Article extrait du Plein droit n° 8, août 1989
« La gauche et l’immigration un an après »

Circulaires : y a rien à voir ?

Les circulaires Joxe de décembre et janvier dernier auront une durée de vie limitée puisque la loi qui vient d’être votée va bien au-delà. Pourtant, un bilan de leur application n’est pas inutile car il permet de mesurer l’ampleur des dégâts nés d’une appréciation très restrictive de la notion de « plein droit » et conduit à réfléchir sur l’opportunité de recourir à de telles procédures de régularisation, source de confusion.

La fin de l’année 1988 aura réservé bien des surprises. Les rumeurs qui circulaient dans les couloirs de la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques ont fini par se concrétiser, les circulaires en préparation depuis plusieurs mois ont fini par sortir... Malheureusement, en pleine « grâce présidentielle » (cf. la déclaration de Nouvel an de François Mitterrand), elles ne pouvaient que décevoir au regard de leur contenu.

Il aura fallu toute l’énergie des associations se faisant l’écho des difficultés de séjour rencontrées par les migrants désignés comme privilégiés par l’ordonnance du 2 novembre 1945 et des pratiques illégales de certaines préfectures, pour que le ministère de l’Intérieur se décide à entreprendre une telle opération de régularisation. Un certain nombre d’organisations réunies en collectif avaient, début décembre, rassemblé dans un « livre noir » des dossiers révélateurs de l’impasse administrative dans laquelle se trouvaient bon nombre d’immigrés ayant vocation à s’installer durablement en France, en raison de leurs attaches personnelles ou familiales.

Les circulaires, en conformité avec ce « cahier des charges », prennent acte des problèmes spécifiques rencontrés par les conjoints de Français, par les parents d’enfants français et par les jeunes, en envisageant leur régularisation, c’est-à-dire leur admission au séjour nonobstant leur situation irrégulière au moment de la demande. En effet, les préfectures opposaient à tour de bras aux conjoints de Français et aux parents d’enfants français leur séjour irrégulier, refusant même d’étudier les dossiers au mépris de la règle qui oblige l’administration à examiner les circonstances de chaque affaire avant de prendre une décision individuelle. Le séjour irrégulier était devenu un obstacle incontournable, vidant de son sens la notion de « plein droit ». Les permanences juridiques des associations et les avocats spécialistes de ces questions se sont trouvés envahis par ces candidats à la carte de résident qui, le plus souvent, étaient disqualifiés avant tout passage à la préfecture.

Il fallait envisager une solution. À défaut de pouvoir compter sur une majorité « solide » (sic), le ministère a fait le choix d’une régularisation exceptionnelle limitée à ces catégories d’immigrés ayant un droit acquis au séjour de par leurs liens privilégiés avec la France.

L’analyse de fond de ces circulaires ayant déjà fait l’objet d’une publication, on se bornera à rappeler l’essentiel de leur contenu. Ainsi, quatre circulaires à la portée variable ont vu le jour.

La première, du 23 décembre 1988, vise à corriger les pratiques de guichet qui multiplient les refus oraux dès lors que la personne a dépassé la durée de validité de son visa : elle réaffirme donc la nécessité pour l’administration de se livrer à un examen individuel de chaque dossier. Circulaire limitée, puisque l’irrégularité du séjour peut être un motif suffisant de refus, mais utile pour contenir les élans des services dont les décisions orales ne peuvent être remises en cause par le biais d’un recours. C’était leur donner la possibilité de statuer en toute opportunité sans aucun contrôle a posteriori.

Les deux suivantes, celle du 1er janvier 1989 relative aux conjoints de Français et celle du 5 janvier 1989 relative aux parents d’enfants français entendent déroger à cette simple équation rappelée avec insistance dans la circulaire précédente : séjour irrégulier = motif de refus de titre de séjour. Néanmoins, tous les conjoints et tous les parents d’enfants français n’ont pas un droit absolu à la carte de résident puisqu’il est prévu un certain nombre de cas d’exclusions : l’entrée irrégulière, le maintien sur le territoire français sans jamais avoir fait de demande de titre de séjour, le fait d’être devenu conjoint de Français ou parent d’enfant français après signification d’un premier refus de séjour, ou encore la menace à l’ordre public.

Enfin, la circulaire du 18 janvier 1989 concerne l’admission au séjour des jeunes étrangers entrés en France avant le 7 décembre 1984. L’esprit qui la gouverne semble beaucoup plus libéral et force est de constater en pratique que son application suscite peu de difficultés... dès lors que le jeune est entré effectivement avant cette date et qu’il n’est pas de nationalité algérienne car, « bénéficiant » de l’accord franco-algérien, il est alors exclu de l’application de la circulaire.

Pour faciliter l’application des circulaires, les préfectures concernées ont dû mettre en œuvre leurs propres moyens d’accueil et de publicité (affiches, distributions de formulaires dans les associations établissant la liste des documents à fournir ...). Les partenaires sociaux ont été conviés à des réunions avec les directeurs de réglementation (Nanterre, Bobigny...) pour chercher la clé d’une collaboration fructueuse.

Parallèlement, le ministère de l’Intérieur entendait suivre de près le « coût » de cette régularisation, en demandant aux administrations compétentes l’établissement de fiches statistiques. Des chiffres sans doute riches en enseignements.

Une certaine collaboration

Les autorités, affichant à l’origine une volonté sérieuse d’éponger ce stock de « clandestins » qui n’ont pas vocation à le rester, une certaine collaboration s’est établie entre les associations tenant des permanences juridiques et quelques préfectures. Mais leurs pratiques et interprétations restrictives ont engendré bien des amertumes et des replis, même si quelques points obscurs des circulaires ont été réglés dans le bon sens, comme la possibilité de cumuler deux procédures.

Ainsi, le demandeur d’asile en attente de la réponse à sa demande de réfugié, peut se retrouver dans une des situations personnelles prévues par les circulaires. Faut-il alors lui conseiller de se désister de sa demande de statut et demander à bénéficier de la régularisation comme conjoint de Français par exemple, ou bien d’attendre la réponse de l’OFPRA ou de la commission de recours, au risque de dépasser la durée de vie limitée des circulaires ? Le risque est de perdre sur les deux tableaux. En effet, ne va- t-on pas lui opposer, s’il choisit la première solution, son entrée irrégulière (le plus souvent, le demandeur d’asile est démuni de passeport ou de visa), son désistement démontrant que sa demande d’asile n’était pas fondée ? En fait, la Direction de la police générale de la préfecture de police de Paris a été très explicite sur ce point, estimant qu’un demandeur d’asile, parallèlement à cette procédure spécifique, peut demander à bénéficier des circulaires exceptionnelles d’admission au séjour s’il en remplit les conditions.

En définitive pourtant, malgré les bonnes intentions affichées, le constat est bien décevant. À défaut d’être généreuse dans la délivrance de cartes de résident, la préfecture de police de Paris distribue des autorisations provisoires de séjour vertes « pour départ » ... La plupart des refus ont pour motif « le maintien de l’intéressé sur le territoire français sans jamais avoir sollicité de titre de séjour ». Pourtant, les associations ne se sont pas fait faute d’expliquer aux administrations compétentes qu’elles se partageaient la responsabilité de ce maintien prolongé en situation irrégulière : les associations ayant été amenées à conseiller la patience dans l’attente de nouvelles instructions ministérielles, et les guichets renvoyant les intéressés verbalement, ce qui les empêchait de garder une trace des démarches entreprises. À Bobigny, les réponses positives sont rares, la plupart des étrangers se voyant opposer des refus de séjour, sans compter toutes les demandes restant sans réponse, ce qui semble être la règle dans cette préfecture.

La préfecture de Nanterre applique avec plus de diligence les circulaires. Elle s’attache d’autre part à répondre régulièrement. Il est vrai que la préfecture des Hauts-de-Seine semble s’être particulièrement investie dans cette opération, comme si elle cherchait à améliorer sa cote de popularité, bien ternie ces derniers mois.

L’histoire de Mme D. illustre parfaitement les difficultés rencontrées : de nationalité tunisienne, elle est entrée en France pour la première fois en décembre 1985. Elle s’est mariée avec un Français en janvier 88. Désirant régulariser sa situation, elle se rend en novembre de la même année à la préfecture. Comme de coutume à l’époque, on lui oppose son séjour irrégulier. Elle repart donc en Tunisie chercher un visa. Le consulat le lui refuse sans explication. Elle décide donc de revenir par l’Italie, sans être munie du visa obligatoire. La circulaire du 1er janvier 1989 représente une nouvelle chance de faire évoluer sa situation... Mais, le centre de réception des étrangers n° 12, constatant son entrée irrégulière - qui représente un cas d’exclusion du bénéfice de la circulaire - refuse de prendre le dossier. Une association de défense des immigrés, saisie du dossier, téléphone alors à la responsable du centre, qui « invite » Mme D. à se présenter de nouveau au guichet. On lui remet une convocation fixée au 5 juin. Munie de tous les documents requis, elle se rend au centre le jour dit, mais elle ne peut franchir le cap de l’accueil : le dossier est irrecevable pour défaut de visa. Si elle n’était pas repartie chercher un visa pour être en règle, elle aurait pu bénéficier de l’admission exceptionnelle au séjour pour les conjoints de Français ! Mme D. obtiendra sans doute sa carte de résident mais après combien d’efforts !

Des divergences d’appréciation

Finalement, on peut se demander s’il y a pas eu un détournement de l’esprit de ces circulaires par les préfectures. En effet, au lieu de les appliquer avec souplesse et diligence, elles vérifient avant toute chose si les intéressés n’entrent pas dans un des cas d’exclusion. Tout est une question de point de vue... et le ministère de l’Intérieur, fort heureusement, ne partage pas celui des préfectures. La Direction des libertés publiques et des affaires juridiques accorde beaucoup de dérogations, essayant de corriger les refus préfectoraux et de rendre efficace cette opération « circulaires ». Comment alors ne pas être tenté de saisir directement le ministère, en dépit de la sacro-sainte voie hiérarchique, qui fait perdre aux étrangers et à leurs conseils, temps et énergie ? Au MRAP, par exemple, la totalité des recours effectués devant le ministère de l’Intérieur a débouché sur des réponses favorables aux intéressés. Une formule type en cinq lignes met fin à des mois, voire des années d’irrégularité et de démarches longues et infructueuses. De même, les réponses ministérielles n’ont jamais été aussi rapides : une mère d’enfant français s’était vu opposer un refus de la préfecture de police pour maintien sur le territoire sans jamais avoir fait de demande. Un recours au ministère de l’Intérieur daté du 26 mai reçoit, le 5 juin, une réponse infirmant le refus de régularisation.

Seule la circulaire sur les jeunes semble avoir été appliquée conformément à son objectif : éponger le stock de jeunes en situation irrégulière dont l’origine est diverse (mauvais fonctionnement de la procédure de regroupement familial, pratiques douteuses de guichet jugeant irrecevable toute demande tardive...). Par contre, les tentatives pour en étendre le bénéfice aux jeunes Algériens se sont soldées par des échecs. Et si certains dossiers ont reçu une suite favorable au ministère de l’Intérieur, les dérogations sont ici plus sélectives. [1]

Demain, ces circulaires seront devenues sans objet. Beaucoup ont le sentiment que les procédures mises en place n’ont pas été très efficaces. Cette période de transition a révélé les conséquences désastreuses d’une interprétation restrictive de la notion de plein droit et d’une procédure rigoureuse de regroupement des familles. Elle a mis surtout en évidence la difficulté pour l’administration centrale d’infléchir les pratiques préfectorales.

L’application de l’ordonnance du 2 novembre 1945 nouvelle formule ne se fera vraisemblablement pas sans mal...




Notes

[1Au moment de mettre sous presse nous recevons une circulaire datée du 28 juillet 1989 qui prévoit pour les jeunes Algériens une procédure exceptionnelle de régularisation.


Article extrait du n°8

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Dernier ajout : vendredi 6 juin 2014, 13:11
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