Article extrait du Plein droit n° 17, avril 1992
« Immigrés sans toits ni droits »
Un syndicat des mal-logés ?
Le problème du logement, mis sur la place publique par les mallogés et les sans-logis, est redevenu, de ce fait, une des préoccupations majeures de notre société. La situation de crise dans laquelle il se trouve, et qui a pour conséquence l’exclusion de nombreuses catégories dites « défavorisées », dont les immigrés constituent une partie non négligeable, ne pouvait qu’exploser au grand jour.
Regroupées au sein d’une association, le Droit au logement, des centaines de familles ont donc forcé les pouvoirs publics à prendre en compte leurs revendications et à y trouver des solutions.
La dimension mondiale de la crise du logement a été dénoncée récemment par le Conseil économique et social de l’ONU qui a rappelé, dans deux résolutions adoptées les 26 et 29 août 1991, que le droit au logement était un des droits fondamentaux de la personne humaine.
Cette position est suffisamment nouvelle pour qu’on la souligne : la notion de droit au logement, reconnu comme droit fondamental, se heurtait jusque là, de manière presqu’inconciliable, à un autre droit, fondamental lui aussi, mais vigoureusement protégé et depuis fort longtemps dans nos sociétés : le droit de propriété.
En France, aujourd’hui, l’existence d’une crise du logement n’est plus niée par personne ; elle est m me officiellement reconnue et ses conséquences extr mes périodiquement analysées dans de savants rapports et études où l’on ne manque pas de relever que, bien souvent, le processus d’exclusion sociale commence « par » le logement - ou plutôt par son absence.
Une telle prise de conscience ne s’est pourtant pas faite toute seule : il a fallu, pour que l’opinion publique se mobilise autour d’un thème aussi difficile et ingrat que celui du logement des exclus et des défavorisés, que d’importantes luttes soient menées.
Et ces luttes, dont on peut malheureusement penser qu’elles n’en sont qu’à leur début, ont été très largement impulsées et soutenues par une association : le Droit au Logement (DAL), du nom de ce droit qu’enfin la France reconnait à ses habitants, du moins au niveau des textes.
"Un logement décent pour tous"
L’association DAL a été fondée en novembre 1990 par des familles mal logées et des militants venus de divers horizons à la suite de la lutte de la Place de la Réunion à Paris : des familles avaient été expulsées, en mai 1990, de leur logement, qu’elles squattaient, et avaient occupé sous tente la Place de la Réunion jusqu’à ce qu’une solution de relogement ait pu tre trouvée.
Dès sa création, le DAL s’est donné pour objet d’apporter une réponse différente et d’autres outils à la lutte pour le droit au logement pour tous : ses statuts précisent en effet qu’il est avant tout composé de familles mallogées ou sans-logis qui, au sein de l’association, s’organisent et luttent pour obtenir un logement décent. Son objectif est donc de créer un véritable syndicat des mal-logés, doté d’outils de réflexion et de lutte afin de faire respecter le droit à « un logement décent pour tous ».
Le nombre de familles qui composent le DAL a rapidement grossi, puisqu’en un an et demi, il a atteint pratiquement les deux mille, et depuis, ne cesse d’augmenter. Dans les débuts, il s’est agi plutôt de familles d’origine immigrée - notamment malienne - phénomène qu’on retrouvera dans la lutte du « quai de la Gare », où le nombre de familles immigrées présentes était nettement majoritaire par rapport à celui des familles « françaises ».
Ce phénomène s’explique probablement par la conjonction de deux éléments :
- D’une part, il est malheureusement évident que le fait d’ tre immigré, quel que soit par ailleurs le montant ou la régularité des ressources, est à lui seul un facteur d’exclusion du logement, social ou autre, et que le contingent d’immigrés mal logés ou dépourvus de logement en est considérablement accru.
- D’autre part, les familles mallogées ou sans-logis françaises ont souvent, en cas d’expulsion locative, des solutions dites provisoires plus faciles à trouver que les familles immigrées (famille, amis, réseau de relations, etc..). Il est clair cependant que ces solutions ne peuvent se prolonger à long terme, et que dans un contexte de crise du logement aggravée, ces familles n’auront plus d’autre solution que la lutte et la solidarité.
Le quai de la Gare
C’est à l’occasion d’une grande lutte pour le logement que le DAL a pu se faire connaitre, éventuellement reconnaitre, mais aussi mettre en cause, attaquer, voire dénoncer comme « manipulateur » ce qui, sans doute, a parfois mis l’association dans une position difficile, mais lui a permis de prouver son efficacité et sa capacité de lutte.
Le 13 juillet 1991, soutenues par la Communauté Emmaüs de Neuilly- Plaisance qui assurait la logistique et le soutien financier, les "familles du DAL" occupaient un terrain vide au 133 quai de la Gare, situé en pleine ZAC Seine rive gauche. Des personnalités de marque pénétraient en t te sur le terrain : l’Abbé Pierre, Monseigneur Gaillot, Albert Jacquard notamment.
Durant quatre mois, trentesept familles allaient camper sur ce terrain, sous les tentes pr tées par Emmaüs. Rejointes tous les jours par d’autres familles sans logement, leur nombre allait atteindre cent trois à la fin de l’occupation.
L’occupation du quai de la Gare, destinée à frapper l’opinion publique en la sensibilisant de manière exemplaire à la crise du logement et à ses conséquences pour des familles entières, devait avoir un retentissement inespéré. Tous les médias (presse écrite et audio visuelle) des pays européens étaient présents, de manière répétée et fréquente ; les agences de presse internationale servaient de relais pour une diffusion internationale du problème ; et quelques grandes chaînes de télévision américaine (CNN et CBS), australienne, brésilienne se déplaçaient pour tourner des reportages sur la crise du logement en France. Une anecdote particulièrement savoureuse : le Japon se déplaçait trois fois et effectuait sur le campement une émission télévisuelle d’une heure en direct, par satellite.
L’occupation du terrain par les familles devait se terminer quatre mois jour pour jour après le début de l’opération, à la suite de négociations souvent difficiles et qui ne se sont déroulées qu’avec les pouvoirs publics, la Ville de Paris refusant systématiquement d’y participer.
A l’heure actuelle, la presque totalité des familles sont hébergées en logements dits « passerelles », dans des conditions satisfaisantes, et dans l’attente de leur relogement définitif qui devrait intervenir dans un délai fixé à trois ans maximum.
Réquisition : une vieille loi mal utilisée
Le DAL a axé sa lutte sur quelques grands thèmes :
- pas d’expulsions sans relogement (ce qui aurait dû tre la conséquence d’une application à la lettre de la loi Besson du 31 mai 1990) ;
- application de la loi de réquisition ;
- création d’un observatoire des mal-logés destiné à analyser le problème et, éventuellement, à faire des propositions concrètes de textes auprès des pouvoirs publics ;
- impulsion d’un mouvement unitaire d’organisations autour du problème du logement et des expulsions.
Parmi ces thèmes, il faut faire une place un peu à part à l’application de la loi de réquisition exhumée par le DAL qui en a fait un de ses principaux axes de lutte. Il s’agit d’un texte relativement ancien, l’ordonnance du 11 octobre 1945, qui prévoit la possibilité, en cas de crise grave du logement laissant des familles sansabri, de réquisitionner des logements vacants.
Le DAL estime que l’actuelle crise du logement est telle qu’elle devrait obliger les pouvoirs publics à faire une application immédiate de ce texte : en effet, selon l’INSEE (1990), 309 600 logements vacants ont été recensés dans la région parisienne, dont 117 832 pour la seule ville de Paris intra-muros. De source officielle - mais comment comptabiliser le nombre réel de sans-logis ? - il y aurait en France 2 millions de mallogés, dont 300 000 en région parisienne, et 400 000 sans-abris, dont 30 000 à Paris.
Face à des chiffres aussi alarmants, dont personne ne nie qu’ils ne peuvent que s’accroitre dans les années à venir, le DAL propose de recourir à la réquisition, c’est-à-dire à une procédure légale, existant depuis des années, mise en oeuvre à plusieurs reprises, m me si elle ne l’a pas été de manière large ou générale. La situation d’occupation d’un logement à la suite d’une réquisition prise par le Préfet, n’est pas indéfinie, puisqu’elle ne peut dépasser un délai de quatre ans, éventuellement prolongeable un an de plus. L’occupant paie un loyer au propriétaire, et doit tre relogé définitivement à la suite de son passage en logement réquisitionné.
La réquisition porte bien évidemment une atteinte sérieuse au droit de propriété ; aussi faut-il souligner que le DAL demande que les réquisitions soient effectuées sur des immeubles appartenant à l’Etat, aux collectivités publiques, aux grandes compagnies d’assurance, etc..
Enfin, il faut signaler qu’en dehors de toute référence à la loi de réquisition, le maire, et à Paris le préfet de police, peut toujours, en application de ses pouvoirs de police, réquisitionner en urgence un logement pour une famille à la rue : ceci est lié à la notion de trouble à l’ordre public qu’un maire a le devoir de faire cesser en prenant tous moyens utiles en son pouvoir.
Le DAL, association encore jeune, représente sans aucun doute aujourd’hui une force d’organisation et de lutte tout à fait spécifique dans le domaine du logement. Son rôle n’est pas pr t de s’achever. Les expulsions locatives vont en effet probablement reprendre à compter du 15 mars, date fatidique de la fin du délai d’hiver.
Rappelons aussi qu’un texte publié le 14 juillet 1991, portant sur les procédures civiles d’exécution, a purement et simplement supprimé la protection de cette trêve d’hiver lorsque les occupants sont des « squatters ». Or on sait que, bien souvent, les familles expulsées sans relogement n’ont plus d’autre solution que ce type d’occupation, le choix qui leur reste étant le « squatt » ou la rue.On ne peut donc qu’être inquiet devant les conséquences de l’application de ce texte.
Loi de réquisition, loi Besson, autant de textes parfaitement légaux et applicables qui pourraient apporter des solutions à la crise actuelle du logement. L’avenir proche dira si l’on va vers cette application ou vers une catastrophe sociale que d’aucuns prédisent très sérieusement.
En prévision de la reprise des expulsions au 15 mars, une charte initiée par le DAL, la CGL et la CNL demandant l’arrêt des expulsions sans relogement et l’application de la loi de réquisition, a été signée par plusieurs dizaines d’associations régionales, départementales et locales.
Cette charte marque la naissance d’un front très large de soutien aux familles sans-logis (cf. encadré p. 46).
On peut rapprocher cette initiative du mouvement qui avait prolongé l’action de l’Abbé Pierre durant l’hiver 1954 et avait abouti à la mise en oeuvre d’une politique de construction massive de HLM durant les années soixante. En sera-t-il de même aujourd’hui ?
Charte contre les évictions et les expulsions sans relogement
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