Édito extrait du Plein droit n° 47-48, janvier 2001
« Loi Chevènement : Beaucoup de bruit pour rien »

Décrue

ÉDITO

Les résultats du dernier recensement de la population, réalisé par l’INSEE en 1999, sont désormais disponibles et, curieusement, les chiffres de l’immigration n’ont pas connu le retentissement médiatique des précédentes années. Si les villes de France ont été classées et reclassées pour se voir décerner la palme de la plus forte croissance démographique, rien n’a été dit ou presque sur l’incontournable « solde migratoire » ou sur le « véritable » nombre d’étrangers présents en France.

Il faut se souvenir de l’exploitation politique qui avait été faite du recensement de 1990 : l’obsession du chiffre avait même conduit un ancien président de la République à disserter sur la menace d’« invasion » étrangère en France. Au regard de ces déclarations, on peut donc légitimement se demander pourquoi les résultats de 1999 n’ont pas inspiré autant de commentaires enflammés.

Peut-être parce que, pour la première fois depuis 1946, le nombre d’étrangers présents en France a baissé de manière significative, passant de 3 600 000 en 1990 à 3 260 000 en 1999. Une telle diminution, de l’ordre de 9 %, est à rapprocher de celle intervenue dans les années trente : au terme d’une période de crise économique qui s’était accompagnée d’un arsenal de mesures répressives contre l’immigration, le nombre d’étrangers était passé de 2 890 000 en 1931 à 2 450 000 en 1936, soit une baisse à peu près comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui. Certes, à cette époque, la pratique des refoulements était beaucoup plus massive et les procédures plus expéditives, mais ce rappel historique permet de prendre la mesure du phénomène actuel.

Entre 1990 et 1999, ce sont surtout les acquisitions de nationalité française et la mortalité qui ont contribué à réduire le nombre d’étrangers : parmi ceux qui sont nés hors de France, 550 000 sont devenus français (ils étaient 280 000 au dernier recensement) et 190 000 sont décédés. Le nombre de résidents étrangers baisse donc, inexorablement, et cette population, après s’être féminisée, vieillit d’année en année : les tranches d’âge qui connaissent la plus forte augmentation sont celles de 40 à 59 ans pour les femmes et des plus de 60 ans pour les hommes. Dans un contexte où les pouvoirs publics se déclarent de nouveau prêts à envisager, à certaines conditions, une immigration jeune et qualifiée, ce phénomène mérite d’être souligné pour que soit mieux prise en compte cette « vieillesse illégitime » [1] et reléguée socialement. Au-delà de ces tendances démographiques, les chiffres du dernier recensement illustrent surtout le résultat concret de la politique de « maîtrise des flux migratoires » : la part des étrangers dans la population résidant en France est passée de 6,4 % à 5,6 % atteignant son plus bas niveau depuis 1968. La fermeture des frontières, la pénalisation de plus en plus systématique de l’immigration dite clandestine, mais aussi la difficulté de trouver un emploi et la précarisation des conditions de séjour de la population étrangère ont fini par avoir des conséquences structurelles de long terme. Les flux d’entrées n’ont cessé de diminuer, passant de 110 000 en 1992 à environ 70 000 en 1999 et, faute d’être renouvelée, la population étrangère a été condamnée à décroître.

Cette tendance risque de se confirmer, tant que la politique d’attribution des visas sera aussi restrictive, la conception de l’asile aussi étriquée et les demandes de regroupement familial systématiquement soupçonnées de fraude. A ce tableau, il faut ajouter le nombre important des retours, rarement évoqué car peu rentable politiquement et souvent occulté par la focalisation des pouvoirs publics sur le nombre d’entrées : d’après Hervé Lebras [2], on peut estimer que 220 000 immigrés sont repartis dans leur pays d’origine durant la dernière décennie. Voilà peut-être un autre résultat, plus indirect et plus discret, d’une politique de fermeture des frontières toujours à sens unique.

Le retour de la gauche aux affaires et la promesse d’une politique « ferme et digne  » n’ont pas rompu, loin s’en faut, avec le sacro-saint dogme de la « maîtrise des flux migratoires ». La loi Chevènement, en modifiant une nouvelle fois l’ordonnance de 1945, n’a fait qu’ouvrir quelques brèches théoriques que les circulaires d’application se sont empressées de refermer.

Un peu plus de deux ans après la mise en application de cette nouvelle législation, Plein Droit a choisi d’esquisser un premier bilan des innovations qu’elle avait introduites. Sur le papier, elles étaient nombreuses : l’instauration d’un droit au respect de la vie privée et familiale, des dispositions pour mieux tenir compte de l’état de santé des malades étrangers, une « carte retraité » pour faciliter leurs allers-retours, la promesse de rétablir les anciennes commissions de séjour, des procédures facilitées pour artistes et scientifiques et, enfin, la réforme d’« un droit d’asile destiné à devenir exemplaire dans toute l’Europe  »…

Mais comme aucune volonté politique n’est venue accompagner ces mesures théoriques, rien n’a vraiment changé dans la pratique quotidienne des préfectures. Les refus de guichet, l’exigence de preuves toujours plus nombreuses et la suspicion généralisée ont continué comme auparavant, et le pouvoir discrétionnaire de l’administration est demeuré intact. Certes, il arrive que l’on parvienne à obtenir du Conseil d’État qu’il annule certaines des dispositions des circulaires les plus contestables ; mais force est de constater que l’administration ignore ce type de décision et persiste dans son interprétation restrictive, remettant ainsi en question l’efficacité des victoires remportées au contentieux.




Notes

[1Cf. Plein Droit n° 39, juillet 1998.

[2« Recensement et narcissisme des petites différences », Le Monde, 10 novembre 2000.


Article extrait du n°47-48

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Dernier ajout : jeudi 24 avril 2014, 16:10
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