Mayotte, d’un éloignement illégal à un non lieu à statuer du Conseil d’Etat
En infraction à la loi du 7 mars 2016, l’avion qui le transportait vers la Grande Comore a décollé après l’enregistrement de la requête en référé-liberté et deux jours avant l’audience.
Le juge des référés peut-il enjoindre l’administration à assurer le retour de la personne concerné ? La question était posée au Conseil d’Etat.

25 décembre 2017 su 31 janvier 2018 


A, comorien, vit depuis 2014 avec sa femme titulaire d’une carte de résidente et déjà mère de 5 enfants français. Ils se sont mariés civilement en 2016 et ont un enfant né le 10 novembre 2016.

Il est interpellé le 24 décembre 2017 et la suite est accélérée comme c’est systématiquement le cas en Guyane :

  • Procès verbal de la police signé à 13H40 ;
  • Notification d’OQTF sans délai de départ et de placement en rétention effectuée à 13H45. Bizarrement, comme souvent, après l’énoncé des droits en rétention, la case « Je n’entends pas faire usage de ces droits pour l’instant » est cochée.
  • L’OQTF est assortie d’une interdiction de retour d’une durée de trois ans.

Le 25 décembre à 9 heures, son départ en avion vers la grande Comore (en avion) est programmé pour 14H15 par un message de la Police à la compagnie EWA AIR.

Pièces - 24 décembre 2017

Pourtant, informée par l’épouse de A, l’avocate saisit le TA par un référé-liberté. La requête est enregistrée sur télé-recours à 13h43. La personne en permanence à la préfecture avait été avertie avant par téléphone et un courriel lui transmet aussitôt l’avis de réception de la saisine.
Rien n’y fait, A est renvoyé à Moroni comme prévu.
Le 26 décembre 2017 à 8H09, un mémoire complémentaire à la requête demande également qu’il soit enjoint au préfet de Mayotte d’organiser le retour.

TA de Mayotte, 27 décembre 2017, n° 1701431

Le juge :
a) constate que « bien qu’il ait été informé en temps utiles de l’introduction de la présente requête, le préfet de Mayotte, qui, contrairement à ce qu’il soutient en défense, pouvait à tout moment mettre fin à l’exécution d’office » de l’OQTF, "a éloigné le requérant [...] le 25 décembre à 14h15 en méconnaissant sciemment les dispositions du 3° de l’article L.514-1 du [Ceseda] et le droit à un recours effectif" ;
b) admet que A « est fondé à soutenir que les décisions d’obligation de quitter le territoire français et d’interdiction de retour prises à son encontre portent une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale et à en demander, pour ce motif, la suspension » ;
c) Mais il ajoute que « dès lors, les conclusions de A tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de Mayotte d’organiser à ses frais son retour sur le territoire français excèdent les pouvoirs conférés au juge des référés et sont, par suite, irrecevables ; qu’elles doivent, dès lors, être rejetées ».

L’exécution des décisions d’obligation de quitter le territoire français et d’interdiction de retour prises à l’encontre de A est suspendue.
Mais aucune injonction relative au retour de A à Mayotte n’est prononcée.

TA de Mayotte, réf., 27 décembre 2017, n° 1701431
CE en référé, 31 janvier 2018, n° 417174 : trois prolongations de l’instruction pour un non lieu

Le Conseil d’État est saisi en appel ; la Cimade et le Gisti sont intervenants volontaires.

  • Audience le mardi 16 janvier 2018 à 17H

La juge reconnaît qu’il entre bien dans les pouvoirs du juge des référés de prononcer une injonction. Le Conseil d’État, saisi de la question en appel, pourrait donc la prononcer.

L’avocate au Conseil de M. A. avait fait valoir un arrêt du Conseil d’État selon lequel « en enjoignant à l’administration de prendre toutes les mesures nécessaires pour organiser dans les meilleurs délais et aux frais de l’État le retour de Mme B... en France, le ministre de l’intérieur, qui n’a pas fait valoir d’élément tenant à ce qu’il serait matériellement impossible à l’État de prendre les mesures propres à assurer l’exécution de cette injonction, n’est pas fondé à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Paris aurait excédé son office » (CE, réf., 13 avril 2015, n° 389161).

Mais la juge prolonge l’instruction jusqu’au vendredi 19 janvier en demandant aux représentants du ministère de faire en sorte que l’intéressé obtienne d’ici là un visa, leur laissant jusqu’à vendredi pour en faire état.

Trois prolongations de l’instruction pour un non lieu à statuer

  • Première prolongation de l’instruction : du 16 au 19 janvier

Monsieur A s’était entre temps rendu (à ses frais) dans l’île comorienne d’Anjouan dont il est originaire ; il avait tenté à plusieurs reprises d’accéder aus services des visas du consulat français à Moroni puis de son antenne à Anjouan.
Le 17 janvier au matin, il est convoqué par le consulat d’Anjouan qui, au lieu de lui délivrer un visa, enregistre une demande de visa de court séjour et demande des documents afin de l’instruire.

Le 19 au matin, l’avocate envoie un mémoire complémentaire demandant à la Cour de dire le droit du juge des référés à prendre toutes les mesures nécessaires à un retour dans les meilleurs délais et d’enjoindre le ministère de à permettre un retour sous 48 heures aux frais de l’État.
Quelques heures plus tard, A est à nouveau convoqué par le service de l’antenne du consulat à Anjouan pour le 22 janvier.
La juge du Conseil d’État prolonge à nouveau l’instruction jusqu’au 24 janvier.

  • Seconde prolongation de l’instruction : du 19 au 24 janvier

Le 24 janvier l’avocate est informée que l’instruction est encore prolongée jusqu’au mardi 30 janvier 2018 à 18h !

  • Troisième prolongation de l’instruction : du 22 janvier au 30 janvier

Le 23 janvier 2018, un mémoire du ministère informait que le Consulat de France à Anjouan délivrait à Monsieur A un visa lui permettant de rejoindre l’île de Mayotte.

  • Accueil en rétention

Le 27 janvier, Monsieur A quittait enfin l’Union des Comores avec un visa et un billet payé par l’administration.
Mais, à son arrivée à l’aéroport de Pamandzi, A était interpellé par les services de la Police aux Frontières et aussitôt placé en zone d’attente.
Or aucune association n’est habilitée à intervenir auprès des personnes placées en zone d’attente. Quand elle est alertée il est trop tard pour que l’avocate puisse joindre qui que ce soit.

Le 28 janvier, l’avocate de Monsieur A prenait attache avec l’agent de permanence à la Préfecture afin d’obtenir la remise en liberté de son client, en vain. Celui-ci répond ne disposer de le liste des personnes retenues ou placées en zone d’attente la veille.
Un référé-liberté est introduit à 10H32 auprès du tribunal administratif de Mayotte ; la Préfecture est informée.
L’avocate de A multiplie les appels au service éloignement du Centre de rétention, à la direction de la police aux frontières présente à l’aéroport ou encore à l’agent de permanence en préfecture.
Ce n’est qu’aux alentours de 15h30 que A est autorisé à quitter la zone d’attente.

Cette situation parfaitement ubuesque reflète un triste quotidien dans le 101e département de Mayotte.

  • Enfin, le 31 janvier 2018, le Conseil constate qu’il n’y a plus lieu à statuer...
CE, 31 janvier 2018, n° 417174
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Dernier ajout : mardi 6 mars 2018, 17:04
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