Article extrait du Plein droit n° 4, juillet 1988
« L’emploi immigré dans la crise »
Europe : vers un double marché du travail ?
Grâce à la libre circulation des étudiants et une progressive normalisation des diplômes, le marché européen offrira sans doute des opportunités individuelles aux travailleurs hautement qualifiés. Mais il n’en ira pas de même pour les moins qualifiés, pour ceux qui sont jugés les moins performants par les entreprises, et qui risquent de se trouver de plus en plus dans une position « immobile ».
Les travailleurs immigrés, en raison de leur itinéraire et de leur implantation géographique en France, sont encore massivement employés dans l’industrie et le secteur du B.T.P. (66,3 %), même si l’on note qu’une partie croissante d’entre eux se retrouvent dans les services (cafés, restaurants, PME). Ils appartiennent donc à la catégorie des salariés les moins qualifiés, pour lesquels le moins d’efforts sont consentis, même lorsqu’il s’agit de travailleurs en situation régulière. La flexibilité de cette main-d’œuvre, qui donne du « mou » aux entreprises et rend son rôle indispensable, a tendance à s’accroître. Au moment où se préparent les grandes manœuvres européennes, une bonne partie des travailleurs immigrés se trouvent dans une position particulièrement fragile.
Ils resteront en effet fixés dans des emplois « bas-de-gamme », dans la mesure où la divergence entre l’évolution des emplois qualifiés et celle des emplois non qualifiés ira en s’accentuant. D’autant que la pression du chômage les dissuadera d’aller tenter leur chance ailleurs.
Une plus grande vulnérabilité
On voit alors se dessiner un repli sur les notions de développement local, avec le rôle que peuvent jouer les micro-entreprises, les entreprises intermédiaires, les emplois précaires et petits boulots, etc. Cela semble rencontrer la dynamique que l’on observe par ailleurs chez les jeunes issus de l’immigration, attirés vers le tertiaire et les activités de survie (voir article p. 14).
Mais les conséquences de l’instauration du marché européen sur les activités non salariées sont encore difficiles à apprécier. Elles le sont particulièrement en ce qui concerne la prestation de services qui entre dans des catégories comme : intérim, location de personnel, etc., puisqu’une entreprise d’intérim pourra offrir ses services dans un autre État membre que celui auquel elle appartient, sans avoir besoin d’aucune installation. S’ouvrent alors de très larges possibilités de contourner le droit du travail, comme l’attestent des exemples récents dont la presse s’est fait l’écho (voir article et encadré p. 14).
Ces exemples, qui touchent des immigrés appartenant à la Communauté, peuvent être extrapolés aux ressortissants de pays tiers : l’internationalisation des entreprises va dans ce sens. On peut imaginer sans difficulté une entreprise belge embauchant en intérim, sur le territoire français ou néerlandais, des Turcs installés en Allemagne.
Les grandes entreprises recourent davantage à l’intérim et aux contrats à durée déterminée, les petites entreprises à l’emploi d’étrangers « sans papiers ».
Il est donc à peu près certain que les immigrés originaires de pays tiers seront dans une situation de plus grande vulnérabilité que les étrangers ressortissants de la CEE (parmi lesquels il faudra d’ailleurs distinguer entre « hautement qualifiés » et « piétaille »). Et cette vulnérabilité ira inéluctablement en s’aggravant. On sait en effet que si chaque État conserve ses prérogatives propres pour déterminer les conditions d’entrée, de séjour et d’accès à l’emploi des ressortissants des États tiers, les vœux de la Communauté la portent néanmoins à définir une politique commune en la matière. Or l’harmonisation entre des politiques qui mettent en jeu l’exercice de la souveraineté nationale se fait en règle générale par le bas…
Partenaires sociaux : un rôle déterminant à jouer
Vis-à-vis des étrangers peu qualifiés, les entreprises en quête de compétitivité pourront adopter une stratégie en deux temps : d’abord, fixer les moins qualifiés dans certains emplois, s’appuyer sur le « traitement social » du chômage, puis délocaliser cette main-d’œuvre en exploitant les différences de réglementation entre pays et en utilisant les formes du droit du travail les plus avantageuses pour elles.
Dans cette perspective, l’importance de la protection sociale sera encore plus grande que par le passé. Or on sait qu’en ce domaine également la situation est loin d’être favorable aux travailleurs immigrés qui sont encore l’objet de bien des discriminations. Dans cette matière, comme en matière de formation des publics les plus fragiles et en matière de droit au travail, le rôle des partenaires sociaux sera déterminant. Quelle place feront-ils aux populations d’origine étrangère ? C’est là une question décisive, puisque celles-ci sont fixées dans certains secteurs du marché du travail où elles jouent, comme on l’a vu, un rôle économique indispensable.
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