Article extrait du Plein droit n° 3, avril 1988
« Quels discours sur l’immigration ? »
Quand le RPR parle de l’immigration
Dans la préface de l’ouvrage de Michel Hannoun [1], publié en 1986, Jacques Toubon présente les propositions du RPR en matière d’immigration. Ces thèmes, à angles variables on le verra, sont, au gré des nécessités du moment, infléchis dans un sens plus répressif (souvent) ou dans un sens plus modéré (rarement). On y trouve aussi des prises de position extrêmes, qu’il s’agisse d’approuver des expulsions – comme dans le cas de l’expulsion des cent un Maliens – ou de concurrencer Jean-Marie Le Pen.
Le discours traditionnel du RPR sur l’immigration s’appuie sur deux affirmations :
- « Le racisme, la xénophobie, le refus de sortir de soi-même pour aller vers les autres sont des attitudes contraires à notre philosophie et nous paraissent néfastes »…
- Il faut « refuser le racisme autant que le laxisme ». Les laxistes sont les socialistes qui « ont massivement donné le droit de rester en France aux immigrés entrés clandestinement et qui y travaillent en situation irrégulière ».
En fait, la politique définie par Jacques Toubon, dans ses propos en tout cas, n’est pas, au départ, tellement éloignée de celle autrefois défendue par Gaston Defferre ou Georgina Dufoix lorsque les socialistes étaient encore au pouvoir. Pour Jacques Toubon, une bonne politique migratoire consiste à : « maîtriser les entrées aux frontières » ; « expulser les personnes entrées ou travaillant irrégulièrement » ; « favoriser l’insertion des immigrés qui le veulent » ; « encourager une aide négociée au retour ». Refrain connu que le RPR complète par les déclarations suivantes :
- Le RPR souhaite « définir les obligations devant être respectées par tout étranger. Un contrat moral doit être défini pour les étrangers en situation régulière, qui devront accepter les exigences que justifie leur présence dans une nation qui n’est pas la leur ». Ce contrat moral n’est en rien explicité, les « exigences » non plus. Le gouvernement aurait donc toute latitude pour affirmer ça et là que tel ou tel immigré aurait rompu ce contrat… que seul le RPR (et encore !), semble connaître.
- Le RPR réaffirme ensuite « les liens entre droits politiques et citoyenneté : pas de droit de vote aux immigrés… ». « Les droits civils et politiques ne peuvent dépendre que de la nationalité ».
- Dernier point, le RPR prétend vouloir faire « de l’acquisition de la nationalité un choix volontaire ».
Mais, finalement, la principale caractéristique du discours RPR est qu’il fluctue au gré des sensibilités des militants (là semble jouer un réel effet de « génération ») et au gré de la « drague forcée » à laquelle doivent se livrer ses représentants face aux électeurs du Front National. Aussi, la cohérence entre un discours qui se veut imprégné de gaullisme, et la chasse aux électeurs du Front National tient-elle de l’acrobatie.
Michel Hannoun écrit : « Un homme politique de ma génération qui a alimenté son engagement en faveur du général de Gaulle par la lecture passionnée d’André Malraux, se fait une certaine idée du Tiers-Monde, une certaine idée des rapports qu’il convient de réserver aux hommes et aux femmes qui en sont issus et viennent vivre et travailler chez nous » ; mais son cadet Éric Raoult, député de Seine-Saint-Denis, tient pour sa part des propos plus douteux [2] : « Naguère, les juifs polonais disaient en yiddish « heureux comme Dieu en France ». Oui, les immigrés peuvent être heureux en France, s’ils respectent nos lois, s’ils n’oublient pas leurs devoirs à côté de leurs droits. […] Monsieur le ministre, votre projet est bon. Les Américains disent : « America : love it or leave it ». De même, nous disons : « La France, respectez-la ou quittez-la » ».
Messieurs Pasqua, Pandraud et Malhuret, eux aussi, se partagent les rôles. Les premiers pour expulser et « terroriser », le troisième pour exprimer ses regrets. D’ailleurs, plus on approche de l’échéance présiden tielle, plus on constate une radicalisation de la position du RPR. Les propositions d’ouverture vers les communautés immigrées, fût-ce pour un simple motif démographique cher à Michel Debré, laissent progressivement place à un discours musclé. II ne faut surtout pas décourager les électeurs du Front National. Comme le dit un ministre du gouvernement Chirac [3] : « J’ai toujours fait une différence entre les leaders du Front National et notamment Jean-Marie Le Pen, dont les excès sont bien connus, et les électeurs du Front National qui sont, à mes yeux, des Français comme les autres. Je ne veux pas les exclure de la citoyenneté parce qu’ils ont voté pour Jean-Marie Le Pen ».
Mais à force de vouloir « draguer » les électeurs du Front National en chassant sur les plates bandes de Le Pen, on voit trop bien le risque que le RPR ne finisse par épouser certaines vues du F.N. Les colères d’un Phi lippe Séguin ou les propositions d’un Michel Hannoun ne suffisent certes pas à enrayer ce dérapage. C’est ce qu’illustrent tristement les récentes déclarations de M. Chirac à Marseille, le 10 mars dernier, à propos du racisme : « si je ne peux l’admettre, je peux le comprendre ».
Au demeurant, on ne saurait se contenter de déclarations d’intention. Derrière la façade des discours, ce qui compte, ce sont les pratiques quotidiennes. En la matière, on connaît trop bien celles du gouvernement Chirac et leurs effets déstabilisateurs sur la population immigrée (Voir les précédents numéros de Plein Droit)
Notes
[1] M. Hannoun, L’autre cohabitation Français-immigrés, 1986.
[2] « Un tournant salutaire dans la politique de l’immigration », La Lettre de la Nation, 15 juillet 1986.
[3] Nicole Catala au Quotidien de Paris, le 18 septembre 1987.
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