnes en mer, l’intégration et les politiques d’ouverture à la migration. _ EuroMed Droits suivra de près l’évolution de l’affaire de Domenico Lucano et rappelle que les conclusions du juge d’instruction préliminaire soulignent qu’à ce jour, aucun acte criminel vérifiable n’est imputable à l’accusé. C’est pourquoi EuroMed Droits appelle à la vigilance et demande de ne pas sous-estimer les dangers de telles opérations que l’Italie mène contre les personnes migrantes, réfugiées, demandeuses d’asile et toutes les personnes impliquées dans les associations humanitaires et d’intégration soient-elles internationales ou nationales.
  • « En Italie, le maire « promigrants » de la ville de Riace arrêté »
    Domenico Lucano, sympathisant communiste de 60 ans, est une des « bêtes noires » du ministre de l’intérieur italien d’extrême droite Matteo Salvini, Le Monde, 3 octobre 2018, par Margherita Nasi et Jérôme Gautheret.

9 octobre : une circulaire du Département des libertés civiles et de l’immigration du ministère de l’Intérieur établit le transfert des demandeurs de protection internationale de Riace vers d’autres structures dans les 60 jours et le remboursement de tous les fonds dédiés à leur accueil en raison d’"irrégularités évidentes" dans la gestion de ces fonds public.
Voir « Riace : le village des migrants démantélé. Le maire de Naples : "Une déportation », Club Mediapart - Le Blog de Marco Cesario.

16 octobre, les arrêts domiciliaires sont remplacés par une interdiction faite au maire de Riace, suspendu de ses fonctions, de continuer à résider dans sa ville.

2016 — 2017, Italie : Félix, solidaire d’une famille soudanaise

Les faits

  • 22 juillet 2016 : interpellé tandis qu’il tentait d’aider une famille soudanaise en la conduisant en France
  • 16 février et 16 mars 2017 : audiences du tribunal d’Imperia
    Le procureur a requis 40 mois de prison et 50000 Euros d’amende.
  • 27 avril 2017 : relaxe totale !

La justice italienne relaxe un Français poursuivi pour avoir aidé des migrants, Le Monde, 27 avril 2017
« On attend la décision de la procureure, qui peut faire appel, mais aujourd’hui, pour moi, la justice a été appliquée. Quand la solidarité va à l’encontre du droit, c’est l’humanité qui doit prévaloir », a déclaré Félix Croft après le verdict.

Félix Croft, assolto a Imperia l’attivista che tentò di portare una famiglia di migranti in Francia : “Gesto umanitario”, IlFattoQuotidiano.it / Diritti, 27 avril 2017

Témoignages

En 2016 (Extraits) :
Pendant l’été, je me rendais quand je le pouvais au camp dit « informel » de la Croix Rouge italienne à Vintimille, c’était somme toute un quai de gare désaffecté accolé au camp officiel très largement débordé par le millier de réfugiés qui transitaient en permanence sur la frontière. Je dis bien « en transit » et non pas « bloqués », car si j’ai appris quelque chose à Dunkerque c’est que là où il y a du désespoir il y a des gens pouttp :/r en tirer profit. Les réseaux criminels organisent depuis déjà longtemps le passage de la frontière, les tarifs varient entre 100 et 150 euros (à l’époque) et les victimes sont parfois abandonnées sur l’autoroute, voire même un peu plus loin dans Vintimille [....].

Le 22 juillet, en discutant avec les réfugiés et les bénévoles au camp informel, j’apprends l’existence d’une famille de 5 soudanais qui vivent dans une église et qui ne viennent pas jusqu’au camp. Avec ma copine nous décidons d’aller voir si on peut leur apporter quoi que ce soit. Arrivés à la petite église nous rencontrons trois jeunes gens d’environ 20-25 ans dont un couple avec deux enfants de 5 et 2 ans, tous originaires du Sud-Soudan, une région appelée le Darfour. La mère qui parle particulièrement bien anglais raconte à ma copine (qui vient là en tant que psychologue) leur histoire violente et marquante, comme j’en ai déjà trop entendues et dont vous me permettrez d’en taire les détails sordides.
Ils étaient incapables de marcher avec leurs enfants sur l’autoroute où ils risquent la mort à chaque minute. Sur la voie ferrée, les piétons sont souvent pourchassés par les brigades cynophiles de la Police Aux Frontières. Ils n’avaient absolument pas l’argent pour payer les passeurs afin de retrouver des parents en Allemagne. Pour des raisons évidentes de confort les personnes qui voyagent à pied ou en train préfèrent passer par la France plutôt que par la Suisse… À plusieurs reprises la femme me demande de les emmener avec moi et quand elle me montre les blessures de son petit de 5 ans (brûlé sur tout le flan droit par l’incendie de sa cabane lors du massacre dans leur village) il ne m’apparaît qu’une chose à faire.
D’après la loi italienne en vigueur j’encoure entre 5 à 15 ans de prison et 15.000€ d’amende par personne transportée… Sous prétexte qu’ils étaient 5 et qu’il y avait deux Opinels dans la voiture (et un morceau de lonzo Corse). Ces deux faits comptent comme des circonstances aggravantes, au même titre dans la loi italienne que de transporter des personnes au péril de leurs vies ou dans des conditions inhumaines.

Le 27 avril 2017 :
"LA VIE EST BELLE...", le film de Roberto Benigni, me vient souvent à l’esprit face aux enfants réfugiés, face à la faculté qu’ils ont de rebondir, ou parfois juste vivre et savourer l’instant présent.
Il n’est pas là question d’insouciance, mais d’abstraction...Une merveille...
J’ai brièvement connu Loza, 6 ans, qui a attendu sa mère pendant 6 mois "du bon côté" de la méditerranée qu’elle avait traversée seule après que sa mère soit tombée du canot...
Accueillie par "Habitat et Citoyenneté" elle s’accrochait, comme tant d’autres de ces enfants au noyau familial éclaté, à chacun de ceux qui voulaient bien lui donner un peu de soi, souvent de bras, parfois d’un peu de joie...
Vintimille, San Antonio, l’église des espoirs les plus fous comme des drames les plus sombres.. Combien ont attendu là-bas, comme Loza, l’arrivée d’un père, d’une mère ou d’un frère, soutenu(e)s par une poignée de bénévoles qui tentent de leur rendre un peu de bonheur, d’espoir et de santé...
Vintimille, où j’ai rencontré cette famille de réfugiés du Darfour, avec cette maman enceinte. J’ai été touché par ce qu’elle dégageait : un mélange de peur, de délicatesse et de force. Elle avait quelque chose de touchant, d’impressionnant. Elle dégageait une appréhension face aux inconnus, mais surtout une force incommensurable, un regard qui en disait long sur son parcours. Comme tant d’autres femmes héroïques qui traversent souvent l’enfer pour l’espoir d’un eldorado qui n’en est plus un.
Pour moi, jamais de question sur leur trajet difficile, particulièrement sur la Lybie, pour en avoir assez entendu. Quand la famille me dit qu’ils ont passé deux mois là-bas, les récits qu’on m’en a fait me reviennent tous d’un coup, la colère me monte et le nez me pique... Mais on ne pleure pas devant les victimes, c’est indécent.
Autour de nous, les gens vivent, inconscients de l’horreur qui nous submerge, nous bénévoles et aidants. Souvent, je me demande s’ils comprennent le choix cornélien que ces gens ont du faire, quitter leur pays, partir pour l’exil, souvent bien conscients des épreuves qui se dresseront sur leur chemin ; les viols, la torture et tous les pièges des voyages en terres inconnues.
Comme d’autres citoyens solidaires aux réfugiés, bien conscients de ne pouvoir changer le monde, ce jour là, face à cette mère et ses enfants, leurs regards, et leur histoire qui ressemble souvent à la notre, j’ai craqué... Enfreindre ces lois qui nous empêchent de rendre ce monde un peu moins sombre, un peu moins dur, pour un instant seulement...
Ma responsabilité, face à cette famille, m’a sauté aux yeux pendant un instant, alors, machinalement, convaincu du bien fondé de mon action, je les ai montés dans ma voiture, et, fier mais envahi par la peur, je les ai conduis vers un monde meilleur....

Voir aussi :

2015-2018 : Vintimille : Gianni, coupable de fuite devant une charge de police pendant une manifestation de soutien aux migrants
2016-2017 : interdiction de nourrir des migrants

L’arrêté interdisant de nourrir des migrants a été suspendu, Nice Matin, 24 avril

Traduction de l’arrêté d’avril 2017 (due à Roya citoyenne)
LE MAIRE
Rappelant l’arrêté d’urgence et extraordinaire n° 129/2016, Protocole 28235 du 11/8/2016 ayant comme objet : « Interdiction de distribuer et/ou administrer de la nourriture et des boissons dans des zone publiques de la part de personnes non autorisées » ;
Estimant que, par rapport aux conditions préalables évaluées au moment de l’adoption de l’arrêté n° 129/2016, il y a eu un changement de facto (de fait) non prévisible au moment de son adoption de telle sorte qu’il est nécessaire et urgent de réviser le susdit arrêté ;
Considérant que, à ce jour, le « Campo Roja » géré par la Croix Rouge Italienne n’est pas en mesure de d’offrir des repas à ceux qui ne sont pas déjà accueillis dans la susmentionnée structure qui est pleine depuis mercredi 19/04/2017 car le « Campo Roja » a un nombre de place temporairement limitée à 150 personnes.
Constatant que, toutefois, sur le territoire il y a des personnes dépourvues de protection et soutien alimentaire
Considérant que, par conséquent, il semble nécessaire, au moins momentanément et seulement pour des raisons à caractère humanitaire liées à la situation contingente, indépendamment d’une vérification ponctuelle des obligations hygiéniques et sanitaires des repas préparés, rappelant chacun au respect des règles fondamentales pour la préparation des aliments à administrer à des tiers, étant entendue l’invitation à toute personne concernée à passer par les circuits officiels de la Croix Rouge Italienne et/ou de la Caritas, dans les sièges présents dans le territoire urbain.

ORDONNE
Pour les raisons illustrées plus haut, le retrait de l’arrêté d’urgence et extraordinaire n° 129/2016, Protocole 28235 du 11/8/2016 ayant comme objet : « Interdiction de distribuer et/ou administrer de la nourriture et des boissons dans des zone publiques de la part de personnes non autorisées ».
La disposition suivante est publiée sur le tableau d’affichage municipale, transmis à la Préfecture de Imperia, au Commissariat de Police de Imperia, aux postes de la Police d’Etat, de la Gendarmerie, de la Polices des Frontières, de la Police Municipale, à l’Agence Sanitaire Locale de Imperia, à la Croix Rouge Italienne et à la Caritas.

Traduction de l’arrêté d’août 2016 due à Roya Citoyenne

« Dans le centre d’accueil Parco Roja, la Croix Rouge offre, entre autres services, aussi celui de la distribution de la nourriture dans le respect des règlements hygiéniques-sanitaires en vigueur tandis que les enfants et les femmes migrants obtiennent le même service auprès de la paroisse Sant’Antonio, en tenant compte aussi que Caritas distribue tous les jours des repas aux personnes SDF et en conditions de besoin. Malheureusement en plusieurs occasions la présence de personnes non autorisées a été signalée qui étaient en train de distribuer de la nourriture préparée d’une façon privée (en particulier ?), notamment dans le quartier de Roverino et sur la place en face de la paroisse Sant’Antonio, et cela sans garantir aucun respect de la loi en considération du manque évident des conditions requises.
Ces comportements déterminent le risque réel de toxi-infection alimentaire des migrants surtout en considération des problèmes dus aux températures moyennes de la saison estivale.
Qui contrevient à cette ordonnance sera poursuivi aux termes de l’art. 650 code pénal. »


2007

Le 8 août 2007, 7 pêcheurs tunisiens en prison pour avoir sauvé 44 naufragés

  • (presque) tout sur le procès d’Agrigente
    Chronologie, revue de presse, communiqués, minutes du procès
    En prison pour avoir sauvé des migrants naufragés au large des côtes siciliennes. Le mercredi 8 août 2007 une petite flotte de pêche tunisienne (les bateaux Fakhreddine Mortadha et Mohammed el-Hedi), appareillant à une trentaine de milles marins de l’île italienne de Lampedusa rencontre une embarcation gonflable en difficulté. Au bord de celle-ci se trouvent 44 personnes dont 11 femmes (deux enceintes) ainsi que deux enfants, dont un handicapé. Parmi les naufragés à la dérive, un se trouve dans un état de santé grave. Une fois au port de Lampedusa, des hélicoptères-ambulances prennent en charge quatre naufragés en état critique et les transfèrent à l’hôpital de Palerme. Les sept pécheurs tunisiens qui les ont secourus et accompagnés sont, eux, arrêtés et mis en détention et les deux bateaux mis sous séquestre. Accusés de “favoriser l’immigration clandestine”, ils risquaient jusqu’à quinze ans de prison. Le procès est en cours au tribunal d’Agrigente.
  • Procés d’Agrigente, Non au délit de solidarité/article1188.html]
  • Les sept pêcheurs tunisiens accusés d’être des passeurs sont libérés
2004

Le 20 juin 2004, dans les eaux internationales entre les côtes lybiennes et l’île de Lampedusa, le Cap Anamur, bateau de l’ONG allemande du même nom basée à Cologne, secourt les 37 passagers d’un bateau pneumatique

  • Cap Anamur et Zuiderdiep (2004)
    Appels, chronologie, presse
    Durant 10 jours, du 1er au 11 juillet, la capitainerie de Porto-Empedocle (Sicile) refuse l’accès aux eaux territoriales italiennes, sur ordres du ministère de l’Intérieur.
    Entre temps jeu de « patate chaude » sordide entre l’Italie, l’Allemagne et Malte, qui tous ignorent leurs obligations internationales. Le HCR n’y trouve rien à redire, mais fait valoir l’urgence humanitaire.
    Le 12 juillet les 37 réfugiés demandent l’asile politique à l’Italie (refusé par la Commission centrale de l’asile), et sont transférés d’abord au CPT d’Agrigente puis à celui de Caltanissetta. Le capitaine, son second et le président de l’ONG sont arrêtés pour avoir « favorisé l’immigration clandestine » ; ils seront libérés 5 jours plus tard.

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Dernier ajout : jeudi 2 décembre 2021, 09:13
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