Article extrait du Plein droit n° 13, mars 1991
« Des visas aux frontières »
Reconduite... par voie postale
En juin 90, on a vu apparaître une circulaire adressée aux préfets dont l’objet est d’améliorer le suivi des décisions de refus de séjour, et ce, dans le souci d’une « efficacité accrue dans la lutte contre l’immigration clandestine ».
Les « demandeurs d’asile déboutés » tiennent évidemment la vedette puisque le rejet de leur demande de statut de réfugié par l’OFPRA, confirmé par la Commission des recours, entraîne automatiquement une décision de refus de séjour. Les préfectures doivent par conséquent s’assurer du départ effectif de ces personnes. Pour ce faire, la circulaire organise une procédure extrêmement précise qui doit se conclure par une décision de reconduite à la frontière, c’est-à-dire qu’entre le refus de séjour et l’arrêté de reconduite à la frontière, doit se glisser une injonction ou une invitation à quitter le territoire français dans le délai d’un mois. La grande innovation issue de la circulaire est de prévoir l’envoi de cette injonction et, le cas échéant, de l’arrêté de reconduite par la poste... si les personnes ne viennent pas les chercher elles-mêmes dans les locaux de la préfecture.
Étant donné que cet envoi se fait en recommandé avec accusé de réception, il faut aller le retirer à la poste en cas d’absence lors du passage du facteur. Et c’est là que le bât blesse, la poste réclamant souvent, pour contrôler l’identité de la personne, un récépissé en cours de validité et non simplement une pièce nationale d’identité ou un passeport. Or, comme on peut s’en douter, il s’agit là d’un document dont les demandeurs d’asile qui ont eu un refus de séjour, sont dépourvus. Ils ont alors toutes les peines du monde à retirer leur arrêté de reconduite à la frontière. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle a évidemment des répercussions sur les voies de recours. En effet, la personne qui n’a pu retirer son arrêté à la poste ou qui l’a fait tardivement, se trouve sous le coup de l’article 27 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 : elle risque un emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans et une interdiction du territoire français de dix ans.
La position que le tribunal administratif de Paris vient de prendre sur la légalité de ces arrêtés « postaux » est tout à fait intéressante (cf. jugement en date du 6 février 1990).
En effet, pour des raisons tenant à la légalité externe de l’acte — soit une procédure irrégulière —, le tribunal a annulé un arrêté de reconduite à la frontière notifié par voie postale pris à l’encontre de monsieur S. Pourtant, ce monsieur n’avait pas respecté le délai de vingt-quatre heures imparti pour user du droit de recours, ouvert par la loi du 10 janvier 1991. Cependant, compte tenu de la nature de la notification, ce court délai ne lui a pas été opposé (monsieur S. avait déposé son recours deux jours après avoir récupéré à la poste son arrêté préfectoral de reconduite à la frontière).
Pour quels motifs le tribunal a-t-il considéré comme illégale la mesure prise par la préfecture du Val-de-Marne ?
Le tribunal se réfère tout d’abord à la circulaire du 25 janvier 1990 (application de la loi du 10 janvier 1990 relative à l’instauration du recours suspensif contre les arrêtés de reconduite). Cette circulaire prévoit que, lors de la remise de l’arrêté à l’intéressé, on doit y joindre un formulaire présentant les voies de recours et les garanties offertes aux étrangers.
Or, « la notification par voie postale des arrêtés de reconduite à la frontière (...) n’est pas signée de l’étranger en cause ou revêtue de la mention qu’il refuse de signer (...) et elle ne comporte pas les mentions exigées par les instructions ministérielles... ».
D’autre part, il y a violation de l’article 8 du décret du 28 novembre 1983 qui prévoit que l’administration doit mettre tout administré en mesure de présenter des observations écrites avant de lui notifier une décision individuelle.
Or, ni le refus de séjour faisant suite au rejet de la demande d’asile, ni l’invitation à quitter le territoire n’ont prévu la possibilité pour monsieur S. de faire de telles observations.
Dès lors, l’arrêté de reconduite, suite logique de l’invitation à quitter le territoire, viole le décret de 1983 : monsieur S. n’a jamais été en mesure d’être entendu.
En attendant la position du Conseil d’État sur la question, le tribunal administratif a ouvert une large brèche permettant d’annuler les arrêtés de reconduite à la frontière envoyés par voie postale.
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