Article extrait du Plein droit n° 39, juillet 1998
« Une vieillesse illégitime »

Une mobilité entravée

Nadia Zaoui et Nadjia Gamaz

Assistante à l’ALPIL (association lyonnaise pour l’insertion sociale par le logement) ; salariée à l’ASLIM (action de soutien au logement d’insertion et aux meublés) à Lyon
A l’âge de la retraite, qui est aussi celui des aller-retours entre la France et le pays d’origine, les immigrés ont besoin d’un type de logement qui n’existe pas. Il faut inventer des solutions pour leur permettre de bénéficier des facilités de déplacement qu’autorise leur statut de résident, sans perdre pour autant leur droit au logement.

Un profond sentiment d’injustice

Monsieur K. est un retraité heureux. Depuis son arrivée en France, dans les années soixante, il a toujours travaillé. Grâce à un petit logement au loyer modeste, il peut vivre à Lyon durant la moitié de l’année et faire des séjours au pays le reste du temps. Monsieur K. est le locataire idéal : il paye son loyer d’avance et ne se fait pas remarquer.

Lorsqu’un marchand de biens achète l’immeuble, son objectif est de faire des travaux avant de revendre par lots toute la maison. Il va donc éplucher le cas de chaque locataire. Celui de Monsieur K. se réglera au tribunal. Notes d’électricité à l’appui, les faits sont établis : Monsieur K. n’occupe pas son logement à titre de résidence principale, il est absent plus de quatre mois par an. De ce fait, il ne bénéficie pas du droit au maintien dans les lieux.

En perdant son logement, il éprouve un sentiment d’injustice : « je n’ai jamais eu à faire avec la police. En France, j’ai toujours travaillé... »

Toutes ces années de labeur ne lui ont donné aucun droit. Devenu inutile, on le jette dehors. Depuis ce jour, il vit en « dépannage » et ne peut repartir aussi souvent au pays.

Une tentative de retour cher payée

Monsieur H. est un pré-retraité isolé. Son épouse et son fils vivent en Algérie. Monsieur H. fait partie de ces travailleurs qui ont coupé les liens affectifs avec le pays d’origine et la famille.

Monsieur H. a changé plusieurs fois de lieu d’habitation. Son dernier logement, privé, étant devenu trop cher, il a été relogé en résidence sociale à Lyon 3ème, sur le quartier de la Place du Pont.

En pré-retraite, Monsieur H. décide de partir retrouver les siens en Algérie. Le contact est décevant, son épouse et son fils, hébergés depuis son départ chez son frère, ayant très mal vécu sa longue absence. L’idée lui vient alors d’acheter un logement en Algérie pour sa petite famille ; un éventuel retour se met à germer dans sa tête...

Pour mener à bien ce projet, il s’installe quelques mois en Algérie et accède à la propriété.

Malheureusement, pendant sa longue absence, la Caisse d’allocations familiales de Lyon lui a adressé un courrier qui est naturellement resté sans réponse. A son retour d’Algérie, Monsieur H. se rend à la CAF qui lui demande de présenter son passeport et qui, constatant l’absence prolongée, demande à Monsieur H. de rembourser l’allocation logement pour non jouissance du logement.

L’APL-foyer lui ayant été retirée, Monsieur H. n’arrivait plus à payer son loyer. Il a donc quitté son logement et entamé des démarches pour se reloger. Il a alors trouvé un petit logement en co-location. La cohabitation a malheureusement duré peu de temps, le co-locataire quittant les lieux et Monsieur H. se retrouvant seul pour assumer l’intégralité du loyer, sans aucune possibilité d’ouverture de droit à l’allocation logement du fait de l’indu, et avec l’engagement moral et financier vis-à-vis de sa famille restée au pays.

Aujourd’hui, Monsieur H. se maintient dans ce logement faute d’avoir trouvé autre chose et vit très mal cette situation. Ses ressources ne lui permettent aucune aide sociale, le recours amiable auprès de la CAF ayant échoué. Monsieur H. est dans une situation de plus en plus précaire (endettement) et sans aucune issue.

Il a aujourd’hui l’impression de payer très cher le choix qu’il a fait de renouer des liens avec sa famille et son pays d’origine.

A l’heure actuelle, il n’existe pas de formule de logement peu coûteux qui permette à un étranger résidant en France de s’absenter pendant plus de quatre mois par an. La Caisse d’allocations familiales ne se livre certes pas à des contrôles systématiques, mais elle réagit lorsqu’un courrier adressé à un allocataire lui revient avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée ». Souvent, bien sûr, l’immigré qui est reparti pour quelques mois dans son pays a laissé la clé de sa boîte à lettres à une personne de confiance qui l’avertira en cas de besoin. Mais, même dans les foyers, les solidarités se font plus rares. Une absence prolongée risque donc de se solder par la perte d’un logement pour un homme âgé, seul, doté d’un très petit revenu, et qui de ce fait a déjà les plus grandes difficultés à se loger.

Seul le logement en foyer permet en effet à un immigré de recevoir une allocation au logement qui tient compte de la famille restée au pays, donc d’une double résidence et d’une double charge. Mais la promiscuité et le fonctionnement rigide des foyers incitent tous ceux qui le peuvent à choisir un autre type d’habitat. Beaucoup ont préféré s’installer dans des meublés, moins confortables, mais peu coûteux et souvent partagés avec d’autres isolés venus du même village. Or les meublés bon marché, généralement très vétustes, tendent à disparaître. Le logement classique, type HLM, est difficilement accessible à des hommes seuls. Le logement privé, lui, est carrément inaccessible car les loyers sont trop chers et les cautions demandées trop importantes.

Pour sortir des solutions bricolées ou relevant d’opportunités précaires, il reste à trouver des formes nouvelles de logement correspondant à un habitat fixe par le statut et temporaire pour l’usage. Pourquoi ne pas imaginer une résidence saisonnière locative sur le modèle de la copropriété de vacances ? Le principe d’une location annuelle pour une occupation réelle variable suivant les personnes permettrait d’allier les possibilités offertes par le droit au séjour et les contraintes du droit au logement. Le paiement d’un loyer annualisé tenant lieu d’occupation permanente. Un tel dispositif implique la reconnaissance du statut particulier d’ancien travailleur. C’est-à-dire aussi l’acceptation d’une situation qui résulte très largement des politiques d’immigration antérieures et la reconnaissance de la dette qui en découle.

Autogestion et solidarité



Des enseignements peuvent être tirés d’un meublé occupé au départ par six isolés immigrés d’origine maghrébine. Suite à la réhabilitation du meublé, deux chambres supplémentaires ont été mises à disposition. Deux autres personnes, choisies par les six autres locataires, s’y sont donc installées. Ce groupe de huit « célibataires » est composé, pourrait-on dire, de trois sous-groupes : trois isolés sont originaires du même village, trois autres travaillent chez le même employeur, et les deux derniers arrivés sont connus de longue date par les autres.

Le coût des chambres est très peu élevé (600 F/mois) ; aucun des locataires ne bénéficie d’une aide au logement. La cour intérieure, devenue lieu de rencontre des occupants du meublé est donc aussi le lieu de la communication. L’autogestion est totale : entretien des parties communes, un des locataires est désigné pour le paiement du loyer... Il est à noter que ces personnes isolées rentrent toutes régulièrement au pays et que c’est probablement cette motivation qui est la clé de la réussite de la cohabitation.

Au fil des années, les situations ont évolué : certains ont atteint l’âge de la retraite, d’autres sont devenus chômeurs longue durée, deux sont encore salariés. Mais la solidarité est toujours présente. Les liens se sont même renforcés au point que le jour où un des isolés tombe gravement malade, un soutien sans relâche s’est organisé autour de lui : visites quotidiennes à l’hôpital, paiement du loyer, envoi d’argent à la famille restée au pays, gestion du courrier...

Quand un des isolés retourne pour quelque temps dans son pays, il confie sa chambre à un ami. Le dépannage joue bien son rôle. En outre, la modestie du loyer et la non ouverture de droits auprès de la CAF met les locataires à l’abri de tout contrôle administratif sur l’occupation ou non des lieux.

Géré par une association, ce type d’habitat correspond parfaitement à cette catégorie de population qui a choisi de vivre, du moins provisoirement, entre le pays d’origine et le pays d’accueil.



Article extrait du n°39

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Dernier ajout : vendredi 4 avril 2014, 12:48
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