Article extrait du Plein droit n° 17, avril 1992
« Immigrés sans toits ni droits »
La « cité des potagers » à Nanterre : un exemple de ségrégation
Baba
Président de l’Association des Potagers*
Depuis des années, la
France pratique une
politique ségrégationniste
en matière d’attribution
de logements sociaux, au
détriment des familles
immigrées ou issues de
l’immigration. Quand une
famille immigrée - ou
française, mais dont le
nom a une consonance
étrangère, notamment
maghrébine ou africaine
– dépose une demande
de logement auprès des
services compétents
(organismes HLM, service
des mal-logés de la
préfecture, mairies), son
dossier a bien peu de
chances d’aboutir, en
tout cas dans un délai
normal...
Le cas de la « Cité des potagers » à Nanterre illustre ce constat de façon criante.
La « Cité des Potagers » a été construite par la Sonacotra en 1959-61, sur un terrain vague, enclave entre l’hospice de Nanterre et l’autoroute A 86. De manière sym- bolique, cette enclave a été matériali- sée par des grillages barbelés et par un mur d’enceinte ne laissant qu’une étroite issue.
Créée pour accueillir les habitants des bidonvilles environnants du « Pe- tit Nanterre », dont la résorption com- mençait dans les années soixante, la Cité comporte trois bâtiments (deux de cinq niveaux, un de quatre ni- veaux). Il devait s’agir d’un reloge- ment provisoire en cité de transit, dans l’attente d’un relogement défi- nitif en HLM. Dès lors, conçue pour une durée de vie limitée, la qualité de la contruction est sommaire.
A l’origine, la densité d’occupa- tion était acceptable, au regard de la composition des familles. Puis la si- tuation a évolué : les familles présen- tes au départ se sont agrandies, d’abord par les naissances, ensuite par le mariage des enfants, enfin par l’arrivée de la troisième génération. Elles ont alors été amenées à vivre dans des conditions de surpopulation insupportables qui n’auraient jamais dû se présenter.
D’une part, le transit aurait dû déboucher sur un relogement défini- tif et dans des conditions adaptées aux besoins des familles. D’autre part, les nouveaux ménages, auxquels la cité de transit n’était pas destinée (elle était destinée à leurs parents) auraient dû bénéficier d’un reloge- ment décent, correspondant à leurs propres besoins.
Or, dans leur quasi-totalité, les familles d’origine qui souhaitaient quitter la Cité se sont vu opposer, par l’ensemble des autorités ou organis- mes compétents, une fin de non-rece- voir systématique à toute demande de relogement.
Il en a été de même pour les ména- ges de la seconde génération.
Le provisoire qui dure
On est ainsi parvenu à un niveau de surpopulation dramatique depuis les années 1980, et qui n’a fait qu’empirer depuis lors. Actuellement, il n’est pas rare que des logements de type F 5 (les plus grands) abritent jusqu’à douze personnes.
Cette surpopulation est d’autant plus insupportable que l’environne- ment s’est dégradé dans des condi- tions spectaculaires, si bien que la Cité des Potagers a fini par offrir un véritable paysage de désolation : ni espaces verts, ni terrains de jeux, seu- lement des « blocs » inesthétiques d’une grande tristesse.
Les bâtiments ont peu à peu révélé leur mauvaise qualité. C’est ainsi qu’en 1986, à la demande des rési- dents, un architecte, relevait notam- ment :
« Le cloisonnement par une bar- rière en béton semble isoler cette cité du quartier et cacher la misère. L’es- pace vert qui sert de cour et d’aire de jeux pour les enfants n’est pas entre- tenu, est jonché d’ordures, ferrailles, etc.
En sous-face de poutres porteu- ses, apparaissent les fers à béton.
Ceci est particulièrement grave et menace la stabilité du bâtiment si on ne prévoit pas de réparation...
L’isolation extérieure des pignons est complètement détériorée et ineffi- cace étant soumise aux intempéries...
Des caves sont entièrement dé- truites, remplies d’ordures, de bêtes parasites, d’où se dégage une odeur nauséabonde qui envahit la cage d’escalier... ».
Dans les cages d’escalier : « Les peintures sont dans un état de saleté avancée... Certaines ouvertures en partie basse et donnant sur l’exté- rieur (environ 50 cm du sol) ne sont pas pourvues de protection. Quand il y a un vitrage, c’est un verre fragile et dangereux, scellé parfois par les occupants eux-mêmes. Les enfants peuvent franchir ces ouvertures et se retrouvent sur l’auvent à trois mètres du sol, ce qui représente un danger et relève du péril pour les habitants (...) ».
Dans la chaufferie : « Régulière- ment, il y avait coupure totale des installations de chauffage, deux fois par semaine, ce qui obligeait les ha- bitants à utiliser, à leurs frais, des radiateurs d’appoint. »
« Les occupants entretiennent ré- gulièrement peintures, sol, etc. On constate néanmoins des dégradations qui relèvent de l’entretien général des bâtiments.
« La plomberie défectueuse pro- voque des fuites d’eau dans tous les appartements, avec formation de fis- sures : les murs où sont fixés lavabos et éviers, ainsi que ceux derrière les équipement sanitaires, pourrissent et ne permettent plus de scellement : « le lavabo tombe avec le mur » ; il tient avec une chaise ou un morceau de bois.
« Les ordures étant ramassées, se- lon les habitants, seulement deux ou trois fois par semaine et ajoutées à celles déposées en plein air exposées aux intempéries, il se dégage des odeurs dans tout l’immeuble ; éma- nations qui attirent rongeurs et autres parasites ».
L’architecte concluait :
« Ces bâtiments, avec la fragilité de conception et d’aménagement due aux prévisions d’utilisation (transit), amplifiée par une surpopulation, auraient dû et devraient faire l’objet d’un entretien régulier. Or, les dé- gâts constatés et les observations gé- nérales sur la gestion, donnent l’im- pression que cette cité est à l’aban- don ; de ce fait, l’importance des charges locatives paraît injustifiée.
« Le cadre désolé, les bâtiments en état avancé de dégradation, le man- que d’entretien général, font de ces habitations prévues pour du loge- ment transitoire des lieux où règnent l’insécurité et l’insalubrité.
« Ces constatations amènent à conclure sur une quasi non-habitabi- lité de cette cité dans son état actuel ».
En dépit d’une telle situation, les loyers et charges réclamés par l’orga- nisme gestionnaire ont, au fil des années, atteint un niveau élevé au regard des prestations fournies, des conditions de vie dans la cité, et des revenus des familles.
A partir des années 1984-85, cette situation est devenue tellement in- supportable que la plupart des fa- milles n’ont trouvé d’autre moyen pour appeler l’attention sur leur cas que de cesser le paiement des charges locatives (qui avaient augmenté de 70% en 1983).
Sourde oreille
La Sonacotra a alors engagé une procédure judiciaire. Par une série de jugements du 28 octobre 1986, le tribunal d’instance de Puteaux a d’abord constaté que le transit s’était transformé en habitat définitif, con- trairement à la vocation initiale de la cité et aux textes régissant le transit. Se déclarant incompétent pour ap- précier la responsabilité de la Sona- cotra, sur le plan de l’obligation de relogement, il n’en a pas moins rap- pelé que « les objectifs du législateur, à savoir la résorption de l’habitat in- salubre, constituaient une mission de service public ».
Le tribunal a ensuite relevé qu’en l’espèce, il était « certain que la bonne foi des résidents (était) totale ». Il a donc refusé de résilier les conven- tions de location et a accordé un délai de deux ans pour le paiement des arriérés. Il a, enfin, ordonné une ex- pertise pour vérifier le défaut d’en- tretien invoqué par les habitants. L’expert judiciaire, au terme d’un volumineux rapport, a confirmé les descriptions qui précèdent. Il a conclu, notamment, que la Sonacotra se devait de réaliser un minimum de travaux pour assurer la sécurité des occupants et la conformité des loge- ments aux normes d’habitabilité et de confort élémentaires.
L’expert a chiffré le coût global des travaux de réfection à 6,5 mil- lions de francs.
Parallèlement à cette procédure judiciaire, les résidents, et plus parti- culièrement les jeunes, qui ont créé, en 1986, la dynamique « Association des Potagers », n’ont cessé de recher- cher avec les pouvoirs publics (pré- fecture, municipalité de Nanterre), et avec les représentants de la Sonaco- tra, une solution concertée permet- tant à la cité de sortir de son ghetto.
Les multiples réunions qui se sont tenues dans ce but ont fait apparaître l’absence de volonté des partenaires des habitants de la cité d’aboutir à une solution.
La raison en est simple : la deman- de essentielle des habitants a toujours été délibérément écartée. Depuis des années, leur revendication principale est de voir résoudre le problème de surpopulation de la cité. De nom- breuses familles ont demandé leur relogement. Tant que cette exigence ne sera pas satisfaite, les problèmes sociaux persisteront, voire s’aggra- veront.
En effet, de la misère matérielle a découlé une misère sociale qui la rend encore plus cruelle. Chacun sait l’influence primordiale de bonnes conditions d’habitation sur la cohé- sion de la cellule familiale, sur le bon déroulement de la scolarité, sur le développement harmonieux de la personnalité des enfants et des ado- lescents.
Tous les travailleurs sociaux qui ont eu à intervenir sur la cité des potagers ont pu constater :
- des rapports conflictuels entre les familles, dûs à la surpopulation et à la mauvaise qualité des logements ;
- l’échec scolaire chez les plus jeunes : l’impossibilité pour les en- fants d’étudier à la maison dans des conditions minimales a fait que la plupart d’entre eux ont quitté rapide- ment l’école...
Or, loin de s’attaquer au problème crucial du relogement, la Sonacotra s’est lancée dans une « réhabilitation » partielle, pour des montants élevés (160 000 francs environ par loge- ment).
Les résidents qualifient ces tra- vaux de « trompe-l’œil ». Ils avaient prévenu la Sonacotra que, sans dé- densification, tout essai de réhabili- tation de la cité ne serait qu’un leurre. De fait, encore inachevés, les travaux se révèlent mal exécutés (fissures, porches délabrés, dommages di- vers...), et surtout inadaptés (aucun remodelage des appartements en fonction des besoins réels des habi- tants et de la composition des fa- milles).
Le faux débat de l’« intégration »
Maintenant, les résidents en ont assez. Ils se disent fatigués des inces- sants discours sur l’« intégration des populations immigrées ». Le problè- me est ailleurs : il est dans une réelle égalité des droits. Les enfants et pe- tits-enfants d’immigrés (les deuxiè- me et troisième générations), français pour la plupart, pétris de la même culture que les autres nationaux, ont droit à bénéficier des mêmes chances de réussite sociale. Mais, pour cela, il faudrait que cesse la ségrégation à l’habitat dont ils sont victimes, et que le droit fondamental au logement devienne, pour eux, une réalité.
Aux « Potagers », ce qui est en jeu, c’est la souffrance quotidienne, de- puis des années, de familles qui ont perdu tout espoir. Seule une volonté politique, au meilleur sens du terme, permettrait de résoudre la question primordiale du relogement d’une im- portante partie des habitants de la cité.
Il existe, aujourd’hui, un instru- ment pour mettre en œuvre une telle politique : la loi du 31 mai 1990, dite « Loi Besson », dont l’article 1er pro- clame : « garantir le droit au loge- ment constitue un devoir de solida- rité pour l’ensemble de la nation... »
Ce texte prévoit des plans dépar- tementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées et, lors- que la situation locale du logement social le nécessite, la conclusion de prococoles d’occupation du patri- moine social entre le préfet, les col- lectivités territoriales et les organis- mes d’HLM (cf. article p. 26).
Fait nouveau, le législateur a vou- lu que ces dispositions ne soient pas un vœu pieu : « lorsqu’au terme d’un délai de six mois après qu’il aura été demandé (par le préfet) aucun proto- cole n’a été conclu, celui-ci peut dé- signer aux organismes d’HLM des personnes prioritaires que ceux-ci sont tenus de loger... » (article 15 de la loi Besson).
Monsieur le préfet des Hauts-de- Seine, l’application de la loi sera-t- elle une réalité dans votre départe- ment ?
Deux cassettes vidéo ont été réalisées avec le concours de l’Agence IM’média et sont disponibles pour location ou vente, en téléphonant au 46 36 01 45.
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