Article extrait du Plein droit n° 34, avril 1997
« Zéro or not zéro ? »

Arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 1996

La Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le seize octobre mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire POISOT, les observations de Me BOU-THORS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général PERFETTI ;

Statuant sur les pourvois formés par :

  • I. Boubaker,
  • I. Adel Chokri,

contre l’arrêt de la cour d’appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, du 8 mars 1995, qui, pour infraction à la législation relative aux étrangers, les a condamnés chacun à une amende de 5 000 francs avec sursis ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 4 à 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 66 de la Constitution du 4 octobre 1958, 6, 7, 8, 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, L. 111-4, L. 121-1, L. 122-7 du Code pénal nouveau, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a condamné les prévenus du chef d’aide au séjour irrégulier de leur jeune frère en France ;

« aux motifs que les deux prévenus, selon leurs propres écritures, ne contestent pas avoir pendant plusieurs mois continué à héberger leur frère et à pourvoir à son entretien alors que ce dernier, ressortissant étranger, s’était maintenu irrégulièrement sur le territoire national après l’expiration du visa touristique lui ayant permis de venir en France ; que les dispositions de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, compte tenu de leur généralité, n’excluent nullement une aide directe ou indirecte au séjour irrégulier d’un étranger sur le territoire national commise dans un cadre familial ; qu’il est indifférent à cet égard que la loi ait, pour d’autres infractions, édicté une immunité familiale ; que les dispositions visées ci-dessus ne sont nullement contraires aux prescriptions de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales puisque, édictées par la loi, elles constituent une mesures nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique et à la défense de l’ordre ; que, motivées par l’intérêt général par définition supérieur à l’intérêt individuel, elles ont pour objet exclusif de réprimer tous ceux qui, directement ou indirectement, facilitent le séjour irrégulier d’un étranger en France, fût-ce un proche parent, et, au delà, de contrôler et de limiter l’immigration clandestine ;

« 1°) alors que, d’une part, l’article 2 de l’ordonnance du novembre 1945 n’a pas pour objet d’incriminer l’exercice d’un simple devoir de famille au titre de l’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France ; que pareille incrimination, non prévue par la loi interne, qui est d’interprétation stricte et qui doit être appliquée à la lumière des principes protecteurs des droits et libertés fondamentaux, réaliserait en outre une méconnaissance flagrante des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

« 2°) alors, subsidiairement, que ne sont pas pénalement responsables les personnes qui accomplissent un acte de sauvegarde d’une personne que menace un danger actuel et imminent, suivant l’article 122-7 du Code pénal ; qu’il en va ainsi des parents qui ne jettent pas à la rue un membre de leur famille dénué de moyens et ressources mais qui serait en situation irrégulière ;

« 3°) alors, en tout état de cause, que la cour d’appel a écarté à tort l’immunité familiale invoquée par les requérants » ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que Boubaker et Adel Chokri Inoubli, qui reconnaissent la matérialité des faits, ont été poursuivis et déclarés coupables du chef de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, pour avoir hébergé et entretenu leur frère Khaleb, de nationalité tunisienne, après l’expiration, en 1989, du visa de séjour touristique en France dont il avait bénéficié ;

Attendu que les prévenus ne peuvent, pour contester la condamnation, invoquer une immunité pénale résultant de leur lien de parenté avec l’étranger en situation irrégulière auquel ils ont apporté leur aide, dès lors qu’une telle immunité n’était pas reconnue par l’article 21 susvisé, en vigueur à la date des faits, et que celle qui résulte de la loi du 22 juillet 1996, modifiant cet article, n’est instituée qu’en faveur des ascendants, des descendants et du conjoint, mais ne s’étend pas aux frères et sœurs ;

Que, par ailleurs, les dispositions nouvelles de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, qui tendent à concilier la lutte contre l’immigration clandestine et le droit au respect de la vie familiale, ne sont pas incompatibles avec celles de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui, à les supposer applicables aux rapports entre collatéraux majeurs, autorisent l’ingérence de l’autorité publique dans l’exercice de ce droit, notamment, comme en l’espèce, lorsque, prévue par la loi, elle est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique ou à la défense de l’ordre ;

Qu’enfin, il ne résulte ni des mentions de l’arrêt attaqué, ni de conclusions déposées, que les prévenus se soient prévalus, devant les juges du second degré, d’une cause d’exonération de responsabilité pénale, au sens de l’article 122-7 du Code pénal, et tirée d’un danger actuel ou imminent menaçant l’étranger auquel ils ont apporté leur aide ;

D’où il suit que le moyen, pour partie irrecevable en ce qu’il invoque un fait justificatif non repris en appel, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an ci-dessus ;

Étaient présents aux débats et au délibéré : M. Le Gunehec, président, M. Poisot conseiller rapporteur, MM. Guilloux, Massé, Fabre, Mme Baillot, M. Le Gall, Mme Chanet, M. Blondet conseillers de la chambre, Mme Batut conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Perfetti ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

(Chambre criminelle, n° H 95-81.875 PF, n° 4481 – Non publié).



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