Article extrait du Plein droit n° 8, août 1989
« La gauche et l’immigration un an après »
Vers un droit à la communication ?
Y. Togora
La rencontre de Lausanne a réuni pendant cinq jours, en octobre 1988, plus de quarante spécialistes : professionnels des médias communautaires, responsables syndicaux, délégués de l’UNESCO, du Bureau international du travail, et du bureau des Nations unies pour les Droits de l’Homme, qui entendaient dresser le bilan des travaux déjà réalisés dans ce domaine et lancer quelques propositions nouvelles.
Sujets et non consommateurs
La situation d’information et de communication dans laquelle se trouvent les migrants en Europe, si l’on entend par là leur situation par rapport à l’ensemble des médias accessibles aux communautés immigrées - radio, télévision, journaux et brochures -, varie beaucoup selon les pays (voir le tableau comparatif ci-après). La place de la France est à cet égard comparable à celle des pays voisins, seuls les Pays-Bas et la Suède faisant des efforts plus importants.
Les participants au séminaire ont constaté que les besoins des immigrés en communication étaient loin d’être satisfaits. Ils comptent surtout, pour améliorer cette situation, sur un changement d’attitude des « propriétaires » de médias : il est nécessaire qu’ils traitent la population immigrée comme un véritable partenaire dans la production et la création culturelles, que les migrants deviennent de vrais « sujets », et non de simples consommateurs de communication. Ce qui suppose une politique volontariste de formation et de recrutement.
Par ailleurs, on a beaucoup insisté sur le fait que le droit à la communication dépassait le simple droit à l’information - auquel font déjà référence de nombreuses résolutions et conventions internationales. L’accord d’Helsinki de 1975, en particulier, qui a été ratifié par la France, affirme « le droit des travailleurs migrants de recevoir, dans la mesure du possible, une information régulière dans leur propre langue, concernant aussi bien leur pays d’origine que le pays d’accueil ». Mais sa portée est limitée dans la mesure où il se limite à la réception de l’information.
Tandis que le droit à l’information cantonne les individus dans un rôle passif, le concept de « droit à la communication » est plus ambitieux. Il a été proposé par Jean d’Arcy, alors fonctionnaire des Nations unies, à la fin des années 1960, estimant qu’il était plus adapté à l’évolution récente des médias que celui de droit à l’information. Ce droit suppose le droit de chacun à participer à l’espace médiatique ; il inclut le droit à la parole, le droit d’être entendu, le droit de réponse, le droit à l’écoute, le droit de voir et d’être vu, le droit de s’exprimer oralement ou par écrit, le droit à l’expression artistique, et aussi le droit à la vie privée.
La nécessité de reconnaître un authentique droit à la communication découle aussi du constat que les émissions créées spécialement pour les communautés immigrées dans les années 1980 ne font plus recette. Outre qu’elles ont un côté vieillot et pauvre, un décalage se creuse entre le public désigné comme tel et les auteurs des émissions, qui limitent les thèmes abordés à des problèmes jugés spécifiques aux immigrés : des émissions-ghetto, en quelque sorte, et de surcroît de qualité médiocre.
Des émissions-ghetto
Face au déclin de ce type d’émissions, les radios communautaires se sont largement développées. Las de s’entendre dire par d’autres qui ils sont et où ils vont, les migrants affichent une volonté d’auto-détermination. Le besoin de prendre la parole - et sur des sujets variés qu’ils choisissent librement - est devenu essentiel.
Nous sommes bien ici au cœur de ce « droit à la communication », qui devrait permettre à 17 millions d’immigrés de faire entendre leur voix dans l’Europe de demain : c’est là, au même titre que le droit de vote, un aspect de la démocratie dont on ne saurait sous-estimer l’importance.
* Rappelons que sur ce thème, le CIEMI a organisé un colloque sur « Migrants et médias : des "travailleurs invités" aux minorités linguistiques et culturelles » , qui s’est tenu à Cologne (RFA) les 2-4 décembre 1986.
Il faut mentionner ici une expérience récente dans le domaine de l’audio-visuel, en France, grâce à la création, en décembre 1988, de l’Association pour les rencontres audio-visuelles (ARA). Sous l’égide de cette association, une nouvelle émission, « Rencontres », a vu le jour il y a quelques mois, coproduite par l’Agence Im’Media et les « Films du Sabre ». Une heure et demie est ainsi consacrée chaque dimanche à une information qui se veut vivante, pratique et optimiste. Voulant prendre le contre-pied des émissions d’hier, au caractère confidentiel, « Rencontre », qui dispose d’un budget conséquent, s’efforce d’être plus « mode ». Un invité vedette, souvent issu de l’immigration, doit livrer un regard neuf sur des reportages mettant en scène des personnes ayant réussi leur insertion ou sur des questions d’actualité. Le taux d’écoute satisfaisant montre qu’il existe bien un besoin d’information spécifique s’adressant aux migrants mais aussi à d’autres franges de la population susceptibles de s’y intéresser à divers titres.
Émissions radio en langue d’origine des migrants
Stations/Pays | 1975 mn/mois) | 1987 (mn/mois) | Rang* |
RTBF/Belgique | 1200 | 1600 | 4 |
DR/Danemark | 0 | 1400 | 5 |
ARD/RFA | 5600 | 5600 | 2 |
HR/RFA | 880 | 400 | 9 |
RFI/France | 1440 | 2080 | 3 |
RTL/Luxembourg | 600 | 680 | 8 |
SR/Suède | 2160 | 6900 | 1 |
SSR/Suisse | 1320 | 1160 | 6 |
NOS/Pays-Bas | 600 | 680 | 7 |
BBC/Gde Bretagne | 120 | 120 | 10 |
Émissions TV en langue d’origine des migrants
Stations/Pays | 1975 (mn/mois) | 1987 (mn/mois) | Rang* |
RTBF/Belgique | 240 | 320 | 3 |
ARD/RFA | 300 | 240 | 5 |
ZDF/RFA | 360 | 540 | 2 |
RTL/Luxembourg | 0 | 240 | 5 ex. |
SR/Suède | 720 | 934 | 1 |
SSR/Suisse | 170 | 270 | 4 |
NOS/Pays-bas | 0 | 160 | 7 |
BBC/Gde Bretagne | 120 | 0** | - |
FR3/France | 0 | 0** | - |
(*) Classement selon le nombre de minutes par mois, en 1987.
(**) Langues d’origine non utilisées systématiquement.
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