Article extrait du Plein droit n° 9, décembre 1989
« Loi Joxe : qu’est-ce qui va changer ? »

Une expérience à suivre

La création d’une commission du séjour des étrangers figure parmi les innovations les plus originales de la nouvelle loi.

L’expérience dira quels espoirs on peut fonder sur elle.

En même temps qu’elle réhabi- lite la notion de « plein droit », la loi offre aux étrangers rési- dant régulièrement en France ou ayant vocation à s’y établir durablement une garantie de procédure inédite et pré- cieuse.

L’article 18 bis de l’ordonnance prévoit en effet la création, dans cha- que département, d’une commission du séjour des étrangers, composée de la même façon que la commission d’expulsion (deux magistrats de l’or- dre judiciaire et un conseiller de tribu- nal administratif), et qui doit être obligatoirement saisie par le préfet lorsqu’il envisage de refuser le renou- vellement d’une carte de séjour tem- poraire ou la délivrance d’une carte de résident à un étranger non expulsable ou bénéficiaire de plein droit de la carte de résident.

Le fonctionnement de la commis- sion est calqué sur celui de la commis- sion d’expulsion et vise à assurer le respect des droits de la défense. Si l’avis est favorable à l’octroi ou au renouvellement du titre sollicité, le préfet est tenu de s’y conformer.

En ce qui concerne le renouvelle- ment d’une carte temporaire, cette ga- rantie nouvelle pourra jouer par exemple lorsque le refus se fonde sur des motifs d’ordre public, ou sur le fait que la demande a été présentée hors délai, ou encore sur le fait que l’intéressé ne remplit pas ou plus les conditions de fond requises (tel l’étudiant qui ne peut plus justifier d’une inscription à l’université ou de ressources suffisantes, ou l’étranger admis au titre d’étudiant ou de visiteur qui demande le renouvellement de sa carte au titre de salarié mais se voit opposer la situation de l’emploi).

La circulaire rappelle que la de- mande de renouvellement présentée alors que l’ancien titre est expiré équivaut en toute rigueur à une nou- velle demande. Elle préconise néan- moins de saisir la commission lorsque le retard dans le dépôt de la demande n’est que de quelques semaines ou de quelques mois et ne témoigne pas d’une volonté évidente de se soustraire à l’application de la loi.

Les exclus des droits de la défense

Quant au refus de délivrance d’une carte de résident justifiant la saisine de la commission, il sera vraisembla- blement motivé le plus souvent par l’entrée irrégulière sur le territoire, ou par un doute sur l’appartenance de l’intéressé à l’une des catégories de bénéficiaires de la carte de résident.

Ces quelques exemples montrent l’importance des difficultés d’appré- ciation qui peuvent surgir dans la mise en oeuvre des textes, non seulement lorsqu’on est dans un cas de compé- tence discrétionnaire, mais même lorsque l’administration a compétence liée. On ne saurait par conséquent trop se féliciter de la mise en place d’un système propre à mieux garantir les droits de la défense et à dissuader l’administration d’user de son pou- voir d’appréciation dans un sens sys- tématiquement restrictif.

Certaines catégories d’étrangers restent toutefois exclues de cette pro- tection. Tout d’abord, la circulaire du 2 août 1989, donnant sur ce point une portée que l’on peut contester à l’ac- cord franco-algérien, estime que les Algériens ne peuvent se prévaloir de l’article 18 bis de l’ordonnance (voir article p. 7). Les ressortissants de la CEE ne pourront pas non plus avoir accès à la commission du séjour ce qui, pratiquement, aura des consé- quences beaucoup moins graves, compte tenu de leur situation privilé- giée. Mais cette disposition ne s’ap- pliquera pas non plus, du moins pas immédiatement, dans les départements d’outre-mer, où la loi en diffère l’en- trée en vigueur pendant cinq ans.

Le GISTI a fait part des doutes sérieux qu’on pouvait éprouver sur la constitutionnalité d’une telle diffé- rence de traitement entre la métropole et les DOM, qu’il paraît bien difficile de justifier par la « situation particu- lière » de ces derniers : après tout, les commissions d’expulsion y fonction- nent - ou sont censées y fonctionner - normalement ; or rien n’interdit, comme le précise la circulaire, que les deux commissions soient composées des mêmes personnes. On aurait aimé connaître sur ce point les arguments du Conseil constitutionnel ; mais les auteurs de la saisine ne l’avaient pas soulevé, et lui-même n’a pas jugé utile de l’examiner d’office.

Les premiers échos que l’on a pu avoir sur le fonctionnement de la commission du séjour font apparaître la très grande diversité des situations selon les départements... et selon la façon dont les magistrats appelés à siéger dans la commission conçoivent leur tâche. A Versailles, par exemple, les premiers avis donnés ont été massivement favorables au renouvel- lement des cartes de séjour temporaire (s’agissant d’étudiants, le plus sou- vent) ou à la délivrance d’une carte de résident (l’obstacle le plus fréquem- ment rencontré étant celui de l’entrée irrégulière sur le territoire). A Bobigny, en revanche, les avis favo- rables ont été jusqu’à présent rarissi- mes, Paris occupant une position médiane, avec environ une moitié d’avis favorables (mais ici les statisti- ques portent sur un trop petit nombre de dossiers pour être significatives). On constate également, sans trop d’étonnement, que la situation varie beaucoup selon que l’étranger est as- sisté ou non d’un avocat : la plupart du temps, il n’y a pas d’avocat, de sorte que l’administration, qui détient et présente le dossier, se trouve en si- tuation de force.



Article extrait du n°9

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Dernier ajout : lundi 24 mars 2014, 23:37
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