Article extrait du Plein droit n° 32, juillet 1996
« Sans frontières ? »

Le printemps des sans-papiers

La chronologie qui suit s’arrête au 5 juillet, date de l’occupation de l’église Saint-Bernard et du commencement de la grève de la faim par dix sans-papiers. Beaucoup de choses se sont passées depuis. Largement couvertes et commentées par la presse, nous ne les reprendrons pas ici. L’objectif de cette chronologie inachevée n’est pas de coller à l’actualité mais de retracer les circonstances du démarrage et du développement, à Paris et en province, d’un mouvement que la répression brutale qui s’abat sur lui aujourd’hui ne suffira peut-être pas à étouffer.

• 18 mars 1996

À Paris : occupation de l’église Saint-Ambroise (Paris XIe) par plusieurs centaines d’Africains (dont femmes et enfants) sans papiers, qui réclament la régularisation de leur situation.

Droits devant !, SOS Racisme, Médecins du Monde, premiers présents sur les lieux, apportent leur soutien aux sans-papiers. Le collectif de soutien s’élargit rapidement.

• 19 mars

La célébration du culte est suspendue à Saint-Ambroise.

• 21 mars

Mgr Jean-Marie Lustiger se rend sur place pour parler avec les « familles » (il y a pourtant aussi des célibataires) ; il leur exprime la compréhension et la compassion de l’Église, tout en ajoutant qu’il n’est pas en son pouvoir de donner satisfaction à leur attente, et qu’il n’est pas question d’occuper durablement l’église. Une délégation d’étrangers et de grévistes est reçue à Matignon. Elle demande vainement la désignation d’un médiateur.

• 22 mars

À l’aube, évacuation de Saint-Ambroise par la police (on apprendra plus tard qu’elle est intervenue sur requête écrite du curé de la paroisse, datée du 18 mars au soir). Parmi les expulsés, une quarantaine de personnes (celles qui résistaient, selon la police) sont arrêtées et placées en rétention. D’autres quittent les lieux ; un groupe important reste sur place, puis se dirige vers la mairie du XIe arrondissement où il restera plusieurs heures (des négociations, infructueuses, sont menées par l’Abbé Pierre avec Georges Sarre, maire du XIe, afin de leur trouver un lieu d’accueil). À mi-journée, les sans-papiers investissent le gymnase Japy, tout proche, qui est aussitôt encerclé par les forces de police.

• 23 mars

Les sans-papiers arrêtés devant Saint-Ambroise la veille comparaissent devant le juge délégué (35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945) qui doit décider s’ils peuvent être maintenus en rétention par l’administration. Les audiences se dérouleront pendant trois jours.

• 24 mars

Tôt le matin, le gymnase Japy est évacué par la police, sur réquisition de la mairie de Paris. Tout le monde est interpellé et emmené au centre de rétention de Vincennes, où ne seront gardés que les célibataires. Les autres sont relâchés.

L’Abbé Pierre déclare publiquement, dans la matinée, qu’il a été « trahi » par Alain Juppé, qui lui avait promis de ne pas faire évacuer Japy avant « les premiers jours de la semaine » (suivante). Il reviendra sur ces accusations quelques heures plus tard après une conversation avec Alain Juppé, et fera savoir qu’un terrain d’entente est possible.

Mgr Lustiger dénonce publiquement le rôle des associations qui, selon lui, se sont servi des immigrés et auraient manipulé les sans-papiers.

Le groupe des sans-papiers s’installe, toute la journée du dimanche, sur la place de la mairie du XIe, où s’organise spontanément une manifestation dans l’après-midi. Le soir, il est hébergé en urgence dans les locaux des éditions La Brèche (Paris XIIe).

• 25 mars

En attente de trouver un lieu plus adapté, le groupe des sans-papiers est accueilli au local de Droits devant ! La plupart des sans-papiers interpellés le 22 mars devant Saint-Ambroise sont relâchés par le juge du 35 bis, qui estime que les conditions de leurs interpellations invalident la procédure de rétention. Certains d’entre eux se rendront imprudemment à la préfecture de police de Paris. Ils seront replacés en rétention.

• 26 mars

Les soixante-trois sans-papiers arrêtés et placés en rétention administrative après l’évacuation du gymnase Japy comparaissent à leur tour devant le juge délégué. Celui-ci rend, pour l’essentiel, des ordonnances de remise en liberté pour vice de forme. Après négociation entre SOS Racisme et l’archevêché, une entente semble trouvée pour l’hébergement du groupe des sans-papiers dans une salle paroissiale du XVe arrondissement. La majeure partie d’entre eux ne restera cependant pas dans les lieux (l’accord s’étant fait, selon l’archevêché, pour une cinquantaine de personnes seulement) et trouvera refuge dès le lendemain dans les locaux du syndicat SUD PTT.

• 27 mars

Ariane Mnouchkine fait savoir que les théâtres de la Cartoucherie de Vincennes sont disposés à accueillir les « sans-papiers de Saint-Ambroise ». Environ trois cents sans-papiers s’y installent donc. Une cinquantaine de personnes restent dans la salle paroissiale du XVe.

• 28 mars

Un charter affrété par le ministère de l’intérieur reconduit 47 Maliens à Bamako, parmi lesquels 7 avaient été arrêtés lors de l’évacuation de Saint-Ambroise.

• 30 mars

Une manifestation de soutien aux sans-papiers réunit deux mille personnes à Paris.

• 5 avril

À Morlaix : deux familles de demandeurs d’asile déboutés – l’une bulgare (avec trois enfants de 13 ans, 10 ans et 1 an), l’autre zaïroise (avec un enfant de 3 ans) – sont menacées de reconduite à la frontière par la préfecture du Finistère.

Des habitants de Morlaix s’opposent à l’exécution de la mesure et cachent d’abord ces familles chez un particulier. La préfecture assigne les étrangers à résidence. Ils déposent une demande d’asile territorial auprès de la préfecture et du ministère de l’intérieur.

• 6 avril :

À Paris : un « collège de médiateurs » (voir encadré p. 6) se met en place à la demande des trois cents sans-papiers, « réfugiés de Saint-Ambroise », qui souhaitent qu’une négociation s’engage avec les pouvoirs publics. Parmi les vingt-six personnalités du collège, Lucie et Raymond Aubrac, Jean-Michel Belorgey, Paul Bouchet, Monique Chemillier-Gendreau, Jacqueline Costa-Lascoux, André Costes, Mireille Delmas-Marty, Stéphane Hessel (porte-parole), Edgar Morin, Paul Ricœur, Antoine Sanguinetti, Laurent Schwartz, Germaine Tillon, Pierre Vidal-Naquet.

• 8 avril

Le collège des médiateurs demande au gouvernement la suspension de toute mesure d’éloignement du territoire à l’encontre des « sans-papiers de Saint-Ambroise » pour permettre de trouver des solutions humainement acceptables.

• 10 avril

Les « sans-papiers de Saint-Ambroise » quittent la Cartoucherie pour un entrepôt partiellement désaffecté de la SNCF rue Pajol, dans XVIIIe arrondissement de Paris avec l’aide de la CFDT-Cheminots et le soutien de la CGT et de SUD.

• 15 avril

À Versailles : huit parents étrangers d’enfants français entament une grève de la faim dans la cathédrale Saint-Louis et avec l’accord de l’évêque. Ils exigent la régularisation des cent trente-quatre dossiers identiques aux leurs répertoriés dans le département des Yvelines. Un collectif de trente-six associations, syndicats et formations politiques soutient leur revendication.

• 22 avril

À Morlaix : un comité de soutien – Amnesty International, Ligue des droits de l’Homme, Morlaix-Libertés et nombre de particuliers – se structure, obtient l’appui de la mairie de Morlaix qui héberge les deux familles auxquelles s’ajoutera une troisième (une mère et deux enfants de 18 ans et 13 ans) de nationalité roumaine. Cette dernière demande un titre de séjour pour soins.

Des élus interviennent en faveur de ces étrangers. Chaque mercredi et chaque samedi, entre soixante et cent personnes les accompagnent pour le pointage à la gendarmerie prévu par l’assignation à résidence.

• 24 avril

Intitulé « Sans-papiers mais nullement clandestins », un texte qui demande la régularisation des demandeurs d’asile déboutés présents en France depuis longtemps, des conjoints et enfants d’étrangers en situation régulière et des parents étrangers d’enfants français, reçoit l’appui de vingt organisations (dont la CGT, Droits devant !, la FASTI, la Fédération CFDT-Cheminots, la FSU, la Fondation Abbé-Pierre, le GISTI, la LDH, le MRAP, le SAF). Ce texte s’appuie sur les mouvements de sans-papiers de Morlaix, Paris et Versailles.

• 25 avril

À Versailles : une délégation de grévistes de la faim et du comité de soutien, dans laquelle figure l’évêque, est reçue à la préfecture.

Les propositions du préfet étant jugées insuffisantes, notamment en faveur des parents d’enfants français de nationalité algérienne, la grève se poursuit.

• 26 avril

À Versailles : le préfet des Yvelines écrit au comité de soutien qu’il accordera une carte de résident de dix ans et, aux Algériens, un titre de séjour d’un an (à cause des accords franco-algériens) avec autorisation de travail à tous les parents étrangers d’enfants français du département qui ont demandé leur régularisation, à l’exception de seize cas qui, selon lui, ne remplissent pas les conditions.

• 29 avril

À Paris : le collège des médiateurs rend publique, avec l’accord des « sans-papiers de Saint-Ambroise », une liste de critères en vertu desquels ils souhaitent que les pouvoirs publics réexaminent la situation de ces trois cents étrangers regroupés rue Pajol. Cette liste est déposée le jour même à l’Hôtel Matignon, auprès des services du Premier ministre.

• 2 mai :

À Morlaix : le ministère de l’intérieur indique par lettre à certains élus que les demandes d’asile territorial sont à l’étude.

À Paris : cinquante-cinq des trois cents « réfugiés de Saint-Ambroise » entament une grève de la faim à la rue Pajol.

• 4 mai

À Colombes (Hauts-de-Seine) : constitution d’un collectif des sans-papiers. Il définit des exigences qui reprennent les critères proposés par les médiateurs de Paris à Matignon (voir encadré). Le collectif fait référence aux mouvements de Morlaix, de Paris et de Versailles.

• 6 mai

À Paris : quatre membres du collège des médiateurs sont reçus par des collaborateurs du Premier ministre. Le principe de l’examen des dossiers des deux cent cinquante adultes des « réfugiés de Saint-Ambroise » par un « guichet unique » sous l’autorité de l’administration centrale est accepté, ce qui évite le risque de la dispersion et un traitement différent par les diverses préfectures de la région parisienne.

De l’entretien entre collaborateurs du Premier ministre et médiateurs, il ressort que, sauf interdictions judiciaires du territoire pour des raisons non liées à une infraction au séjour, les dossiers pourront être traités sur la base suivante : quatre critères – parent d’enfant(s) français, conjoint ou concubin de Français, conjoint d’étranger en situation régulière, traitement médical – permettent le réexamen de la situation ; les autres critères n’auront le même effet que si les intéressés peuvent montrer qu’ils sont concernés par plusieurs d’entre eux.

Un premier tri sera effectué par l’administration : les uns – régularisables potentiels – seront convoqués pour un réexamen ; les autres ne recevront rien. Les convocations au guichet unique des présélectionnés doivent être remises aux médiateurs le 21 mai.

En Seine-Saint-Denis : rassemblement devant la préfecture de Bobigny à l’appel d’une coordination départementale pour le droit des étrangers à vivre en famille. Il est entendu que l’action ne se limite pas à la défense des parents étrangers d’enfants français, mais concerne aussi les conjoints et les enfants entrés en France hors procédure du regroupement familial. Les demandeurs d’asile déboutés ne sont pas exclus de cette initiative.

Dix-neuf organisations associatives, syndicales et politiques soutiennent le mouvement.

• 9 mai

À Toulouse (Haute-Garonne) : six étrangers entament une grève de la faim à l’église du Sacré-Cœur. Il s’agit de cinq parents d’enfants français et d’un parent d’enfants étrangers.

Vingt-deux organisations associatives, syndicales et politiques les soutiennent. Les uns et les autres déclarent se situer « dans la continuité de la grève de la faim de Versailles » et s’inscrire aussi « dans le mouvement plus vaste des sans-papiers dont l’opinion publique a pris conscience à l’occasion des événements de Saint-Ambroise à Paris ».

• 11 mai

À Paris : les femmes de la rue Pajol organisent une manifestation à proximité de Matignon. Malgré plusieurs heures d’attente en compagnie de quatre à cinq cents personnes, les services du Premier ministre refusent de recevoir une délégation.

• 14 mai

À Colombes : réunion publique des sans-papiers du département (familles en situation irrégulière et déboutés) et du comité de soutien qui s’élargit à une trentaine d’organisations associatives, syndicales et politiques. Des élus se joignent au mouvement.

À Lyon : l’association Jeunes Arabes de Lyon et Banlieue (JALB) écrit au préfet pour lui rappeler son engagement à réexaminer tous les dossiers de parents d’enfants français du département, en particulier des Algériens. L’association indique au préfet que ce réexamen peut seul empêcher le déclenchement d’une grève de la faim des intéressés.

• 15 mai

À Colombes : le préfet fait savoir informellement au comité de soutien qu’il est disposé à étudier les dossiers des sans-papiers au cas par cas. Le collectif écrit au préfet pour lui demander un entretien.

À partir de cette date, le Collectif organise régulièrement réunions publiques et manifestations dans le département, et met en place deux permanences hebdomadaires pour les sans-papiers. Il s’élargit à une trentaine d’organisations associatives, syndicales et politiques. Des élus se joignent au mouvement.

À Toulouse : les grévistes refusent les propositions de la préfecture de la Haute-Garonne (titre de séjour de salarié d’un an sans obligation de contrat de travail). Ils exigent des cartes de dix ans et un engagement écrit de la préfecture sur le champ d’application des mesures de régularisation, notamment en ce qui concerne les parents d’enfants français de nationalité algérienne.

• 20 mai

À Paris : sur deux cent soixante-dix-sept dossiers de sans-papiers adultes regroupés à la rue Pajol, deux cent cinq seront convoqués entre le 28 mai et le 10 juin pour réexamen de leur situation administrative.

Tels sont du moins les résultats du tri effectué par le directeur de la police générale à la préfecture de police de Paris, chargé par Matignon de cette opération exceptionnelle.

À Besançon : le Collectif de défense des droits et libertés des étrangers lance un « Appel aux sans-papiers de Besançon » pour exposer la situation inextricable de parents étrangers d’enfants français ou nés en France et de couples franco-étrangers à qui la préfecture refuse la délivrance de titres de séjour. Ce Collectif demande un réexamen bienveillant des situations des personnes concernées, dans l’esprit de ce qui a été possible à Versailles.

Quatre « médiateurs » (le maire de Besançon, l’évêque Mgr Daloz, le pasteur Anne-Marie Feillens et le directeur de la caisse d’allocations familiales) acceptent de relayer leurs démarches auprès du préfet.

• 21 mai

À Toulouse : manifestation de l’église du Sacré-Cœur à la préfecture.

• 22 mai

À Paris : manifestation depuis la place de la République jusqu’à la rue Pajol.

À Colombes : manifestation devant la préfecture de Nanterre.

En Seine-Saint-Denis : manifestation devant la préfecture de Bobigny.

• 23 mai

À Longjumeau (Essone) : un couple de Zaïrois, demandeurs d’asile déboutés, s’engage dans une grève de la faim pour obtenir sa régularisation.

• 27 mai

À Toulouse : la grève de la faim est interrompue, le préfet ayant accepté par écrit de délivrer des cartes de salarié d’un an sans production de contrat de travail et renouvelable de plein droit. Les parents d’enfants français du département seront traités dans le même esprit.

• 31 mai-1er juin :

À Nantes : soixante-quinze personnes se sont engagées dans un jeûne de vingt-quatre heures sur le parvis de la cathédrale pour soutenir la demande de régularisation de soixante-quinze familles étrangères comportant des enfants français.

• 3 juin

À Colombes : le Collectif des sans-papiers notifie au préfet ses revendications.

À Longjumeau : la préfecture de l’Essonne ayant promis une carte d’un an salarié au mari et une carte d’un an visiteur (sans droit au travail) à son épouse, la grève de la faim des deux demandeurs d’asile zaïrois prend fin.

• 5 juin

À Nantes : la Coordination 44 pour le droit de vivre en famille est reçue par le préfet.

De cette entrevue, il ressort que celui-ci n’est pas opposé à des admissions au séjour à titre exceptionnel, sur des bases humanitaires. Il s’engage à délivrer, après examen au cas par cas, des cartes de dix ans aux parents d’enfants français, sous réserve de fraude.

• 7 juin

À Lille : sept pères étrangers d’enfants français entament une grève de la faim afin d’obtenir, pour eux et pour les deux cent trente-cinq familles dans la même situation du département, une carte de dix ans.

Ils sont soutenus par le « Réseau contre les lois Pasqua et toutes les lois anti-immigrés », qui rassemble de nombreuses organisations politiques et syndicales, et des associations.

• 8 juin

En Seine-Saint-Denis : une trentaine de membres de familles du département sont accueillis dans un local paroissial de Saint-Denis, d’où ils entendent sortir quand ils auront été régularisés.

• 10 juin

À Lille : le médiateur départemental de la République rend visite aux grévistes.

• 11 juin

Dans le Val-de-Marne : à l’appel de trois collectifs antiracistes du département, une réunion rassemble des membres de familles étrangères à Créteil en vue de faire le point sur leur situation et de demander à la préfecture de régler leur cas.

À Lyon : douze Algériens, dont dix parents d’enfants français, engagent une grève de la faim dans les locaux de JALB. Ils demandent au préfet une carte de dix ans pour tous les parents d’enfants français du département et, à tout le moins, une carte d’un an de salarié, automatiquement renouvelable, sans opposition de la situation de l’emploi.

• 12 juin

À Colombes : rassemblement du Collectif des Hauts-de-Seine au pied de l’Arche de la Défense.

En Seine-Saint-Denis : la Coordination départementale pour le droit de vivre en famille écrit au préfet pour lui demander la délivrance d’une carte de dix ans aux parents d’enfants français, aux conjoints de Français condamnés à vivre à l’étranger faute de visa, aux conjoints de Français et d’étrangers en situation régulière, ainsi qu’aux membres de leur famille qui sont à leur charge, aux jeunes entrés hors regroupement familial, aux demandeurs d’asile déboutés ayant des attaches familiales en France, aux membres de familles polygames, aux familles monoparentales.

Le même jour, le secrétaire d’État à l’intégration, Eric Raoult, de passage à Saint-Denis, est interpellé par des occupants de la salle Saint-Denys.

Il annonce une réunion interministérielle sur la situation des sans-papiers, fixée au 13 juin. Il se prononce également en faveur de la publication d’une circulaire avant la fin de l’année sur les mineurs étrangers entrés après l’âge de dix ans.

• 15 juin

À Paris : les « sans-papiers de Saint-Ambroise » défilent en tête de cortège à la manifestation organisée contre les projets de loi Toubon/Debré.

À Lille : la manifestation soutient les revendications des grévistes de la faim.

• 18 juin

Dans le Val-de-Marne : le Collectif unitaire antiraciste du Val-de-Marne organise une manifestation, suivie d’une conférence de presse à Créteil pour expliquer sa démarche et faire soutenir sa demande de rendez-vous à la préfecture. Une lettre en ce sens est adressée à tous les maires du département. Le Collectif reçoit le soutien de l’évêque de Créteil.

À Paris : une centaine de familles regroupées au sein d’un Collectif pour le droit de vivre en famille sont accueillies par la paroisse Saint-Hippolyte (Paris XIIIe) avec l’accord de l’archevêché de Paris. Elles revendiquent la régularisation de leur situation administrative pour pouvoir vivre dignement en famille.

• 19 juin

En Seine-Saint-Denis : sans réponse satisfaisante de la part de la préfecture, quinze personnes parmi les occupants de la salle Saint-Denys décident d’entamer une grève de la faim.

• 23 juin

À Lille : les grévistes décident de suspendre leur action à la suite de la proposition du préfet du Nord de leur délivrer des cartes temporaires mention « visiteur » jusqu’à la réunion de la commission du séjour prévue pour le 8 juillet.

• 24 juin

A Lyon : les grévistes suspendent leur action ; deux d’entre eux ont obtenu la délivrance d’une carte de dix ans, huit autres celle d’une carte d’un an renouvelable, avec autorisation de travail.

À Paris : une délégation du Collectif pour le droit de vivre en famille installé à l’église Saint-Hippolyte est reçue par Danielle Mitterrand, qui lui apporte son soutien.

• 25 juin

À Paris : Mgr Frikart, évêque auxiliaire de Paris, et le pasteur Stewart, président de la Fédération protestante de Paris, se rendent à Saint-Hippolyte. Mgr Frikart souligne publiquement « l’immoralité de certaines dispositions des lois sur l’immigration ».

À Lille : le préfet du Nord délivre aux grévistes de la faim des récépissés provisoires, en attente de la délivrance d’une carte de séjour d’un an.

Il s’engage par ailleurs à réexaminer les dossiers des quelque deux cent soixante-neuf parents d’enfants français non régularisés recensés dans le département au regard des critères suivants : durée et conditions de séjour en France, absence de menace à l’ordre public.

• 26 juin :

Un communiqué du ministère de l’intérieur annonce l’issue de l’examen des dossiers des « réfugiés de Saint-Ambroise ». Sur trois cent quinze, (dont font partie les deux cent cinq de Pajol), quarante-huit pourront recevoir une carte de séjour temporaire d’un an renouvelable. Il s’agit, selon le ministère, des « parents d’enfants nés avant le 1er janvier 1994 sur notre territoire et de ce fait automatiquement français » (voir encadré). Les autres sont invités à quitter la France dans un délai d’un mois.

Le communiqué se termine ainsi : « Le mouvement qui s’est développé ici ou là ces derniers temps pour faire croire à de nombreuses familles en situation irrégulière qu’en dépit des textes, elles pouvaient espérer voir leur présence régularisée ne peut donc qu’ajouter à leur détresse et les enfermer un peu plus dans l’illusion ».

• 28 juin

À Paris : le groupe des sans-papiers de Pajol occupe l’église Saint-Bernard de la Chapelle (Paris XVIIIe). Ils reçoivent l’assurance de l’archevêché de Paris qu’il ne serait pas fait appel à la force publique pour les évacuer.

Une manifestation de la République à la rue Pajol rassemble les différents mouvements de sans-papiers de la région parisienne, regroupés en Collectif Ile-de-France.

Dans le Val-de-Marne : un jeûne de vingt-quatre heures est organisé à l’église de Créteil.

• 29 juin

À Paris : une centaine de chrétiens du diocèse organisent un jeûne de solidarité avec les sans-papiers de Saint-Hippolyte. Au cours de cette journée le Collectif reçoit la visite de Mgr Lustiger.

• 29-30 juin

En Seine-Saint-Denis : les familles s’installent pour le week-end dans la basilique de Saint-Denis. Un jeûne de soutien est organisé par la Coordination départementale pour le droit de vivre en famille. Au cours de la messe dominicale, le curé de la cathédrale dénonce l’attitude « immorale » de l’État.

À Besançon : un jeûne de solidarité avec les sans-papiers est organisé pendant le week-end à l’église Notre-Dame. L’« Appel des sans-papiers de Besançon » est signé par mille cinq cents personnes.

• 1er juillet

Le collège des médiateurs qualifie publiquement la réponse des pouvoirs publics aux « réfugiés de Saint-Ambroise » (communiqué du ministère de l’intérieur du 26 juin) d’« inacceptable ». Il annonce qu’il reste aux côtés des Africains pour les accompagner dans leur lutte, et en appelle au président de la République pour souligner l’urgence d’une politique entièrement renouvelée.

À Paris : devant le refus des autorités de répondre à leur demande de rendez-vous, huit personnes au sein du Collectif pour le droit de vivre en famille installé à l’église Saint-Hippolyte décident d’entamer une grève de la faim.

À Colombes : une délégation du Collectif est reçue par la préfecture des Hauts-de-Seine. Il obtient la garantie d’un examen bienveillant des quatre-vingt-neuf dossiers déjà présentés, et de ceux qui suivront.

• 3 juillet

À Paris : à l’initiative de la Coordination Ile-de-France des sans-papiers, une manifestation rassemble deux mille personnes entre Belleville et la place de la Nation.

• 5 juillet

À Paris : dix personnes du groupe des « réfugiés de Saint-Ambroise », désormais installés à l’église Saint-Bernard, entament une grève de la faim. ■

Qui sont les « réfugiés de Saint-Ambroise » ?

Des demandeurs d’asile déboutés

Des conjoints et enfants d’étrangers en situation régulière

Des parents d’enfants français

Des étudiants

Dix critères de régularisation proposés par les médiateurs :



– Parents étrangers d’enfants français

– Conjoints ou concubins notoires de Français

– Conjoints et enfants d’un étranger en situation régulière

– Parents étrangers d’enfants nés en France

– Étrangers dont le retour interromprait le traitement médical d’une maladie physique ou mentale grave

– Déboutés du droit d’asile entrés en France avant le 1er janvier 1993

– Étrangers ayant un proche parent résidant en France (ascendant, frère, sœur)

– Étrangers que le retour exposerait à des risques sérieux

– Étudiants en cours d’études universitaires reconnues

– Étrangers ayant une bonne insertion dans la société française.

Étrangers : une politique à refaire



Sous ce titre, les 26 personnalités membres du Collège des médiateurs pour les « réfugiés de Saint-Ambroise » (voir la liste en encadré p. 6) ont signé collectivement une « adresse au gouvernement », parue dans Le Monde du 15 juin 1996. Ci-après, quelques extraits :

Dans leur adresse au gouvernement, les médiateurs commencent par dresser le bilan d’une législation qu’ils considèrent comme « un ensemble de textes archaïques et rapiécés, constitué de strates anciens et de nouvelles mesures toujours plus restrictives [dessinant] les contours d’une politique qui exprime une méfiance systématique à l’égard des étrangers ». Pour eux, ce constat est le fruit de l’attitude frileuse des responsables politiques : « Le spectre de l’invasion et l’idée d’une menace sur des richesses qui seraient “nationales” sont au cœur de l’idéologie des mouvements d’extrême-droite. Les responsables politiques, n’osant s’en prendre frontalement à ces idées qui gangrènent peu à peu la conscience nationale, adoptent une attitude défensive qui cautionne la crainte de l’envahisseur à l’extérieur et la chasse au clandestin à l’intérieur [...]. Et l’immigration est manipulée comme un enjeu dans le combat entre les formations politiques en France comme dans toute l’Europe ».

Suivent des critiques de la législation actuelle dans trois domaines particuliers : Le droit d’asile, « restreint progressivement par l’exigence exorbitante de preuves de la persécution, que les situations vécues et les conditions du départ rendent radicalement impossibles à fournir [...]. La notion d’asile apparaît [...] détournée arbitrairement. Elle est davantage fondée sur l’intérêt supposé du pays d’accueil que sur la seule réalité de la persécution et de l’intérêt du demandeur ». En matière d’immigration, « les mesures autoritaires et fondamentalement inacceptables qui caractérisent la législation propagent une image altérée de “l’autre” et de ses intentions, et produisent des effets directement à rebours de ce que l’on prétend faire par ailleurs en matière de lutte contre le racisme et la xénophobie ». L’inefficacité de la lutte contre les employeurs clandestins, et la « complaisance des autorités à leur égard favorisent largement diverses formes de l’immigration clandestine ». Est ainsi entretenue une « “masse de manœuvre” qui permet une rentabilité et une flexibilité impossibles à réaliser de la même façon dans un cadre légal ».

Les médiateurs abordent ensuite longuement le contexte international : l’Europe, « peu confiante en son destin, mal assurée de son identité, a cédé à la tentation de la répression ». En son sein, la France, « au lieu de participer à un alignement sur des positions communes qui entraînent pour elle une véritable régression, [...] doit à sa tradition spécifique de proposer des actions communes novatrices en faveur du respect des droits de l’homme et des droits des réfugiés ». Concernant la politique étrangère, « une action commune forte doit être engagée pour mieux définir la politique à mener vis-à-vis des pays d’immigration et rompre avec les méthodes de coopération dans lesquelles la France s’est enlisée depuis des années et dont la preuve est surabondamment apportée qu’elles ne contribuent pas au développement de ces sociétés et ne peuvent donc réduire la demande migratoire ». Dénonçant « une coopération internationale à rebours du développement durable, ils relèvent que les sociétés hautement développées ne changent rien à une politique internationale dénoncée depuis plusieurs décennies, notamment par les Nations unies ».

Appelant à « une nouvelle approche de la question des étrangers, [qui] doit s’exprimer dans une législation française totalement renouvelée », l’adresse des médiateurs au gouvernement se termine par des propositions propres à inverser les politiques néfastes dont ils viennent de faire le bilan. Ils préconisent ainsi :

Au niveau national

  • « un véritable pacte entre formations politiques au terme duquel elle s’engageraient à ne pas faire de l’immigration un argument manipulé dans le combat politique. [...] »



  • une législation à l’égard des étrangers reposant sur « le respect de l’étranger, [...] et une conception du développement des sociétés européennes impliquant la libre circulation des personnes ».



Au niveau international

  • « une initiative internationale forte de la part de la France », comportant « une action spécifique sur le plan européen », fondée notamment sur « l’obligation de conformité avec les engagements découlant de la convention de Genève [...] et de la Convention européenne en matière de droits de l’homme, [...] et sur une politique européenne de coopération qui dépasse les rivalités entre États et les pratiques néocoloniales. ».

Conférence de presse du 1er juillet 1996 du Collège des médiateurs



1. Les médiateurs ont respecté le jeu de la démocratie en faisant appel aux institutions de la République responsables du traitement des problèmes de l’immigration. Ils avaient reçu l’assurance du cabinet du Premier ministre que les cas des Africains sans papiers réfugiés successivement à Saint-Ambroise, Japy, Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, la Cartoucherie et Pajol, seraient examinés dans le souci de les traiter avec la bienveillance que justifiaient leur comportement, les preuves de leur insertion dans la société française et l’absence de casier judiciaire de droit commun.

2. Des mesures ont été prises par la préfecture de police pour procéder à un examen approfondi des dossiers. Mais, en fin de compte, le gouvernement a décidé de ne régulariser que 49 sur 315 Africains adultes concernés.

3. Cette décision a été communiquée à la presse par le ministère de l’intérieur pendant que les médiateurs étaient reçus à Matignon et avant qu’ils aient pu faire des contre-propositions argumentées.

4. Les médiateurs considèrent cette façon de procéder comme inacceptable. Elle revient à récuser les efforts accomplis pendant plus de deux mois pour trouver des solutions équitables. Ils ont mis les autorités en garde quant aux responsabilités qu’elles prennent, face aux effets inévitables qu’entraînent le désespoir des Africains, la consternation et l’indignation des démocrates.

5. Ils ont pu mesurer la dignité, le sens des responsabilités des Africains sans papiers qui ont attendu patiemment les résultats d’une procédure par laquelle ils se mettaient à la merci des autorités de contrôle. Ils voient en eux des hommes, des femmes, des familles de pays d’Afrique dont les peuples se sont battus pour la France dans toutes les guerres et ont apporté leur force de travail et leur culture : ils méritaient donc un autre traitement.

6. Les médiateurs constatent que le gouvernement n’a pas fait usage de leur disponibilité et de leurs compétences pour une véritable médiation. Ils restent aux côtés des Africains pour les accompagner dans leur lutte et être leurs interprètes auprès de l’opinion publique et des plus hautes autorités de l’État. Il serait dramatique que la France, sous l’effet d’une politique qui ne peut convenir qu’aux dirigeants du Front national, quitte la voie de l’honneur et des droits de l’Homme et prenne celle d’une société fermée donc en déclin.

7. C’est pourquoi, ils en appellent directement au président de la République pour souligner l’urgence d’une politique entièrement renouvelée conformément à leur Adresse du 14 juin 1996 [1].

8. Ils projettent de tenir de très larges Assises pour débattre publiquement des bases d’une politique nouvelle d’immigration.

La balade des sans-papiers

Un film vidéo documentaire de 52 minutes réalisé par Samir Abdallah et Raffaele Ventura – août 1996. Chronique du mouvement des sans-papiers, depuis l’occupation de l’église Saint-Ambroise à Paris par 300 Africains, le 18 mars 1996.

voir page 3 de couverture




Notes

[1Voir extraits de cette adresse p. 13


Article extrait du n°32

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : mardi 2 juin 2015, 18:16
URL de cette page : www.gisti.org/article3714