Édito extrait du Plein droit n° 68, avril 2006
« (Dé)loger les étrangers »

Vers une immigration jetable

ÉDITO

Le 9 février 2006, le ministre de l’intérieur et le premier ministre ont présenté publiquement, dans le cadre du comité interministériel de contrôle de l’immigration, l’avant-projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration. Pour la deuxième fois, ce gouvernement entend donc modifier en profondeur le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette nouvelle réforme n’a toutefois pas le même parfum que les précédentes : il ne s’agit pas seulement de triturer encore et encore les catégories pouvant prétendre à la délivrance d’une carte de séjour au titre de leurs attaches en France, de précariser toujours plus la situation administrative de ceux et celles qui ont vocation à vivre ici, de repousser toujours plus loin le droit à obtenir une carte de résident. A ce petit jeu, beaucoup de gouvernements se sont essayés.

L’avant-projet revient sur la politique menée depuis trente ans et marquée par le paradigme de la fermeture des frontières à toute immigration nouvelle de main-d’œuvre décidée en juillet 1974. On sait quels effets désastreux sur l’asile et l’immigration familiale ont eus les réformes successives prises au nom de la lutte contre l’immigration clandestine. En écho à la Commission européenne qui, pour des raisons démographiques et économiques, cherche à encadrer une reprise de l’immigration de travail, le gouvernement français veut promouvoir une « immigration choisie ». Au passage, et pour la première fois, il désigne officiellement comme « immigration subie » les membres de famille ou encore les conjoints de Français, dont l’installation repose pourtant sur l’exercice de droits à valeur constitutionnelle.

L’exposé des motifs de l’avant-projet est transparent sur l’esprit de la réforme : « l’immigration demeure aujourd’hui sans rapport avec les capacités d’accueil de la France et ses besoins économiques ». Autrement dit, cette immigration familiale – entendue au sens large – constitue une charge et ne sert pas la France, voire pire la dessert. On relève que l’immigration à des fins professionnelles ne représente à peine que 7% des flux – et pour cause puisque cette immigration est bloquée sur le plan juridique –, alors que l’immigration pour motif familial demeure « dominante » – et pour cause puisque c’est l’une des rares autorisées par la loi. Et l’avant-projet de conclure : « Pour lutter contre l’immigration subie, promouvoir une immigration choisie et une intégration réussie, dans l’intérêt de la France comme dans l’intérêt des pays d’origine, de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires ».

Le premier instrument juridique ne se caractérise pas par la nouveauté : il consiste à poser des conditions supplémentaires pour réduire encore l’immigration non désirée, celles des conjoints de Français en particulier. L’avant-projet en profite pour liquider les possibilités légales de régularisation : ainsi disparaît le droit pour un étranger résidant habituellement en France depuis dix ans d’obtenir « de plein droit » une carte de séjour temporaire.

Le gouvernement se montre nécessairement plus novateur quand il s’agit d’œuvrer pour l’immigration choisie qui se décline en trois volets : en premier lieu la sélection des étudiants étrangers en donnant la possibilité à certains d’entre eux d’accompagner la sortie de leurs études par une première expérience professionnelle, en second lieu la création d’un titre de séjour au nom pompeux de « compétences et talents », enfin l’accès au marché de l’emploi en fonction des pénuries constatées dans certains métiers et zones géographiques, sous un statut plus que précaire puisque le titre de séjour, dont la durée de validité est alignée sur celle du contrat de travail, serait retiré en cas de rupture de la relation contractuelle.

C’est ce dernier volet qui a décidé du nom d’un collectif – Uni(e)s contre l’immigration jetable [1] – réunissant près de trois cents organisations (associations, syndicats et formations politiques) résolues à se battre contre cette nouvelle réforme, dessinant les contours d’un véritable projet de société. Ce projet participe de toute évidence au mouvement de démantèlement du code du travail, qui s’est accéléré en 2005 avec la création des « contrats nouvelles embauches » (CNE) et demain la mise en place des « contrats première embauche » (CPE).

Dans le même temps, le gouvernement entend livrer une véritable guerre aux sans-papiers qui, officiellement indésirables, deviennent plus que jamais les victimes expiatoires de la politique migratoire (celle d’aujourd’hui comme celle de demain). La circulaire du 21 février 2006 « sur les conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière », que le ministre de l’intérieur et le garde des sceaux viennent d’adresser aux préfets et aux procureurs de la République, en est l’expression la plus flagrante et la plus effroyable. Sous couvert d’un juridisme de façade, ce petit « manuel » a vocation à légitimer les contrôles d’identité fondés sur la seule couleur de la peau en organisant les interpellations sur la voie publique dans le cadre de réquisitions du procureur de la République, aux guichets des préfectures à la suite de convocations que le gouvernement a l’outrecuidance d’appeler « loyales », au domicile des étrangers, et enfin dans tous les lieux d’hébergement spécifiques aux populations étrangères.

Ce présent numéro de Plein droit sur le logement tombe à point nommé pour montrer, si besoin en était, comment les hébergements « temporaires » réservés aux étrangers, qu’ils soient demandeurs d’asile ou travailleurs migrants, sont des instruments privilégiés de contrôle et le cas échéant de répression, et peuvent devenir de véritables souricières.




Article extrait du n°68

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Dernier ajout : mardi 3 novembre 2015, 12:44
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