Article extrait du Plein droit n° 45, avril 2000
« Double peine »

Les travailleurs immigrés sont de retour

Cyril Wolmark

Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris

De nombreux rapports publiés depuis un an par des experts français et internationaux prédisent que, dans les années qui viennent, le déficit de main-d’œuvre sera tel dans les pays occidentaux qu’ils n’auront d’autre ressource que de faire appel à des millions d’immigrés. La France vieillissante, en particulier, ne pourrait financer autrement son système de retraite.

Il est grand temps, dans ces conditions, que s’élabore une politique d’immigration fondée sur la liberté de circulation et sur le respect des droits de l’homme, en particulier l’égalité de traitement entre les différentes populations.

Les rapports s’accumulent ! Un par un, les experts nationaux(1) et internationaux(2) évoquent la nécessité de faire appel à la main-d’œuvre étrangère pour financer le système de retraite, voire prédisent que seule l’immigration permettra d’en assurer la pérennité. Rien que pour la France, les experts de l’ONU évaluent à 23 millions le nombre d’immigrés supplémentaires pour maintenir le dispositif de retraite jusqu’en 2025. En raison de la démographie française, le ration actif/inactif devrait se dégrader au point de devenir insupportable. La solution s’impose alors d’elle-même : il faut ouvrir les frontières. Cette solution, aussi simple que logique, appelle deux séries de commentaires.

Les conclusions révèlent encore un peu plus - s’il était besoin - les limites, effets pervers et faux prémices des politiques migratoires menées depuis 1974, date de la suspension de l’immigration de travail. Les limites sont manifestes : il est impossible de fermer hermétiquement les frontières, les opérations de régularisation en témoignent.

Les effets pervers ne sont que trop connus : création d’une catégorie de personnes sans droits, division des familles, suspicion généralisée à l’égard des étrangers assortie d’une poussée xénophobe, violations de libertés publiques affectant toute la population, agonie du droit d’asile, creusement des inégalités entre le Nord et le Sud.

En revanche le caractère erroné des présupposés de la fermeture des frontières est rarement mis en avant. Mais, il est patent. Fondée sur la préférence nationale et la protection nationale du marché du travail, la décision de suspension de l’immigration de travail n’a pas empêché le chômage d’augmenter continûment depuis lors(3).

Plus récemment, cette décision trouvait un prétexte dans la nécessaire protection du système actuel de sécurité sociale. Bien que leur effort contributif ait souvent dépassé le niveau des prestations qu’ils recevaient(4), les immigrés ont été désignés pour porter une large part de la responsabilité des déficits des comptes sociaux. Les rapports, cités plus haut, viennent contredire en bloc cette idée.

Le dogme de la fermeture des frontières, inefficace et liberticide, constituerait donc une menace pour la viabilité de l’État providence. On peut espérer que les experts permettent à l’opinion publique et au gouvernement de comprendre qu’ils se sont fourvoyés et qu’il est grand temps de sortir de l’impasse de la fermeture des frontières.

Pour autant peut-on appeler de ses voeux un changement des politiques migratoires en raison du niveau de vie prévisible des retraités du régime français ? Non, bien entendu, sauf à considérer la partie Sud de la planète comme un « réservoir de secours » pour la partie Nord(5). La domination du Nord sur le Sud ne peut constituer le fondement d’une politique d’immigration.

La France a déjà eu, durant les « Trente Glorieuses », la tentation de ne voir dans les pays du Sud qu’un gisement de main-d’œuvre dans lequel elle pouvait puiser à loisir, et sans la moindre considération pour ses habitants. Politique de logement inexistante, absence de droits fondamentaux – comme le droit d’association ou le droit d’être représentant du personnel dans une entreprise – mauvaises conditions de travail, carence absolue des politiques sociales ont accompagné les vagues d’immigration de 1945 à 1975.

Pour éviter ces écueils, il faut dès maintenant construire une politique d’immigration nécessairement fondée sur la liberté de circulation. A la différence de la fermeture des frontières, cette nouvelle politique ne peut être réalisée par décret. Elle exige préalablement un débat démocratique, non infecté de relents xénophobes, une vision communautaire, en raison des traités qui lient la France et ses partenaires européens, l’élimination de toute forme de discrimination entre nationaux et étrangers, mais également la concrétisation de droits fondamentaux existants, fort peu respectés, tels que le droit à une vie privée et familiale, le droit d’asile, le droit d’obtenir un visa, synonyme du droit de circulation…

Si les politiques migratoires doivent changer, c’est donc sous l’impulsion de principes respectueux des droits de l’homme : ouverture des frontières, certes, mais aussi égalité de traitement et co-développement. C’est uniquement en empruntant cette voie que l’on pourra aboutir à des flux migratoires aussi bénéfiques aux pays d’immigration qu’aux pays d’émigration.

Cet article a été publié dans le n° 108 (janvier-mars 2000) de la revue de la Ligue des droits de l’homme, Hommes et Libertés.

(1) Le travail dans vingt ans, dit « Rapport Boissonnat », éditions Odile Jacob, La documentation française, 1995 et également L’avenir de nos retraites, dit « Rapport Charpin », La documentation française, 1999.

(2) Migrations de remplacement, pré-rapport de l’ONU, mentionné par Le Monde, 6 janvier 2000.

(3) L’OCDE a établi, en étudiant la situation de plusieurs pays occidentaux, qu’il n’existait aucune corrélation entre niveau de chômage et nombre d’immigrés. Voir aussi, Immigration, emploi et chômage, CERC-association, avril 1999.

(4) Pour des raisons sociologiques et juridiques. Voir notamment, ENA, promotion Léonard de Vinci, Les immigrés et la protection sociale, publication du séminaire immigration de février 1984, et Guide de la protection sociale des étrangers en France, Gisti, Syros, 1997.

(5) Idée qui transparaît dans la récente circulaire du 28 décembre 1998 du ministère de l’emploi et de la solidarité sur « L’introduction simplifiée des ingénieurs informaticiens étrangers ».



Article extrait du n°45

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Dernier ajout : jeudi 20 mars 2014, 15:37
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