Article extrait du Plein droit n° 8, août 1989
« La gauche et l’immigration un an après »
Joxe et le contrôle aux frontières
Pierre Joxe - Après le terrorisme, après la sécurité au quotidien, j’aborderai la question de la lutte contre l’immigration clandestine et les contrôles aux frontières.
Je voudrais rappeler, comme l’a fait hier le Président de la République devant le corps préfectoral qu’il avait invité au Palais de l’Élysée, que la France a le devoir et la capacité d’intégrer la population étrangère qui, entrée régulièrement sur notre territoire, y séjourne légalement et parfois depuis fort longtemps (...).
Mais la France n’a pas les moyens de devenir le pays d’accueil des populations déshéritées de l’ensemble du monde en voie de développement. Autant la France a la capacité et le devoir d’intégrer ceux qui, légalement, sont sur son territoire, autant elle a le devoir et la lucidité de dire qu’elle ne peut pas accueillir indéfiniment des gens qui, certes, sont chassés par la misère, qui, certes, sont chassés par la pauvreté, mais qui ne peuvent pas trouver de chance de développement ni de vie normale s’ils arrivent de façon illégale, clandestine, dans un pays où ils ne seront pas bien traités (...).
La politique d’aide au tiers monde ne passe pas par une politique d’immigration incontrôlée. Elle a ses limites, ses moyens, ses instruments. C’est la raison pour laquelle le contrôle aux frontières doit être entrepris de façon très attentive.
Pierre Mazeaud - Très bien !
Pierre Joxe - En cette matière, l’action portera sur une instruction très attentive des demandes de visas, un meilleur contrôle des moyens d’existence dont se prévalent les étrangers désireux d’entrer en France, une accentuation des efforts déjà engagés pour démanteler les filières d’immigration clandestine, qui constituent des pratiques d’exploitation épouvantables. Parallèlement, j’étudie de nouvelles dispositions juridiques permettant d’imposer des sanctions aux transporteurs qui acheminent vers le territoire des gens qui ne sont pas munis des documents requis pour y pénétrer et qui sont livrés pieds et poings liés à des exploiteurs.
Mais cette politique va être rendue encore plus difficile par l’évolution des structures juridiques de l’Europe. La France appartient en effet à la Communauté européenne, et elle s’est engagée auprès des pays européens dans le cadre des accords de Schengen.
L’article 13 de l’Acte unique, qui prévoit la mise en place au 1er janvier 1993 d’un espace européen sans frontières dans lequel la circulation des marchandises, des personnes et des biens sera libre, pose une série de problèmes dont vous mesurez l’ampleur et dont vous comprenez le caractère totalement inédit en droit français.
La frontière franco-belge sera repoussée, à l’égard des étrangers, aux frontières de la Communauté. Théoriquement, nous ne pourrons pas interrompre la circulation entre la France et la Belgique. Un citoyen de la Communauté européenne ou un étranger entré régulièrement dans la Communauté européenne aura le droit de circuler. Pour refouler un étranger, il faudra apporter la preuve de son entrée irrégulière ; cela est facile si un contrôle s’exerce à la frontière, mais comment prouver à la gare du Nord qu’il vient de Belgique et pas d’ailleurs ?
Il s’agit de difficultés considérables, et je ne vous parle pas des problèmes qui se poseront aux arrivées dans les aéroports.
La lutte contre l’immigration clandestine, le contrôle des entrées clandestines posera dans les années qui viennent des difficultés juridiques inédites. Pour ma part, je me prépare à les aborder par une coordination des service de sécurité en France - je dis bien des services de sécurité au sens large - et par une coopération internationale. D’ailleurs, cette coopération, je la pratique en permanence puisque, depuis que j’exerce à nouveau les fonctions de ministre de l’Intérieur, j’ai revu la quasi totalité de mes collègues de la Communauté européenne.
(J.O. Débats A.N. du 17 novembre 1988, pp. 2340-41)
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