Article extrait du Plein droit n° 84, mars 2010
« Passeurs d’étrangers »

Ni héros ni escrocs : les passeurs portugais (1957-1974)

Victor Pereira

Post-doctorant de la Fundação para a Ciência e a Tecnologia – Chercheur de l’Instituto de História Contemporânea de l’Universidade Nova de Lisboa
L’image stigmatisée du passeur escroc que brandissaient les autorités salazaristes comme un épouvantail rejoint parfois celle qu’en donnent certains gouvernants aujourd’hui. Boucs émissaires bien pratiques, ces passeurs n’étaient en réalité ni des héros désireux de libérer les Portugais de la dictature, ni des escrocs sans scrupules. Ils représentaient une sorte de passage obligé pour ceux qui voulaient aller chercher ailleurs une vie meilleure.

« Aujourd’hui, je me sens épanoui car j’ai retiré beaucoup de personnes de la misère et j’ai évité à de nombreux jeunes d’aller mourir dans les colonies » [1]. Ainsi s’enorgueillit, en 2007, un ancien passeur portugais qui fit sortir de son pays et entrer en France plusieurs dizaines de travailleurs. Cette héroïsation de la figure du passeur, que l’on retrouve dans de nombreux travaux consacrés de nos jours à la frontière lusoespagnole et à toutes les activités « illégales » qui s’y exerçaient, contraste avec l’image diffusée par les élites portugaises, sous la dictature salazariste. L’image stigmatisée du passeur-escroc que brandissaient les autorités de l’époque comme un épouvantail, rejoint parfois celle qu’en donnent certains gouvernants aujourd’hui. Selon le point de vue paternaliste des autorités salazaristes, les passeurs étaient des individus sans scrupules, cupides, trompant sans remords les migrants qui, croyant les promesses d’un travail assuré et de salaires élevés, s’endettaient pour partir. Selon le discours répandu notamment dans la presse, les passeurs n’avaient aucune répugnance à maltraiter leur « marchandise », à l’abandonner en pleine montagne et à lui faire subir d’épouvantables épreuves physiques. Ces discours sur les « trafiquants de chair humaine » [2] permettaient d’occulter les raisons sociales, économiques et politiques de l’émigration. Les Portugais partaient illégalement non pas car ils désiraient s’extirper de la pauvreté, refusaient l’étouffement des libertés, fuyaient la « désespérance » [3] et les guerres coloniales mais parce que, candides, ils croyaient les promesses fallacieuses des passeurs. Les passeurs étaient ainsi érigés en de bien pratiques boucs émissaires. Ces deux représentations, bien que contrastées, empêchent toutefois de saisir qui étaient les passeurs et la profonde ambivalence de leur activité. Car la plupart n’étaient ni des héros qui libéraient les Portugais de la dictature salazariste au péril de leur vie, ni des individus qui extorquaient sans scrupule des migrants innocents et sans défense.

Aucune sociologie fine des passeurs portugais qui ont déployé leur activité lors des années 1957- 1974, période pendant laquelle 900 000 Portugais sont venus en France, dont 550 000 de manière irrégulière, n’a été élaborée à ce jour. C’est une tâche complexe car sous le même terme se rangent des individus aux trajectoires et aux activités diverses. Un fossé sépare par exemple le paysan résidant près de la frontière, qui connaît depuis son plus jeune âge chaque recoin d’une partie de la ligne politique qui démarque le Portugal et l’Espagne et qui tire occasionnellement une partie de ses maigres ressources de la frontière en se faisant occasionnellement contrebandier ou passeur, du grand contrebandier et passeur qui fait transiter illégalement de nombreux objets et hommes en Espagne, employant pour cela plusieurs hommes, véhicules et corrompant les agents de police.

De même, la différence est grande entre l’émigré qui fait passer des proches, gratuitement ou non, par le même chemin qu’il a emprunté quelques mois plus tôt, et le militant du Parti communiste portugais qui permet la fugue de ses « camarades » recherchés par la police politique. À tous ces différents cas de figure correspondent des motivations et des pratiques distinctes. Et ces passeurs, occasionnels ou professionnels, ne sont utilisés par les migrants que lorsque la surveillance des États l’exige. Lorsque cette surveillance est relâchée, beaucoup de migrants, surtout ceux qui habitent près de la frontière et en connaissent les secrets, se passent des services de ces agents.

Ceux qui faisaient traverser les migrants par un point des 1 200 kilomètres de la frontière terrestre (les sorties par la voie maritime ont été assez rares) qui sépare (ou unit) le Portugal et l’Espagne, ne constituaient souvent qu’un maillon d’une chaîne plus ou moins longue et dont la complexité variait en fonction du type de répression exercée par les États. En amont de cette chaîne, se trouvaient les rabatteurs, souvent des commerçants et notamment des colporteurs qui, dans les villages, les foires, les fêtes, mettaient en contact les candidats au départ avec le reste du « réseau ». La tâche de ces rabatteurs consistait à réunir un certain nombre de migrants qu’ils adressaient ensuite à un passeur avec lequel ils avaient convenu d’un point de rendez-vous, d’un horaire et de la répartition des sommes que devaient donner les migrants. Les migrants étaient parfois logés dans des pensions proches de la frontière et conduits au point de rendez-vous fixé avec les passeurs par des conducteurs de taxis, autres intermédiaires, conscients ou inconscients, de ce passage illégal [4].

En aval, les migrants étaient récupérés par les passeurs espagnols qui transportaient les migrants jusqu’à la frontière française, pendant toute la période au cours de laquelle l’État espagnol réprimait la traversée de son territoire par les Portugais qui voyageaient sans passeport et qui se trouvaient donc dans l’illégalité vis-à-vis de la législation espagnole. Là, des passeurs introduisaient les Portugais sur le territoire français où ils étaient pris en charge par d’autres individus censés les amener soit en région parisienne, soit dans les lieux fixés par les migrants. Cet itinéraire – « la route de l’espoir » comme la surnomma un article de Francesoir d’avril 1965 – n’exista sous cette forme que jusqu’en 1966.

Bien que le voyage « a salto », en sautant au-dessus des frontières, dans sa forme la plus éprouvante pour les migrants, soit celui qui a le plus marqué les mémoires, ce chemin ne fut pas celui qu’emprunta la majorité des 550 000 hommes et femmes qui émigrèrent illégalement en France. En effet, certains migrants sortirent du pays avec des passeports de tourisme ou des papiers falsifiés. D’autre part, la tolérance de la France puis de l’Espagne vis-à-vis de la migration portugaise irrégulière démantela une bonne partie des réseaux de passeurs espagnols et rendit le passage plus simple, moins difficile physiquement et beaucoup moins onéreux.

En effet, à partir d’avril 1964, une circulaire du ministre de l’intérieur français ordonna aux préfets d’autoriser l’entrée sur le territoire français aux Portugais démunis de passeport et de contrat de travail. Les autorités françaises allèrent même jusqu’à inciter leurs homologues espagnoles à ne pas empêcher les Portugais arrivés dans le pays basque de s’introduire en France. Au contraire, elles devaient les canaliser vers Hendaye. À partir de 1965, les autorités espagnoles cessèrent de réprimer l’entrée des Portugais sans passeport et, en 1966, commencèrent à concéder des sauf-conduits valables trente jours à tous les Portugais qui s’introduisaient en Espagne.

Ces dérogations à la législation espagnole et française eurent pour conséquence de massifier l’émigration clandestine portugaise. Désormais, même les plus pauvres, même les femmes, les enfants et les personnes âgées pouvaient se rendre illégalement en France. Il leur suffisait de traverser, avec ou sans passeur, la très peu surveillée frontière luso-espagnole.

Les mesures politiques françaises et espagnoles ôtèrent leur raison d’exister aux passeurs qui officiaient sur les territoires espagnol et français. Car les passeurs n’existent que lorsqu’il y a répression. En ce sens, le policier et le passeur sont interdépendants. Le premier tire son travail et sa légitimité de la présence du second et ce dernier gagne sa vie de l’existence du premier. Cette interdépendance a fréquemment entraîné une posture ambivalente du passeur vis-à-vis de ces représentants de l’État. En effet, les passeurs n’étaient pas tous des « résistants » qui défiaient l’État en cachant efficacement leur action aux autorités. Preuve en est que l’on retrouve dans les archives des polices portugaises de nombreuses listes de passeurs mentionnant qu’ils étaient toujours en activité. Il existait une certaine tolérance de la part des polices envers les passeurs. Mais ce laisser-faire n’excluait pas une répression ponctuelle, ni quelques arrestations, le tout dans une stratégie du pourtour exercée pour effrayer les migrants et maintenir le pouvoir des autorités sur les passeurs.

Une action ambivalente

Cette relative tolérance policière s’explique par l’attitude ambiguë qu’entretenait l’État portugais vis-à-vis du phénomène migratoire. Une partie des agents étatiques entendait empêcher l’émigration afin de conserver l’appui politique des employeurs de main-d’oeuvre agricole et de la petite industrie. Elle craignait aussi l’importation d’idées jugées subversives venues de l’étranger et s’inquiétait de la façon dont les migrants se soustrayaient à l’effort militaire déployé dans les colonies. Toutefois, toute une autre frange d’agents étatiques estimait au contraire que l’émigration devait être libéralisée car elle favorisait la modernisation du tissu économique, canalisait des devises étrangères vers le pays et réduisait les tensions sociales.

Au regard de ces importantes divisions qui déchiraient l’État en matière de gestion de l’émigration, les passeurs exécutaient une fonction que le gouvernement ne pouvait, ni ne voulait exercer. Le caractère illégal de l’émigration irrégulière permettait aux autorités de se dédouaner de toute responsabilité vis-à-vis de l’« opinion publique » et notamment de celle des notables provinciaux. Cela évitait d’opérer un changement radical de politique d’émigration, avec tous les coûts administratifs et politiques que ce changement aurait pu engendrer. Mais l’émigration irrégulière présentait un autre avantage : celui de contenter les segments de l’appareil d’État qui défendaient l’exportation d’une main-d’oeuvre estimée surnuméraire dans l’optique de la modernisation des structures économiques du pays.

Enfin, pour une partie des dirigeants de la dictature, l’autre intérêt des départs par la voie clandestine était de fragiliser les migrants. Sans documents officiels, lourdement endettés pour payer les services des passeurs, les migrants en France devaient travailler dur et se tenir éloignés de toute activité estimée politique de crainte d’être expulsés ou de ne plus pouvoir revoir leur famille. Jusqu’à leur régularisation vis-à-vis de l’État français et de l’État portugais, ils devaient se maintenir dans l’attentisme, subissant ainsi une « affiliation bridée » [5].

De plus, jusqu’à ce que l’Espagne cesse de réprimer l’entrée sur son territoire des Portugais sans passeport, seuls les hommes pouvaient partir illégalement, le voyage étant trop difficile physiquement pour les femmes et les enfants. La division du noyau familial qu’entraînait l’émigration illégale favorisait les desseins de la plupart des gouvernants : contrôler indirectement une migration de maintien pratiquée par des hommes, souvent jeunes, qui envoyaient fréquemment d’importantes sommes d’argent au Portugal et qui projetaient, à plus ou moins long terme, de rentrer au Portugal.

Informateurs précieux de la police politique

On ne peut donc pas simplement considérer les passeurs comme des opposants à la dictature, des rebelles à l’autorité de l’État. Bien au contraire, sans le savoir, les passeurs participaient au jeu d’une part des gouvernants. Ils étaient les maillons d’une chaîne qui s’avérait en fait indispensable à la politique d’émigration contradictoire que menaient les autorités portugaises. De plus, comme le révèlent certains travaux réalisés dans d’autres contextes migratoires [6], les passeurs sont souvent de précieux informateurs pour les polices politiques. Ils connaissent parfaitement les aires frontalières et les différents mouvements d’individus ou d’objets qui s’y opèrent. La police peut leur concéder une certaine latitude dans l’exercice de leur activité à condition qu’ils fournissent les informations dont elle a besoin. Ainsi, on peut imaginer que certains passeurs jouissaient d’une relative impunité tant qu’ils ne faisaient passer que des individus estimés peu importants par la police politique et donnaient des indications concernant le passage de militants de partis d’opposition, de déserteurs ou de réfractaires.

Les arrestations épisodiques de passeurs constituaient le versant de cette tolérance et de ces accommodements locaux entre passeurs et policiers. Cette répression contribuait à entretenir la politique en trompe-l’oeil montée par une partie des autorités en direction de l’opinion publique « conservatrice ». En effet, les autorités prétendaient traquer sans merci les exploiteurs du peuple alors que, sur le terrain, peu de moyens étaient alloués à la surveillance de la frontière et que les juges faisaient preuve de mansuétude vis-à-vis des passeurs. Les arrestations permettaient également à la police de maintenir une certaine pression sur les passeurs qui, travaillant dans l’insécurité, étaient souvent contraints de collaborer avec la police.

Cette ambiguïté du statut et du rôle des passeurs dans ses rapports avec la police explique que les partis d’opposition – le Parti communiste portugais ou les partis d’extrême gauche qui encourageaient la désertion et l’insoumission des jeunes appelés à se battre dans les colonies – montèrent leur propre dispositif de « fugue ». Ils préféraient éviter d’avoir recours à des passeurs peu sûrs qui pouvaient les dénoncer.

Malgré l’ambivalence démontrée par de nombreux passeurs, un lien de confiance pouvait véritablement s’établir entre les migrants et eux. Il s’agissait plus précisément d’un lien de « confiance assurée », pour reprendre l’expression d’Adam Seligman, qui « peut se fonder sur la capacité d’imposer des sanctions et sur le fait de savoir que le partenaire d’interaction sait aussi quelle sanction lui sera infligée s’il ne respecte pas les termes d’un accord » [7]. D’une part, dans les sociétés rurales caractérisées par l’interconnaissance et par l’importance de la réputation, les rabatteurs et les passeurs devaient veiller à maintenir leur capital de respectabilité et de fiabilité. La « bonne réputation » est une des principales ressources d’un passeur. S’ils la perdaient, en trahissant la confiance d’un migrant, ils risquaient de ne plus trouver de clients.

Réseaux d’interconnaissance

D’autre part, les passeurs et les rabatteurs n’étaient pas totalement des inconnus pour une partie des migrants, surtout ceux d’origine rurale. Ils étaient intégrés dans les réseaux d’interconnaissance des populations rurales. Les rabatteurs désireux de préserver la confiance qu’on leur avait accordée cherchaient à travailler avec des passeurs sûrs. De plus, les migrants n’étaient ni démunis ni entièrement vulnérables face aux passeurs, contrairement à ce que proclamait le discours paternaliste des élites. S’il s’estimait trompé, un migrant pouvait porter préjudice au passeur en déconseillant à ses proches d’avoir recours à ses services. En effet, dans les chaînes migratoires, les anciens migrants conseillaient ou déconseillaient un rabatteur et/ou un passeur à leurs proches qui voulaient les rejoindre. Un dossier d’émigration clandestine instruit par la police politique fournit un bon exemple de l’importance de la réputation dans la constitution de la clientèle des passeurs : une femme qui voulait rejoindre son compagnon en France déclarait avoir refusé de voyager avec un passeur car elle avait été informée qu’il s’agissait d’un « individu peu respectable qui a l’habitude d’abuser des femmes qu’il amène clandestinement » [8].

Si un migrant n’était pas satisfait des services de son passeur, il avait également la possibilité de ne pas lui payer son dû, considérant qu’il n’avait pas tenu son engagement. Des procédés avaient été mis en place pour favoriser l’installation d’un climat de « confiance assurée ». Avant leur départ, les clandestins ne réglaient qu’une partie du montant fixé avec le rabatteur. Ils déchiraient en deux une photographie de leur portrait, laissaient la première moitié à leur famille et conservaient l’autre. S’ils arrivaient en France comme convenu avec le rabatteur, ils envoyaient la seconde moitié de la photo à leur famille, signe que celle-ci devait régler le reste de la somme due [9].

Les migrants pouvaient également dénoncer les passeurs peu scrupuleux à la police politique. Certains passeurs appelaient les clandestins la « contrebande qui parle » car les « émigrants pouvaient les dénoncer aux autorités » [10]. Pour se prémunir des dénonciations, les passeurs promettaient aux migrants de les passer de nouveau, sans coût additionnel, s’ils étaient arrêtés. Certains passeurs ne craignaient cependant pas ces dénonciations du fait des collusions avec des agents de la police politique.

La confiance qu’accordaient les migrants aux passeurs doit également s’envisager au regard de la méfiance que les classes populaires entretenaient envers l’État et ses représentants. Pour les classes populaires portugaises, l’État était une sorte d’ennemi, une entité synonyme d’impôts et de service militaire, l’alliée des employeurs et des grands proprié taires ruraux, un obstacle gênant qui les empêchait d’aller gagner leur vie à l’étranger en n’accordant que parcimonieusement des passeports.

Confiance dans les passeurs, méfiance envers l’État

L’une des ambiguïtés de la dictature portugaise était d’inscrire dans la loi la plupart des droits individuels reconnus par les démocraties mais de ne pas les accorder dans la pratique. Le déni de ces droits individuels se dissimulait derrière pléthore de règlements rédigés par l’administration et la concession d’un très large pouvoir discrétionnaire aux agents administratifs. Pour émigrer légalement, les candidats à l’émigration devaient d’abord remplir certaines conditions qui excluaient une partie importante de la population. Si, toutefois, ils satisfaisaient à ces préalables, ils devaient remplir de nombreux documents, obtenir l’appui des patrons locaux et s’armer de patience face à une administration lente, opaque, corrompue et imprévisible. Choisir la voie légale revenait à se soumettre à l’administration et à son « pouvoir absolu [qui] est le pouvoir de se rendre imprévisible et d’interdire aux autres toute anticipation raisonnable, de les installer dans l’incertitude absolue en ne donnant aucune prise à leur capacité de prévoir » [11]. À l’inverse, l’émigration illégale par le biais des passeurs semblait plus rapide, plus simple et, parfois, moins onéreuse. Avec les passeurs, nulle question de papiers à remplir, nulle attente incertaine, nul patron à solliciter. Pour partir, il suffisait de payer – cher – une personne qui vous dispensait un service. Comme le reconnaissait un haut fonctionnaire du ministère des affaires étrangères portugais : « au contraire de ce que l’on pourrait croire, [l’émigrant clandestin] ne se considère pas, dans la majorité des cas, trompé : il paie honnêtement un service qu’il a contracté » [12].

Pour la plupart ni héros ni escrocs, les passeurs portugais bénéficièrent des contradictions de la politique d’émigration, de la tolérance des autorités françaises puis espagnoles et, parfois, des accommodements opérés au niveau local avec les forces de police. Ils furent les agents actifs mais inconscients d’une politique en trompe-l’oeil conduite par un gouvernement qui ne pouvait accepter publiquement l’exportation de la main-d’oeuvre mais voulait bénéficier de ses effets. Leur ambivalence n’empêchait cependant pas un lien de confiance entre eux et les migrants qu’ils guidaient vers l’Espagne. Certes, ce lien de confiance coexiste parfois avec un sentiment d’animosité. De nombreux témoignages de clandestins font état a posteriori des carences alimentaires qu’ils ont endurées lors du voyage, des épreuves physiques que leur imposaient les passeurs et de l’autoritarisme de ces derniers. Cependant prévaut le plus souvent l’idée que, face à l’État portugais qui ne suscitait que de la méfiance, les passeurs représentaient le mal nécessaire pour chercher, ailleurs, une meilleure vie pour soi et sa famille.




Notes

[1José Gomes Morais, Passagens de um passador. História de vida de João Fernandes, Arcos de Valdevez, Município de Arcos de Valdevez, 2007, p. 98.

[2Rapport de la délégation de la PIDE de Guarda, août 1964, ANTT/PIDE/DGS, SC proc 218 CI(1), Secretariado Nacional da Emigração, n° 1177, pasta 2.

[3Emmanuel Terray, « Pourquoi partentils ? » in Claire Rodier, Emmanuel Terray (sous la dir.), Immigration : fantasmes et réalités. Pour une alternative à la fermeture des frontières, Paris, La découverte, 2008, p. 21-26, p. 23.

[4Sur les réseaux qui ont permis l’émigration clandestine vers la France, voir Marta Nunes Silva, Redes de emigração económica clandestina com destino a França (Penedono, 1960-1974), thèse de master, Instituto Superior de Ciências do Trabalho e da Empresa, 2008.

[5Voir, Sébastien Chauvin, « En attendant les papiers. L’affiliation bridée des migrants irréguliers aux États-Unis », Politix, n° 87, 2009, p. 47-69.

[6Voir, par exemple, Samy Elbaz, « Les ambivalences de la politique migratoire en Tunisie », FASOPO, dactyl., 2008, p. 77-80.

[7Adam Seligman, « Complexité du rôle, risque et émergence de la confiance », Réseaux, n° 108, 2001, pp. 37-61, p. 39.

[8Déclarations de Maria Deolinda Verde, le 27 juillet 1966, ANTT/PIDE/DGS, Delegação Porto, PC 165/66, NT 3261.

[9Cf. le documentaire de José Vieira pour une narration de cette pratique, José Vieira, La photo déchirée : chronique d’une émigration clandestine, La Huit, 2001.

[10Eduarda Rovisco, « “La empresa más grande que tenía el gobierno portugués y el español era el contrabando”. Práticas e discursos sobre contrabando na raia do concelho de Idanha-a-nova » in Dulce Freire, Eduarda Rovisco, Inês Fonseca (eds), Contrabando na fronteira luso-espanhola. Práticas, memórias e patrimónios, Lisboa, Nelson de Matos, 2009, pp.89-129, p. 114.

[11Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 2003 (1ère éd. 1997), p. 328.

[12Rapport final de la commission chargée de l’étude des problèmes de l’émigration, le 22 janvier 1965, IANTT/AOS/CO/PC-81A.


Article extrait du n°84

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Dernier ajout : lundi 7 avril 2014, 17:56
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