Article extrait du Plein droit n° 4, juillet 1988
« L’emploi immigré dans la crise »
L’immigration en France vue de l’étranger
Il n’y a pas que les Français qui s’interrogent sur les immigrés. La présence des immigrés, la montée du racisme en France, ne manquent pas d’intéresser nos voisins, proches ou lointains, surtout lorsque les immigrés… viennent de chez eux.
Un ouvrage paru récemment [1] montre comment la presse étrangère juge les Français. Les auteurs y présentent des morceaux choisis de la presse internationale, donnant un éclairage original sur la vie quotidienne en France. Ce regard extérieur sur la France, s’il est fragmentaire et partiel, n’en est pas moins révélateur.
La presse étrangère souligne ainsi, avec malice ou gravité selon les cas, les contradictions existant entre les idéaux universalistes de 1789 dont la France se veut toujours un ardent défenseur, la France terre d’accueil… et les pratiques actuelles, surtout depuis mars 1986. Le Business Week (États-Unis) va même jusqu’à écrire : « La patrie des Droits de l’homme est probablement devenu le pays le plus xénophobe d’Europe » (22.12.86). Une réelle réprobation morale et politique est perceptible, peut-être plus aiguë encore lorsqu’elle émane de pays directement concernés, dont nombre de concitoyens sont des immigrés en France (pays arabes, Afrique…). L’Inde, peut-être par solidarité tiers-mondiste, s’associe à cette condamnation, qui émane également des pays occidentaux.
Rares sont les articles sur l’immigration qui ne contiennent pas de 46 considérations sur la progression du racisme. Le poids de l’histoire, en particulier de la décolonisation, et l’importance du nombre des étrangers en France sont fréquemment mentionnés. On trouve également évoqués des thèmes comme l’insécurité, le terrorisme, la violence, le SIDA. Mais dans l’ensemble on impute à la crise économique et au chômage la montée du racisme en France.
Certains journaux n’hésitent pas à qualifier de « terrorisme d’extrême droite » (Rude Pravo 28.7.86) les actes racistes dont sont victimes certains immigrés. Les correspondants étrangers n’échappent pas toujours à la technique de la généralisation, parfois excessive : à partir d’un fait divers, on exagère soit l’insécurité qui existerait à Paris à cause des immigrés, soit à l’inverse les violences dont sont victimes les immigrés.
Le SIDA, également, et les amalgames qu’il entraîne, suscite l’inquiétude, notamment dans la presse africaine qui dénonce sur ce point les campagnes de l’extrême-droite. « Visa, Francia, Sida », titrait ainsi, avec dérision le journal sénégalais Le Politicien (27.10.86), tandis qu’un journal de Koweit (19.3.1987) accuse l’extrême-droite d’être à l’origine de la rumeur « condamnant » Isabelle Adjani, prétendument malade du SIDA.
La presse réagit de façon particulièrement vive lorsque l’intérêt de ses ressortissants est en jeu. Ainsi, la presse mauricienne fait état du renvoi de 300 Mauriciens en six mois, tout comme la presse malienne réagit très vivement à l’épisode du charter des 101 Maliens par un article intitulé « Les boucs émissaires » (L’Essor, 25.10.86). L’Expresse (20.9.86) ne peut pour sa part s’empêcher de mettre en lumière le souhait de la communauté portugaise de ne pas être confondue avec la communauté maghrébine.
Hormis quelques articles naïfs, la situation des immigrés en France est décrite dans l’ensemble de façon assez fidèle, et dans des termes assez sensiblement comparables à ceux de la presse française. Les jugements portés sur les hommes politiques sont souvent assez voisins. Le gouvernement Chirac est présenté dans l’ensemble comme dur et conservateur ; et au sein du gouvernement, MM. Pasqua et Pandraud sont particulièrement cités. On souligne en revanche l’impuissance du Président de la République, en dépit de son discours antiraciste.
Mais c’est surtout Le Pen qui a acquis une notoriété presque mondiale. Le score du Front national aux élections législatives de mars 1986 est évoqué à plusieurs reprises. Les clichés s’exportent bien, y compris ceux du Front national sur lui-même : « Trois millions de chômeurs, c’est trois millions d’immigrés en trop », « Jean-Marie Le Pen dit tout haut ce que les Français pensent tout bas »… L’opinion française est globalement créditée de « lepénisme ». Aucune allusion n’est faite aux mouvements de soutien aux étrangers. Un journal tunisien nuance cependant cette vision à partir d’une analyse des sondages sur le racisme : « Les Français expriment plus à l’égard des immigrés une inquiétude sous-jacente, certainement née d’une appréhension chauvine « xénophobe », qu’un rejet, et encore moins une adhésion à une idéologie raciste » (Le Temps, 19.7.86).
Le rétablissement des visas, la loi Pasqua de septembre 1986, le projet de réforme du code de la nationalité suscitent l’inquiétude dans de nombreux pays. Cette dernière réforme remet en cause la tradition française d’assimilation en vigueur depuis le Code civil, estime Le Soir (Belgique, 6.10.86). Quelques mois plus tard, The Hindu (Inde, 17.3.87) propose une analyse plus politique du projet, élaboré pour satisfaire « les partis de droite qui profitent du sentiment raciste ». Selon ce même journal, ce serait une ample manifestation de « 30.000 intellectuels » qui aurait fait reculer le gouvernement. Plus nuancée est la Frankfurter Allgemeine (RFA, 27.10.86), qui estime que « la France doit rester la France » : il s’agit d’un débat franco-français entre l’arrière-pensée des socialistes, pluri-culturels, tournés vers la Méditerranée, et l’état d’esprit des Français, plutôt favorables à un octroi plus restrictif de la nationalité française.
Une consolation (si l’on peut dire), dans ce tableau peu flatteur de la France qui se dégage de la lecture de la presse étrangère : la sensibilité à la question de l’immigration en France est souvent très liée aux préoccupations propres des pays considérés, et non exempte d’un certain… chauvinisme.
Notes
[1] Yves Daudu, Les Français à la une. La presse étrangère juge les Français. La Découverte, 1987.
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