Article extrait du Plein droit n° 68, avril 2006
« (Dé)loger les étrangers »
Menace sur les foyers et leurs résidents
Collectif pour l’avenir des foyers
Les foyers de travailleurs migrants sont des résidences collectives qui comprennent entre une quinzaine et plus de quatre cents lits destinés à héberger des hommes immigrés, vivant seuls et qui, en général, occupent des postes d’ouvriers ou de salariés dans les services de bas niveau.
La chambre d’un foyer peut être une chambre individuelle, entre 5 et 14 m2 avec un simple lavabo. Les équipements sanitaires et les cuisines sont collectifs et à l’étage. La chambre est meublée de la façon la plus sommaire : un lit de mauvaise qualité, un petit placard, une petite table et une chaise, un petit réfrigérateur. Parfois le résident doit superposer ces équipements : la télévision sur la table elle-même posée sur le réfrigérateur ! Dans certains cas, très rares, la chambre est une studette. De très nombreux foyers comportent aussi des chambres à deux ou trois lits. Chaque résident y a son propre placard, mais il n’y a alors pas assez de place pour le reste du mobilier. Enfin, dans certains cas, souvent d’anciennes usines transformées en foyers, ce sont des foyers-dortoirs avec des chambres comportant six à huit lits superposés. Il existe, en plus des chambres, des équipements collectifs plus ou moins importants : salles de télé, d’alphabétisation, de prière, de réunion, cuisines collectives.
Les foyers appartiennent pour moitié à une société d’économie mixte, la Sonacotra, et pour l’autre aux sociétés HLM. Dans ce dernier cas, ils sont gérés le plus souvent par des associations loi 1901. En région parisienne, ce sont l’Aftam, l’Adef ou encore la Soundiata-Nouvelle. Les foyers sont sous le contrôle quotidien d’un « gérant » qui s’intègre dans des structures territoriales sous la coupe du siège social de l’organisme gestionnaire. Les politiques de gestion varient d’un organisme à un autre, tant en ce qui concerne le prix des prestations que la tolérance ou la rigueur exercées envers le mode de vie des habitants.
Le résident de foyer est plus proche juridiquement d’un occupant d’hôtel que d’un locataire. Il n’a pas le statut de locataire et, dans de nombreux cas, l’espace de sa chambre n’est pas considéré comme un espace privatif. Les règlements intérieurs qu’imposent les gestionnaires sont souvent draconiens et considèrent les résidents comme des mineurs sans droits, sans responsabilité et sans vie privée, qu’il s’agit de contrôler et d’assister ; ils ont force de loi et sont annexés au contrat d’occupation. Les loyers sont des redevances comportant un équivalent-loyer, des charges et des prestations (par exemple pour le changement des draps). Ils peuvent être modestes dans les vieux foyers-taudis avec lits superposés, mais pour les foyers « modernes » avec des chambres à un, deux ou trois lits, ils peuvent atteindre 200 ou même 400 € par mois et par lit. Depuis trente, quarante ans, depuis leur départ des taudis et des sous-sols où ils s’entassaient dans la France des années soixante, des dizaines de milliers d’hommes font leur vie dans ces structures.
Les résidents des foyers, notamment ouest-africains, s’organisent de deux manières, l’une traditionnelle : le comité des vieux ou des sages représente toutes les « communautés » ou ressortissants d’un même village ou d’une même région présents dans le foyer ; l’autre politique : des délégués sont nommés pour gérer les contacts avec l’organisme gestionnaire, le monde politique et social extérieur. Ces délégués forment alors un comité de résidents souvent déclaré sous la forme d’une association loi 1901. Les différents comités de résidents d’un même organisme gestionnaire se regroupent pour former une coordination. Les quatre coordinations qui existent s’attribuent toutes une double fonction : soutenir les comités de résidents et être l’organe de médiation et de négociation avec la direction de l’organisme gestionnaire. Aujourd’hui, ces coordinations jouent leur rôle et sont reconnues par les gestionnaires associatifs. Seule la Sonacotra, avec son fonctionnement et sa culture « de type préfectoral », a beaucoup de difficultés à établir le dialogue et la confiance.
Les résidents vivant dans ces foyers sont majoritairement Africains du Nord ou de l’Ouest. Les Maghrébins ont souvent intégré les foyers dès les années soixante et beaucoup sont devenus des personnes âgées qui partagent souvent leur temps entre la France et leur pays d’origine. Ce vieillissement et ces va-et-vient ne vont pas sans poser problème : la carte de retraité qui leur est attribuée est très loin d’être satisfaisante ; l’octroi de l’aide personnalisée au logement, l’APL, étant conditionnée à une occupation permanente, il faut imaginer des solutions de chambres partagées ou de chambres-navette ; les discriminations dans l’accès aux soins, aux minima sociaux, au portage des repas à domicile existent encore à leur encontre ; certains d’entre eux sont dans des situations de dépendance sans solution. En fait, ces résidents vivent dans la plus totale relégation. Pour eux, la France, ça n’est souvent plus que le foyer et les amitiés et solidarités nouées dans ce lieu pendant trente à quarante ans. Ils n’ont pas ou plus de délégués. Si une première impression de tristesse frappe le visiteur, elle se dissipe dès les premiers échanges. Les résidents ont une mémoire très vive de leur vie d’ouvriers qu’ils veulent faire partager. C’est sans doute ce qui est le plus émouvant, ce besoin de parole et de dignité et le peu de cas fait justement de cette parole par les décideurs quand il s’agit de trouver des solutions aux problèmes de vieillissement et de relogement.
Les résidents ouest-africains ont un mode d’occupation des foyers différent. Grâce à la possibilité de se réunir en nombre, grâce à l’existence parmi eux de nombreuses caisses ou tontines et de centaines d’associations œuvrant pour le développement des villages d’origine, grâce aux informations nombreuses en provenance des pays d’origine qui y circulent, les foyers sont devenus des lieux incontournables pour la vie sociale et culturelle des communautés ouest-africaines. Grâce aussi aux multiples petites activités de service et aux nombreuses pratiques de solidarité, les foyers sont, par la force des choses, devenus des lieux d’accueil pour d’autres membres de la famille, du village, des régions d’origine qui ne trouvent pas de logement ailleurs. Des hommes seuls, de plus immigrés, souvent victimes de réactions racistes, n’ont effectivement aucune chance de trouver un logement hors du foyer.
La France des années quatre-vingt, après avoir régularisé 130 000 immigrés sans-papiers dont de nombreux travailleurs vivant dans les foyers, a décidé que ce type de logement ne convenait pas à une politique visant l’intégration des travailleurs étrangers. Il fallait donc arrêter d’en construire et, à une ou deux exceptions près, ce fut chose faite. Mais aucune politique de rechange, aucune structure alternative proposant un logement d’accueil n’ont été mises en place. On a considéré que, progressivement, les immigrés célibataires quitteraient les foyers pour intégrer le logement ordinaire. On ne voyait aucune difficulté particulière pouvant empêcher ce processus.
Lorsque Lionel Jospin a été nommé Premier ministre, en 1997, la France a de nouveau procédé à une régularisation partielle des sans-papiers. Plus de 100 000 étrangers ont obtenu le droit de vivre et de travailler en France. Mais on a continué à considérer que la solution à leur problème de logement se trouvait sur le marché ou dans les HLM.
Usure du bâti et désintérêt des gestionnaires
En même temps, les sociétés gestionnaires ont eu à faire face au vieillissement de leur parc de bâtiments. L’évolution de la société ne les a pas aidées à faire face aux demandes d’investissements nécessaires. La montée du chômage a fait que de plus en plus de résidents prenaient du retard dans le paiement de leurs loyers. De plus, le Fonds d’action sociale (Fas) a peu à peu coupé les subventions destinées aux gestionnaires de foyers. Quant aux propriétaires HLM, ils se sont, pour leur grande majorité, complètement désintéressés de l’état de leurs foyers et des conditions de vie des résidents. Les conséquences de cette situation ont été, notamment dans les foyers à majorité ouest-africaine, la sur-occupation, le délabrement, les déficits de fonctionnement, des cas de tuberculose…
Déjà en 1996, le gouvernement d’Alain Juppé avait commandé au parlementaire Henri Cuq un rapport sur la situation dans les foyers de travailleurs immigrés. Le rapport recommandait la démolition d’une vingtaine de foyers très vétustes et de grandes modifications dans le fonctionnement des autres, en particulier pour casser le mode de vie des résidents ouest-africains accusé d’être communautariste et en dehors de la loi républicaine.
Les gouvernements de droite puis de gauche, devant le délabrement des foyers et les risques multiples encourus par leurs habitants, ont dû élaborer un programme de réhabilitation et de rénovation appelé « plan quinquennal de traitement des foyers ». Une Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (Cilpi) a été mise sur pied pour piloter ce programme. Mais devant les obstacles (fonctionnement interministériel compliqué, plans de financement longs à élaborer, prix du foncier très élevé à Paris et en Ile-de-France, etc.) et les résistances municipales (l’immense majorité des maires refusant les permis de construire), ce plan quinquennal signé d’abord pour les années 1997-2002 a dû être prolongé jusqu’en 2006. En 2006, dans les différents départements de l’Ile-de-France, ce sont entre le quart et la moitié des foyers inscrits au plan qui ne seront toujours pas réhabilités !
Au début des années quatre-vingt, l’accès à l’APL avait été étendu aux résidents vivant dans des foyers correspondant aux normes exigées en termes d’équipements sanitaires ou de superficie (9 m2 minimum pour une chambre). En 1997, un décret a décidé de transformer peu à peu les foyers en « résidences sociales », à condition qu’ils soient réhabilités et mis aux normes. Une résidence sociale est un logement collectif de petite taille destiné à accueillir pendant une période ne dépassant pas deux ans des personnes « en difficulté » : handicapés, personnes sortant de prison ou luttant contre la dépendance vis-à-vis de l’alcool ou de la drogue, mères célibataires, jeunes à très petits revenus, etc. Il s’agit d’organiser un accompagnement social dont l’objectif premier est de faciliter le passage vers le logement dit « ordinaire ».
Les travailleurs immigrés vivant durablement dans les foyers, la transformation de ceux-ci en résidences sociales devait, logiquement, au vu des discours sur l’intégration et la nécessité d’intégrer le droit commun, rapprocher le statut des résidents de celui des locataires. C’est en fait tout le contraire qui se passe. Les travailleurs immigrés sont considérés comme des cas sociaux, des handicapés à accompagner et à contrôler. Ils sont plus que jamais des mineurs. Comme rien n’a été prévu pour « faciliter leur passage vers le logement ordinaire », hypocritement, la contrainte des deux ans de séjour maximum a été levée pour eux.
Loger, contrôler et reléguer
Dans les années soixante, le concept du foyer-tour (que l’on a fait construire en très grand nombre et gérer par la Sonacotra) répondait à plusieurs préoccupations : octroyer aux travailleurs immigrés de meilleures conditions de logement en leur donnant accès à un lit voire à une chambrette, empêcher qu’ils puissent, comme les travailleurs algériens l’avaient fait dans les bidonvilles, s’auto-organiser, les contrôler étroitement en les encasernant dans des « foyers-prisons » et les reléguer le plus loin possible des centres-villes et le plus près possible des « bassins d’emploi » pour qu’ils comprennent bien qu’ils n’étaient que de passage, devant quitter le pays quand l’économie française n’aurait plus besoin d’eux.
Aujourd’hui, le foyer-tour n’est plus de mise, pas plus que le gérant, ancien de la guerre d’Algérie, ou le règlement interdisant toute visite et toute réunion. La relégation prend de nouvelles formes. Les foyers doivent être invisibles dans les quartiers, leurs habitants « s’intégrer ». Les pouvoirs publics entendent utiliser ces structures, en les transformant un peu, pour loger des « personnes en difficulté » y compris des travailleurs en contrat temporaire, en particulier d’Europe de l’Est.
La répression brutale de la Sonacotra
L’idée a ainsi pris forme de briser deux caractéristiques de ces foyers considérées comme nocives et anti-républicaines : le fait que les résidents proviennent d’une même origine et puissent y reconstruire et défendre leur mode de vie traditionnel particulier, baptisé alors « communautarisme », et le fait que l’organisation politique et sociale interne de ces résidents leur donne effectivement un pouvoir de co-gestion sur la vie du lieu.
C’est la politique répressive de la Sonacotra qui illustre le mieux ce désir de casser toute velléité d’organisation et d’autonomie. On sait qu’en Ile-de-France, la sur-occupation des foyers est importante. Avec la crise massive du logement pour les travailleurs pauvres, ce phénomène, plutôt repérable dans les foyers habités par les travailleurs ouest-africains, a tendance à se développer aussi dans les autres communautés. Pour « lutter contre la sur-occupation », la Sonacotra a choisi la voie de la répression brutale : au petit matin, accompagnés de forces de police, des huissiers font irruption dans le foyer pour contrôler l’occupation des chambres : un matelas supplémentaire, des lettres au nom d’une deuxième personne… constituent une présomption d’hébergement illicite. Le résident est traîné en justice. Le juge, considérant que le foyer est un « foyer-hôtel » où le résident est un hôte de passage sans droit au respect de sa vie privée condamne à l’expulsion.
Un premier contrôle de ce type a eu lieu à Paris dans le 11ème arrondissement au foyer Fontaine au Roi, le 2 juin 2005, à 6 heures du matin. Les résidents ont eu l’impression d’être traités comme des criminels alors que, pour eux, héberger leurs proches, « ne pas les laisser à la rue », relève d’une solidarité élémentaire à laquelle ils ne peuvent, en aucun cas, se soustraire. La riposte s’est organisée : pétition, manifestation, délégations à la mairie et à la Sonacotra, constitution d’un réseau de solidarité… La Sonacotra a récidivé le 19 septembre. Cette fois-ci, les résidents se sont massés en bas du foyer et ont refusé le contrôle. Aussi, le 30 septembre au petit matin, ce sont vingt cars de policiers qui ont bouclé le quartier et assiégé le foyer, empêchant les résidents de sortir pour aller travailler et utilisant même les gaz lacrymogènes. La démesure était à son comble, la colère aussi. Les résidents se sont mobilisés et ont manifesté. Le jour du procès, ils étaient encore plus nombreux dans la salle du tribunal d’instance. Le 9 décembre, le verdict est tombé : les résidents ont été condamnés à l’expulsion.
L’avenir des foyers est devenu un enjeu de volontés politiques contraires de la part des pouvoirs publics d’un côté, des résidents et des gens qui les soutiennent de l’autre. L’actualité récente l’atteste. L’association Soundiata-Nouvelle qui gère une vingtaine de foyers en région parisienne vient de déposer le bilan. La loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000, qui avait institué, dans chaque foyer, un conseil de concertation regroupant les représentants du gestionnaire, des résidents et du propriétaire, et « toute personne dont la compétence est jugée utile », vient d’être vidée de son sens par la loi « Engagement national pour le logement ». Les résidents sont à nouveau renvoyés au face à face avec le gestionnaire.
Pour les vingt-six foyers de la capitale, l’année 2006 sera décisive. La mairie de Paris a en effet décidé de piloter les réhabilitations et de faire de ces foyers des logements de qualité avec chambres individuelles et relogement de tous les résidents. Quant au gouvernement, son ministre de l’intérieur, qui se veut « efficace » dans sa chasse aux sans-papiers, multiplie les contrôles policiers aux abords et parfois même à l’intérieur de certains foyers. Les projets de loi actuels en matière d’immigration font craindre le pire, le retour aux rafles et aux expulsions massives. Les foyers présentés comme des lieux dangereux hors droit commun sont menacés et leurs résidents en danger. ;
COLLOQUE SUR LES FOYERS
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