Article extrait du Plein droit n° 40, décembre 1998
« Les ratés de la libre circulation »

L’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale : Des candidats sous surveillance

Adèle de Cournu

Adèle de Cournu est un pseudonyme
Comment l’Union européenne va-t-elle passer, au début du XXIe siècle, de quinze à vingt-cinq membres ? Quels critères les Etats candidats à l’adhésion devront-ils remplir pour pouvoir intégrer la Communauté ? La liberté de circulation s’exercera-t-elle d’emblée dans tous les domaines ? D’ores et déjà, on peut prendre la mesure des réticences des Etats membres de l’Union à accorder la libre circulation aux ressortissants des pays candidats de l’Europe centrale et orientale.

Le 12 mars 1998 se tenait la première Conférence européenne regroupant les quinze États membres de l’Union et les États candidats à l’adhésion de cette communauté à l’exception de la Turquie. En tout, vingt-six États ont jeté les bases d’un élargissement sans précédent de l’Union européenne. L’ouverture officielle des négociations au niveau des ministres des affaires étrangères a été fixée au 30 mars suivant. Elles concernent à des degrés divers la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovénie, l’Estonie, la Bulgarie, la Roumanie, la Lituanie, la Lettonie et la Slovaquie.

Le processus va également s’appliquer à Chypre, représenté lors de la Conférence européenne, dont le statut n’est cependant pas comparable à celui des autres candidats. Pour Chypre, en effet, qui a déjà transposé une partie importante de la réglementation communautaire dans son droit interne et dont le revenu par habitant est comparable à celui de l’Espagne, le principe de l’adhésion déjà retenu par le Conseil européen à Florence, en juin 1996, fait l’objet d’une opposition politique de la part de la Grèce. Malgré l’ouverture officielle des négociations, l’intégration de Chypre sera compromise tant que les deux communautés grecque et turque n’auront pas mis fin à leur conflit. Le refus toujours opposé par l’Union à la propre demande d’adhésion de la Turquie risque de durcir encore sa position. Bien qu’invitée à la Conférence européenne, la Turquie a ainsi refusé de participer aux travaux.

Compte tenu de ces particularités, les cas de Chypre, de la Turquie ainsi que celui de Malte qui a retiré pour l’heure la candidature qu’elle avait déposée, ne feront pas l’objet d’un plus ample développement dans cet article.

Si la phase de négociation est maintenant officiellement ouverte avec les dix pays de l’Est, dits « PECO », les dates auxquelles les adhésions pourront prendre effet demeurent incertaines : prévues pour les années 2003 ou 2004, soit après la mise en œuvre complète de la monnaie européenne et l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, les premières adhésions ne seraient désormais envisagées que vers 2005 voire 2007 pour des raisons budgétaires.

Il reste que la pression des États candidats est très forte et qu’elle reçoit un soutien important de certains États tels que l’Allemagne ou l’Autriche qui voient dans cet élargissement un rééquilibrage en faveur de zones géographiques sur lesquelles ils jouissent d’une grande influence.

Il ne s’agit pas du premier élargissement de la Communauté : créée par le traité de Rome en 1958 par six États (l’Allemagne, la France, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et le Luxembourg), elle a intégré en 1972 la Grande-Bretagne, le Danemark et l’Irlande, en

1981 la Grèce, en 1986 l’Espagne et le Portugal et enfin, en 1995, la Suède, l’Autriche et la Finlande. Chacune de ces étapes de la construction européenne a, bien entendu, ses propres spécificités étroitement liées au niveau de développement économique et social de l’État candidat.

Un élargissement sans précédent

L’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale et orientale est pourtant sans commune mesure avec toutes ces adhésions pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, les demandes émanent de dix États à la fois. Ceci ne va pas être sans remettre en question le fonctionnement même des institutions de l’Union européenne. Comment, en effet, faire vivre une communauté forte de vingt-cinq États membres sur des bases établies le plus souvent lorsqu’elle n’en comprenait que six ? Bien que soulevée pendant la conférence intergouvernementale de 1996, cette question n’a pas encore trouvé de réponse sinon, de façon indirecte, dans la possibilité offerte par le traité d’Amsterdam d’avancer dans la construction européenne de façon inégale en recourant à la clause de coopération renforcée.

Elle est cependant incontournable si l’on veut que les institutions puissent réellement continuer à prendre des décisions. On doit donc s’attendre, avant tout élargissement de l’Union, à ce que des modifications soient apportées, notamment dans les modalités du droit de vote au Conseil, la composition de la Commission, voire de la Cour de Justice, ou la limitation de la liste des décisions adoptées à l’unanimité telles que, par exemple, celles qui s’appliquent dans le domaine de la libre circulation des personnes.

D’autre part, les États candidats représentent 100 millions de nouveaux citoyens européens qui s’ajouteront aux 370 millions d’habitants de la Communauté actuelle. Il s’agit par conséquent de la création d’un vaste espace de libre circulation des personnes, si l’on compare, par exemple, avec les États-Unis dont la population s’élève à 263 millions d’habitants. Les conditions dans lesquelles la libre circulation va être assurée demeurent encore très imprécises, et les interrogations sont d’autant plus grandes que les inégalités en matière de revenus sont importantes. Le revenu moyen par personne des pays candidats est en effet équivalent à 32 % de la moyenne communautaire.

Troisième aspect de cet élargissement sans précédent : le niveau de développement économique des candidats. Très inférieur à celui des États membres de la Communauté, le PIB des candidats réunis représente environ 5 % du PIB des quinze États, soit celui des seuls Pays-Bas.

On peut observer, enfin, qu’il s’agit de pays encore récemment soumis à une économie fermée pour qui l’adhésion va constituer un point de non retour d’entrée dans le libéralisme économique. Si l’on peut saluer l’avancée démocratique qui peut en résulter en terme de respect des minorités par exemple, on ne peut cependant éviter de s’interroger sur les réelles possibilités de choix qui s’offrent aux populations des États candidats quant à un modèle de société qui leur est imposé dans le cadre de la négociation qui s’ouvre.

Ce sont les chefs d’États et de gouvernements des États membres de l’Union qui ont fixé, dès le Conseil européen de Copenhague des 21 et 22 juin 1993, les critères que devront remplir les pays candidats à l’adhésion, en s’inspirant, dans les grandes lignes, d’un rapport de la Commission sur l’Europe et son élargissement de 1992. Ce Conseil a également indiqué qu’il conviendrait de tenir compte de la capacité de l’Union à accueillir de nouveaux membres. Ces critères sont de trois ordres : politique, économique et d’aptitude, pour l’État candidat, à assumer les obligations résultant de l’adhésion.

La stratégie de pré-adhésion

Depuis lors, les Conseils européens successifs ont précisé les conditions dans lesquelles le processus pourra se mettre en œuvre : le Conseil européen d’Essen, en décembre 1994, a arrêté une stratégie globale de rapprochement des pays candidats de l’Union européenne.

Cette stratégie de « pré-adhésion » va comprendre l’instauration de « relations structurées » qui « favoriseront la confiance mutuelle et mettront en place un cadre pour l’examen des questions d’intérêt commun ». Ce processus a été renforcé par le Conseil européen de Dublin, en décembre 1996, d’où il ressort que, au-delà des négociations menées avec chaque pays, des discussions multilatérales sont préconisées sur des sujets ad hoc.

Sur demande du Conseil, c’est la Commission qui va présenter, dans sa communication « Agenda 2000 », la première analyse détaillée des critères retenus et leur application aux candidats à l’adhésion.

Avant d’en venir au contenu des critères, il importe de dire quelques mots du processus de pré-adhésion mis en œuvre. Il consiste en un dispositif d’encadrement unique(1), bien que les candidats aient été répartis en deux groupes : ceux qui, selon la Commission, seraient susceptibles de remplir les conditions pour entrer dans l’Union dès 2004 (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovénie, Estonie) et les autres, pour lesquels aucune date d’adhésion n’est encore envisagée (Bulgarie, Roumanie, Lituanie, Lettonie, Slovaquie). Ce dispositif s’articule autour de deux axes.

D’une part, un instrument intitulé « partenariat pour l’adhésion » établi pour chaque pays(2) qui contient, de façon très précise, les objectifs fixés par le Conseil de l’Union au candidat, à court et moyen terme, dans tous les domaines : politique, économique, social, mais aussi ceux relevant de la politique extérieure ou des affaires intérieures et de la justice. Il contient, en contrepartie, les principaux instruments de l’assistance technique et financière proposée par la Communauté pendant la phase de pré-adhésion (il s’agit essentiellement de l’aide financière apportée au travers du programme PHARE).

Un instrument de contrôle très contraignant

Il est intéressant de noter à cet égard qu’une disposition particulière de tous ces partenariats dispose que cette assistance technique n’est versée à l’État candidat que s’il respecte les obligations imposées et qu’il « continue à progresser dans la voie des critères définis à Copenhague et dans la mise en œuvre du présent accord de partenariat ». Par ailleurs, un suivi de la mise en œuvre sera réalisé dans le cadre de l’accord européen et par la Commission.

Deuxième axe du partenariat : la tenue d’une conférence européenne annuelle regroupant les États membres de l’Union et tous les pays ayant vocation à adhérer, dont l’objectif serait de constituer un cadre de dialogue et de coopération permettant d’évoquer des questions transversales. Il apparaît surtout que les domaines d’activité définis pour la conférence recouvrent en réalité ceux qui ne relèvent pas encore d’une politique communautaire.

Il s’agit de quatre domaines : les questions de politique étrangère et de sécurité intéressant l’ensemble européen ; la lutte contre le trafic de stupéfiants, les autres formes de criminalité et l’immigration clandestine ; le développement institutionnel et l’affirmation de l’État de droit ; la coopération économique et les projets d’intérêt commun (réseaux, sûreté nucléaire, Organisation mondiale du commerce…). Entre les rencontres annuelles des chefs d’État et de gouvernements, des réunions ministérielles spécialisées seront convoquées, si nécessaire, sur des sujets précis.

Cette instance n’est pas sans soulever des interrogations, ne serait-ce qu’en raison de l’étendue des sujets qu’elle est susceptible d’aborder et qui dépassent largement le cadre de la compétence communautaire. Si elle a été critiquée par certains États car elle ne constituait qu’une compensation accordée aux pays candidats dont la date d’adhésion n’avait pas encore été envisagée, on peut également lui reprocher d’être un instrument de contrôle très contraignant pour les pays candidats dont la marge de manœuvre dans la négociation d’adhésion est déjà très étroite.

On peut aussi s’étonner de l’absence complète d’association des représentants des pouvoirs parlementaires des États, ce qui aurait pu conduire à une meilleure intégration des populations concernées, tant de l’Union que des pays candidats, à ce processus d’adhésion qui aura incontestablement de grandes conséquences sur les conditions d’existence en Europe.

En ce qui concerne les critères fixés par le Conseil européen de Copenhague, ils ont servi de base à l’examen des candidatures par la Commission et à sa proposition, en mars 1998, d’ouverture officielle de négociations avec cinq pays dont elle considère qu’ils remplissent les conditions ou sont susceptibles de les remplir prochainement.

Fonctionnement démocratique et protection des minorités

Le critère politique a été défini dans les conclusions du Conseil européen de Copenhague, qui a indiqué que « l’adhésion requiert de la part du pays candidat qu’il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’Homme, le respect des minorités et leur protection ». La Commission va tenter de l’appliquer, non de façon formelle en s’en tenant à la lettre des principes repris dans les textes constitutionnels, mais en examinant l’application pratique des différentes composantes. Elle s’est référée, notamment, à des évaluations effectuées par les États membres, à des rapports et des résolutions du Parlement européen ou à des travaux d’instances internationales ou d’organisations non gouvernementales.

Le résultat est cependant quelquefois contradictoire : c’est ainsi qu’elle considère que, concernant la démocratie et l’État de droit, tous les pays candidats possèdent des constitutions garantissant les libertés démocratiques, notamment le pluralisme politique, la liberté d’expression et la liberté de culte, de même qu’ils disposent d’institutions démocratiques et de pouvoirs judiciaires indépendants. Ceci n’exclut pourtant pas qu’elle émette des observations sur la nécessité, par exemple pour la Pologne, d’améliorer le fonctionnement de la justice, de préserver la liberté de la presse et des journalistes… alors même que ce pays est retenu comme un « véritable candidat ».

Outre le fonctionnement démocratique des institutions, la protection des minorités a, semble-t-il, fait l’objet d’une attention particulière. Il est vrai que celles-ci constituent souvent une partie importante de la population que la création récente des États n’a pas encore complètement assimilée : c’est ainsi, par exemple, que les minorités représentent 44 % de la population en Lettonie, dont 34 % d’origine russe, et 38 % en Estonie, dont 30 % d’origine russe.

Dans ces deux pays d’ailleurs, la Commission relève les difficultés rencontrées par les ressortissants russes, considérés comme des « non citoyens », juridiquement apatrides, lorsqu’ils ne remplissent pas les conditions très strictes fixées par les autorités nationales en matière de connaissance de la langue, de l’histoire et des institutions du pays. Cette constatation ne semble cependant pas avoir été suffisante pour exclure l’Estonie du premier groupe des pays candidats alors que la Lettonie voit sa candidature repoussée à plus tard, en raison en réalité d’une instabilité politique due à un gouvernement qui rassemble des sensibilités allant de la gauche modérée à l’ultra-nationalisme.

La protection de la minorité tzigane présente sur le territoire de plusieurs pays candidats (5 % de la population en Hongrie, Bulgarie et Slovaquie, 4 % en Roumanie) fait également l’objet d’observations de la part de la Commission bien qu’elle n’ait réellement constitué un obstacle à l’adhésion future que pour la Slovaquie. Le critère économique vise « l’existence d’une économie de marché viable » et la « capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union ». Selon la Commission, aucun des pays ne remplit les deux critères de Copenhague. Elle souligne seulement que les pays candidats ont accompli des progrès considérables. Elle ne retient sur cette base que cinq pays ayant une économie de marché viable (Estonie, Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovénie) et la Slovaquie qui en est très proche.

Le troisième critère enfin porte sur la capacité du pays candidat à assumer les obligations de l’adhésion et, notamment, à souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire. La Commission observe que tous les candidats peuvent participer à la politique économique et de sécurité commune (PESC) et, dans peu de temps, à la politique monétaire. La plus grande difficulté concerne la reprise de l’acquis communautaire.

La Commission distingue les pays qui devraient être en mesure de reprendre l’essentiel de l’acquis à moyen terme (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), ceux qui peuvent le faire à moyen terme à condition d’avoir accompli des efforts considérables (Estonie, Lituanie, Lettonie et Slovénie) et ceux qui ne peuvent pas satisfaire les conditions (Bulgarie et Roumanie).

C’est sur ces deux critères que la pression communautaire s’exerce de la manière la plus forte alors même que les pays candidats ont l’impression de faire déjà des efforts d’adaptation très importants. La Pologne, qui vient en troisième position après la République tchèque et la Hongrie pour l’adaptation de sa législation, en ayant rendu conformes à la législation communautaire huit mille textes sur environ vingt mille, n’hésite pas aujourd’hui à critiquer l’attitude trop autoritaire des autorités bruxelloises.

De nombreux parlementaires polonais ont ainsi déclaré que le partenariat d’adhésion était trop ambitieux, « irréel » et « injuste » dans ses exigences, notamment en matière d’aides publiques, de politique anti-monopole, de libéralisation totale des mouvements de capitaux.

L’adhésion d’un nouvel État au traité instituant la Communauté a, bien entendu, pour conséquence l’application intégrale des dispositions dudit traité et, notamment, des quatre grandes libertés de circulation : des marchandises, des personnes, de l’établissement et des prestations de services et, enfin, des capitaux. Le passé nous rappelle cependant que, si la liberté de circulation des marchandises est réalisée dès la date d’entrée en vigueur de l’adhésion, il n’en est pas de même pour ce qui est de la libre circulation des personnes.

Quelle circulation des personnes ?

Concernant l’adhésion des pays pour lesquels les États fondateurs de la Communauté craignaient, à tort d’ailleurs, un déplacement massif de population des régions à plus faible revenu vers les pays plus « riches », des périodes transitoires ont été imposées dans les traités d’adhésion. Les ressortissants grecs n’ont ainsi bénéficié de la libre circulation des personnes que le 1er janvier 1988, soit sept ans après l’adhésion de leur pays à la Communauté. Les Espagnols et les Portugais se sont vu également imposer une telle période transitoire bien que celle-ci ait été écourtée d’une année. Qu’en sera-t-il pour les ressortissants des pays candidats de l’Europe centrale et orientale ?

Une réponse précise ne peut être apportée aujourd’hui à cette question. Il est toutefois possible de se référer à quelques données pour prendre la mesure des réticences des États membres de l’Union et des conditions qui seront imposées dans le cadre du processus d’adhésion.

Les accords d’association conclus avec tous les pays candidats, depuis 1991, donnent une idée de l’absence réelle d’une volonté d’ouverture du marché européen aux ressortissants de ces pays. Ainsi, contrairement à l’accord d’association conclu entre la Communauté et la Turquie, ces accords ne contiennent aucune disposition permettant la liberté de circulation ou de séjour des travailleurs ou le libre accès au marché du travail. Ces ressortissants demeurent par conséquent soumis à la législation nationale de l’État dans lequel ils souhaitent séjourner.

Ces accords comprennent par ailleurs une période transitoire de dix ans, au-delà de laquelle le Conseil d’association examinera les moyens d’améliorer la circulation des travailleurs, compte tenu de la situation économique du pays candidat et de la situation de l’emploi dans la Communauté. Il pourra alors émettre des recommandations. En d’autres termes, les accords ne contiennent aucune disposition contraignante susceptible d’assurer l’exercice de la libre circulation des travailleurs des pays candidats. Concernant la liberté d’établissement, on relève également que, si son principe est acquis dans les accords d’association, le droit d’établissement exercé par des personnes individuelles est reporté, dans certains cas, de plusieurs années après l’entrée en vigueur de l’accord.

Ce sont donc des droits limités qui sont accordés aux ressortissants des États d’Europe centrale, dont on ne peut espérer une interprétation de la Cour de justice comparable à celle qui a concerné les dispositions applicables aux ressortissants turcs, en matière de séjour, et aux ressortissants maghrébins, en matière d’égalité de traitement dans le domaine des droits sociaux.

Les « partenariats pour l’adhésion » donnent, pour leur part, des indications plus précises sur les attentes des États membres. En matière de libre circulation des ressortissants communautaires, tous les pays candidats se voient assigner deux objectifs : d’une part, le renforcement de la coopération avec les États membres de l’Union dans le domaine de la reconnaissance mutuelle des diplômes et des titres de qualifications et, d’autre part, l’adoption de mesures en vue de la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Les exigences des Etats membres

Seuls deux pays se voient interpellés sur la législation applicable aux étrangers : la Bulgarie, à qui il est demandé de mettre en place « des dispositions légales déterminant les droits d’entrée et de résidence de la famille d’un travailleur et le traitement égal des travailleurs communautaires en général », et la Slovaquie qui doit modifier sa législation concernant les étrangers et l’emploi des étrangers, pour la rendre conforme aux principes de l’Union en matière de libre circulation des personnes.

Si ces deux réserves peuvent sembler mineures par rapport à l’ensemble du processus, compte tenu notamment du fait que ces deux États n’ont pas été retenus dans la liste des premiers adhérents potentiels, elles ne doivent pas pour autant laisser penser que la libre circulation des personnes sera facile. Il convient, pour s’en convaincre, de se pencher sur les exigences des États membres de l’Union dans le cadre de « la justice et des affaires intérieures ». Il s’agit là des dispositions concernant l’asile et l’immigration, la coopération policière et judiciaire, qui relèvent, au sein même de l’Union, d’une coopération intergouvernementale depuis le traité de Maastricht en 1992. Pour une grande partie, ces dispositions se sont inspirées de l’accord de Schengen.

La liste des exigences fixées aux pays candidats dans les « partenariats pour l’adhésion » est significative : elles vont de la démarcation des frontières (par exemple entre la Lettonie et la Biélorussie) à la maîtrise des flux migratoires, en passant par le respect de la convention de Genève sur le droit d’asile, la reprise de l’acquis Schengen, voire même la formation des policiers et des magistrats aux nouvelles législations (en République tchèque par exemple).

En d’autres termes, la libre circulation effective dans la nouvelle Europe ne sera réalisée que lorsque les États membres de l’Union auront étendu le dispositif contraignant de contrôles mis en place sur le territoire actuel de la Communauté et de réadmission des personnes « indésirables ». D’ores et déjà, il est exigé des pays candidats qu’ils adhèrent à un certain nombre de conventions internationales(3) et un dispositif de contrôle de l’application et de la mise en œuvre effective de l’acquis de l’Union, dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, est confié à un groupe d’experts(4).

En résumé, les futurs « ressortissants communautaires » risquent de se voir imposer de longues périodes transitoires, dont certains estiment qu’elles pourraient aller de dix à vingt ans, avant d’accéder au territoire de l’Union actuelle, alors même que les volets économiques et monétaires de l’adhésion qui permettront l’ouverture des marchés aux industriels de l’Union seront réalisés depuis longtemps. Qu’on se rappelle que ce processus n’est pas nouveau : au 1er juillet 1968, l’union douanière entre les six pays fondateurs s’achevait avec dix-huit mois d’avance sur le calendrier prévu, alors que le premier règlement permettant la libre circulation des travailleurs n’était adopté que le 29 juillet suivant. Aujourd’hui encore, et malgré l’intégration d’un article, en 1987, prévoyant l’achèvement du marché intérieur au 1er janvier 1993, toutes les personnes résidant sur le territoire européen ne se déplacent pas encore facilement d’un État à l’autre.

Dans le cas des pays d’Europe centrale et orientale, les États de l’Union ne manqueront sans doute pas d’invoquer la crainte d’une forte vague d’émigration liée à la montée du chômage, la présence de minorités mal intégrées ou l’absence de structures administratives fortes pour reporter la date d’ouverture de leurs frontières au plus tard possible.

Les populations de ces pays se trouvent désormais confrontées à la fois à des restructurations industrielles exigées, notamment, par les institutions de Bruxelles, et qui vont entraîner la suppression ou la précarisation de leurs emplois, et à la réforme complète de leur système de protection sociale. Dans ces conditions, elles sont en droit d’attendre une autre attitude de la part de pays « riches et démocratiques » !


Notes

(1) Règlement (CE) n° 622/98 du Conseil du 16 mars 1998 (JOCE L 85 du 20 mars 1998, p. 1).

(2) Partenariats pour l’adhésion (JOCE C 202 du 29 juin 1998).

(3) Cf. Pacte de pré-adhésion sur la criminalité organisée entre les Etats membres de l’Union européenne et les candidats d’Europe centrale et orientale et Chypre (JOCE C 220 du 15 juillet 1998, p. 1).

(4) Action commune du 29 juin 1998 (JOCE L 191 du 7 juillet 1998, p. 8).



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Dernier ajout : jeudi 20 mars 2014, 21:53
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