C. Pressions sur les médecins

La mission du médecin en faveur de la continuité des soins des étrangers malades ne constitue pas une « solidarité ». Cependant les soupçons et les pressions de l’administration à son égard relèvent des mêmes mécanismes.

1. Les textes

> Le droit au séjour de l’étranger malade

Article L.313-11 du Ceseda
Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit : (...)
11° À l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sans que la condition prévue à l’article L.311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l’autorité administrative, après avis du médecin inspecteur de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l’intéressé ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police.

Article R.313-22 du Ceseda Pour l’application du 11° de l’article L.313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d’un avis émis par le médecin inspecteur départemental de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l’intéressé et, à Paris, par le médecin, chef du service médical de la préfecture de police.
L’avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l’immigration, au vu, d’une part, d’un rapport médical établi par un médecin agréé ou un praticien hospitalier et, d’autre part, des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d’origine de l’intéressé.

> Extraits du code de déontologie médicale

Article R.4127-4 : Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris.

Article R.4127-5 : Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit.

Article R.4127-73 : Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux, concernant les personnes qu’il a soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de ces documents. Il en va de même des informations médicales dont il peut être le détenteur. (…)

Article R.4127-95 : Le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à un autre médecin, une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n’enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions. En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part du médecin, de l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt de la santé publique et dans l’intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce.

Par ailleurs le statut des médecins inspecteurs de la santé publique (MISP) précise (article R.1421-14) leur rôle spécifique en matière de protection du secret médical : "Dans l’exercice de leurs fonctions, ils veillent au respect du secret médical et des règles professionnelles".

2. Obstacles à l’instruction médicale des demandes de titres de séjour d’étrangers malades

Pour les étrangers en situation irrégulière et atteints d’une maladie grave, la procédure de délivrance du titre de séjour repose sur un avis médical transmis au préfet par le médecin inspecteur de santé publique (MISP) du département de domicile du malade. Pour rendre cet avis, le MISP s’appuie sur un « rapport médical » normalement établi par le médecin soignant et indiquant, pour le patient, les modalités de prise en charge du malade ainsi que les éléments pronostics relatifs à la pathologie.
Le nombre de nouveaux titres de séjour délivrés pour raison médicale est très limité : 6.790 en 2006, soit 3,6% du total des nouvelles admissions au séjour pour les étrangers hors Union Européenne.
Ce droit connait pourtant une application de plus en plus restrictive depuis 5 ans.

> Suspicions à l’égard du médecin traitant non hospitalier

Extraits d’une pétition de médecins en date du 3 juin 2008 citée ci-dessous.
Au cours des derniers mois, de nombreuses préfectures ont commencé à refuser d’instruire la demande lorsque le « rapport médical » n’émanait pas d’un confrère « médecin agréé ou un praticien hospitalier », ces refus s’appuyant sur une application restreinte d’un arrêté datant de 1999.
Cette exigence nouvelle complique considérablement la procédure :

  • le recours supplémentaire à un « médecin agréé » est très difficile dans la plupart des départements, de nombreux médecins ayant vu leur agrément supprimé par la préfecture dans un contexte de suspicion croissante à l’égard des pratiques médicales et de pression des préfectures sur les MISP ;
  • les praticiens hospitaliers, déjà investis dans la prise en charge de leurs patients, se trouvent de surcroit sollicités pour « valider » les rapports établis par leurs confrères qui soignent d’autres patients ;
  • la situation de pénurie en « médecins agréés » risque de favoriser le développement de filières lucratives et délictueuses.

16 octobre 2007 - Trois psychiatres de Clermont-Ferrand rayés de la liste des médecins agréés.
Membres de Médecins Sans Frontières, ils ont effectué, au titre de consultant international, des missions sur un certain nombre de pays en guerre, en conflit, ou dans des contextes de catastrophe naturelle et sont spécialistes des pathologies post-traumatiques. Ils ont à ce titre été amenés à recevoir des demandeurs d’asile malades.
Voir la lettre envoyée par ces trois médecins à la ministre de la santé (en PDF ci-contre).

> Suspicions à l’égard du médecin inspecteur de la santé publique

Selon une enquête effectuée par le Comède le taux de délivrance du titre après avis favorable du MISP qui était proche de 100% en 2002 a chuté depuis 2004 (entre 60% et 70%) - voir Maux d’exil n°26, p.3.

Lettres du syndicat des médecins inspecteurs de la santé publique (SMISP) au ministre de la santé

-* Septembre 2007
Extrait : « Le syndicat est régulièrement alerté par des collègues MISP à la DDASS qui se voient reprocher par leurs directeurs des pourcentages jugés excessifs d’avis positifs dans le cadre de la procédure dite "étrangers malades". »

-* Avril 2008
Extrait : « Deux médecins inspecteurs de la santé publique, amenés à émettre ces avis viennent d’être mis en cause dans une affaire d’« aide au séjour irrégulier en bande organisée » en cours d’instruction à Marseille. A l’issue des auditions qui ont duré près de 20 heures, aucune charge n’a été retenue contre eux.
Des entorses, voire des violations du secret médical sont régulièrement signalées par des MISP dans différentes régions et des pressions continuent à s’exercer plus ou moins directement pour que leurs avis soient modifiés.
Le cas évoqué sur Marseille aurait pu être réglé précocement si un minimum de confiance et de respect prévalait dans les rapports entre les préfectures et les DDASS, mais il semble que la situation soit tout autre : soupçons de plus en plus fréquents de violation du secret médical au sein des services de l’Etat, défiance des préfectures à l’égard des praticiens hospitaliers ou des médecins agréés et de leurs rapports médicaux, remise en cause des avis formulés par nos collègues suspects de complaisance et pressions pour qu’ils revoient leur avis et se conforment aux fiches pays [1], enquêtes sur leurs pratiques....
 »

3 juin 2008 - Une pétition pour la continuité des soins des étrangers malades
Cette pétition rappelle que « la déontologie médicale est universelle : elle s’applique aussi pour les malades étrangers ». Elle ajoutait :
« Il est temps que les autorités préfectorales cessent de stigmatiser « l’irresponsabilité » des médecins intervenant auprès des malades étrangers.
Non, nous ne sommes pas "complaisants" ou "angéliques" lorsque nous signalons la gravité de la maladie de nos patients à nos confrères médecins instructeurs de la santé publique. Non, nous ne sommes pas "militants" ou "engagés" lorsque nous estimons un pronostic vital dans une perspective d’absence de soins appropriés, nous faisons notre devoir de médecins. (...) Aucun d’entre nous ne détourne un acte de soins vers un acte militant : il en va de notre responsabilité vis-à-vis de nos patients, de nos confrères et de la société.
Face à cette situation, nous ne pouvons accepter que, au mépris de la loi, les principes de la déontologie médicale s’effacent devant les mécanismes de la "lutte contre l’immigration". Nous attendons que soient respectés notre exercice de médecins et les missions qui sont les nôtres pour la continuité des soins de tous nos patients, français comme étrangers ».

Sources


Notes

[1Fiches diffusées parle Comité interministériel de contrôle de l’immigration sur l’intranet ministériel, et relatives à l’existence de traitements dans les divers pays - très critiquables sur leurs contenus et sur l’absence d’accessibilité des éventuels traitements

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Dernier ajout : mercredi 5 septembre 2012, 22:41
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