Article extrait du Plein droit n° 46, septembre 2000
« D’autres frontières »
Prestations sociales : quelle résidence ?
Véronique Baudet
Juriste
Le principe de territorialité qui sous-tend le droit de la sécurité sociale signifie que les lois de sécurité sociale ne s’appliquent pas hors du territoire national. Donc, toute personne travaillant et résidant en France est obligatoirement assujettie à un régime de sécurité sociale français, quelle que soit sa nationalité. Ce principe de territorialité signifie également que le droit aux prestations sociales est lié à la résidence en France.
Les étrangers et leurs ayants droit n’échappent pas à cette règle, même si la loi Chevènement du 11 mai 1998 en a assoupli l’application.
C’est l’article L 311-7 du code de la sécurité sociale qui pose le principe de la territorialité : « Les travailleurs étrangers et leurs ayants droit bénéficient des prestations d’assurances sociales. A l’exception des prestations d’assurance vieillesse, le bénéfice de ces prestations est subordonné à la justification de leur résidence en France ». Ce même article précise en outre que « les mêmes dispositions s’appliquent aux étrangers ayant leur résidence à l’étranger et leur lieu de travail permanent en France s’il a été passé à cet effet une convention avec leur pays d’origine ».
La suppression de la condition de résidence pour la demande de liquidation de la pension de vieillesse (en dehors des cas où il existe une convention bilatérale ou un règlement communautaire) est une des innovations de la loi Chevènement du 11 mai 1998. Destinée à rendre plus facile la liquidation de la retraite pour de nombreux étrangers retournés dans leur pays d’origine avant l’âge de la retraite, elle est tout à fait conforme à l’égalité de traitement entre nationaux et étrangers.
De nombreuses conventions internationales contiennent des dérogations au principe de territorialité. Ainsi, la convention n° 118 de l’organisation internationale du travail (OIT) précise qu’« en ce qui concerne le bénéfice des prestations, l’égalité de traitement doit être assurée sans condition de résidence » et ce, sous la seule réserve d’éventuelle réciprocité.
Cette condition ne peut être opposée pour le bénéfice « des soins médicaux, des indemnités de maladie, des prestations d’accidents du travail ou de maladies professionnelles et des prestations aux familles ».
Les conventions bilatérales sont également nombreuses à lever la clause de résidence, par exemple pour le versement des prestations familiales aux familles restées au pays d’origine(1), les remboursements de soins lorsque l’étranger tombe malade pendant ses congés payés dans son pays d’origine.
A la condition de résidence s’ajoutait autrefois, pour l’accès aux prestations non contributives, une condition de nationalité. La loi Chevènement du 11 mai 1998 a enfin supprimé cette deuxième condition et reconnu le principe d’égalité de traitement affirmé par les engagements internationaux auxquels la France est liée. Il n’est pas inutile de rappeler que cette « innovation » de la loi n’a été obtenue qu’après une longue bataille judiciaire au cours de laquelle les pratiques restrictives de la sécurité sociale ont été condamnées à la fois par la Cour de cassation et la Cour de justice des Communautés européennes. Les prestations non contributives liées à la vieillesse, à l’invalidité et au handicap sont désormais accessibles à tous les étrangers sous la double condition de régularité de séjour et de résidence habituelle en France. Ces prestations n’étant pas exportables, les prestataires doivent en effet justifier de leur résidence habituelle en France.
Un critère essentiel, mais une notion floue
Ainsi, depuis la loi de 1998, le critère de la résidence apparaît au premier plan. Résidence régulière, effective, permanente, habituelle… Les qualificatifs sont nombreux mais les réalités qu’ils recouvrent pas toujours très claires. La condition tenant à la régularité ne pose pas, en principe, de difficulté d’appréciation, des listes de titres de séjour exigibles étant établies pour chaque type de prestation (même si, par ailleurs, le contenu de ces listes est contestable). Il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’apprécier la résidence effective, habituelle ou permanente. Aucun texte législatif ou réglementaire n’en donnant une définition claire et précise (durée de résidence, justificatifs exigés), les caisses de sécurité sociale disposent d’un large pouvoir d’appréciation. On constate ainsi des différences d’interprétation et de traitement d’une caisse à l’autre mais aussi, au sein d’une même caisse, d’un guichet à l’autre…
La circulaire du 17 novembre 1998 qui décrit les modalités d’attribution des prestations non contributives illustre parfaitement cette situation. Son appréciation de la résidence en France est particulièrement restrictive. Elle précise, en effet, que « la réalité de la résidence effective » sur le territoire français est une « condition substantielle » de l’attribution des prestations.
En clair, si le fait de posséder un titre de séjour atteste que la personne est en situation régulière au regard de la législation sur le séjour, il ne permet pas de justifier qu’elle vit de « façon permanente » en France.
Les caisses de sécurité sociale sont donc invitées à vérifier cette condition en demandant à l’étranger de produire des documents tels que des avis d’imposition ou de non imposition, des quittances de loyer, de gaz, de téléphone, des relevés d’identité bancaires ou postaux accompagnés d’une attestation de l’établissement bancaire mentionnant qu’il s’agit d’un compte de résident ou de non-résident.
Il est par ailleurs souligné que cette liste est purement indicative et que les agents peuvent tout à fait faire procéder, « en opportunité », à des contrôles instruits par des enquêteurs afin d’établir la situation effective du demandeur.
La circulaire précise enfin que lorsque l’étranger demande que la prestation lui soit versée rétroactivement, il doit être établi « avec certitude » qu’il vivait de façon permanente sur le territoire français (ou dans les DOM) au moment de l’ouverture du droit et pendant toute la période pendant laquelle la rétroactivité est demandée.
Dans certains cas, l’exigence de résidence est associée à une condition de durée de séjour, gage d’une installation stable en France. C’est ce qui se produit avec le revenu minimum d’insertion (RMI) attribué aux seuls étrangers qui résident en France de manière régulière et qui doivent, de plus, être titulaires d’un titre de séjour régulier depuis au moins trois ans. Ces conditions d’accès très restrictives réduisent considérablement les possibilités, pour les étrangers, d’obtenir cette prestation(2). La rupture d’égalité de traitement qui s’ensuit entre Français et étrangers est ici particulièrement contestable dans la mesure où il s’agit d’une prestation légale d’aide sociale qui s’inscrit ouvertement dans le cadre de la politique de lutte contre l’exclusion et qui constitue un des derniers filets de la protection sociale.
L’avis du conseil d’État
Une autre façon d’interpréter la notion de résidence est celle qui donne droit à la couverture maladie universelle (CMU). Mise en place par la loi du 27 juillet 1999 et entrée en vigueur le 1er janvier 2000, la CMU constitue un mode d’accès dérogatoire au régime général de la sécurité sociale. En effet, ce régime de protection sociale en faveur des plus démunis est fondé sur la condition de « résidence stable et régulière » et non plus sur la condition de cotisations professionnelles(3). Bénéficient donc de la CMU les étrangers en situation régulière qui justifient résider en France métropolitaine, ou dans un DOM, de manière ininterrompue depuis plus de trois mois.
Pour les personnes qui ne remplissent pas cette condition de résidence – essentiellement les étrangers en situation irrégulière – subsiste une aide médicale de l’État (AME) dont la gestion est confiée aux caisses de sécurité sociale. Plus généralement, l’aide sociale est ouverte aux personnes, françaises ou étrangères, qui résident en France(4). Parfois, une durée de résidence est exigée : quinze ans ininterrompus avant l’âge de soixante-dix ans pour les allocations aux personnes âgées, trois ans ininterrompus en AME pour les soins de ville.
La notion de résidence étant aujourd’hui une condition principale d’attribution des prestations sociales – au-delà des seules prestations d’aide sociale – la définition claire qu’en donne le conseil d’État, dans son avis du 8 janvier 1981(5), pourrait être largement reprise. Celui-ci a en effet précisé que « La condition de résidence doit être regardée comme satisfaite, en règle générale, dès lors que l’étranger se trouve en France et y demeure dans des conditions qui ne sont pas purement occasionnelles et qui présentent un minimum de stabilité. Cette situation doit être appréciée dans chaque cas en fonction des critères de fait, et notamment des motifs pour lesquels l’intéressé est venu en France, des conditions de son installation, des liens d’ordre personnel ou professionnel qu’il peut avoir dans notre pays, des intentions qu’il manifeste quant à la durée de son séjour ».
L’application systématique de cette interprétation permettrait au droit français de la protection sociale d’être en conformité avec le principe de l’égalité de traitement inscrit dans de nombreux textes internationaux que la France a ratifiés.
Notes
(1) Rappelons que, dans la pratique, le montant des allocations versées est alors d’un niveau très faible, largement inférieur au montant des prestations versées en France.
(2) Voir, sur ce point, Jean-Pierre Lhernould, « Minima sociaux et résidence sur le territoire français », Droit social, avril 1999.
(3) Articles L. 380-1 et R. 380-1 du code de sécurité sociale.
(4) Article 124 du code de la famille et de l’aide sociale.
(5) Apliquée de manière constante par la commission centrale d’aide sociale.
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