La carte de séjour spécifique aux victimes de traite et de proxénétisme : précarité


1. Une procédure soumise aux pratiques dilatoires des préfectures

a) Délivrance par la préfecture d’autorisations provisoires de séjour (APS) ou de récépissés successifs jusqu’à ce que la participation de la victime ne soit plus utile au procès

  • CAA de Bordeaux, n° 08BX01680, 17 février 2009
    « Mlle X a porté plainte pour proxénétisme, le 9 février 2006, et témoigné, le 14 juin 2006, contre un Français qui cherchait à la faire travailler pour lui ; que ces actes ont contribué à la condamnation de l’intéressé pour proxénétisme aggravé par le tribunal correctionnel de Toulouse le 29 novembre 2006 ; que la demande de titre de séjour, formulée sur le fondement de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a été présentée par Mlle X le 14 mai 2007, alors que la procédure pénale à laquelle elle avait apporté son concours était achevée ; [...] il n’est pas sérieusement contesté qu’elle ne s’était pas affranchie “du milieu dans lequel elle évoluait” jusqu’alors, ainsi que l’a relevé le préfet par la décision contestée ; que, dès lors, à la date de cette décision, elle ne remplissait pas les conditions prévues aux articles précités du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour prétendre à un titre de séjour valant autorisation de travail. »
  • CAA de Bordeaux, n° 08BX01679, 17 février 2009
    « Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que, par ordonnance du 11 juin 2004, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse ayant suspendu la décision de reconduite prise à l’encontre de l’intéressée le 10 décembre 2003, Mlle X s’est vu délivrer par le préfet de la Haute-Garonne une autorisation provisoire de séjour pour lui permettre de comparaître devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour “entrée ou séjour irrégulier d’un étranger en France” ; qu’elle a été relaxée de ces fins de poursuite par jugement du 7 janvier 2005 ; [...] que les circonstances que ni cette autorisation ni les récépissés de dépôt de demande de titre de séjour sur le fondement de l’article L. 316-1 précité ne l’aient autorisée à travailler, sont sans incidence sur la légalité du refus de titre de séjour contesté ;
    Considérant, en deuxième lieu, que si Mlle X a déposé plainte, le 8 février 2005, contre une personne non identifiée pour des faits de proxénétisme dans le cadre d’une procédure pénale pour proxénétisme initiée par une tierce personne en novembre 2002, cette procédure s’est conclue par une ordonnance de non-lieu le 23 août 2005 ; que, dès lors, à la date de l’arrêté contesté, elle ne remplissait plus les conditions prévues par l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [...]
     ».
  • CAA de Nancy, n° 08NC00283, 2 octobre 2008
    « Il ressort des pièces du dossier que Mme Y, interpellée par les services de police le 17 octobre 2006, a procédé à la dénonciation d’individus dirigeant un réseau de proxénétisme ; [...] elle a obtenu, à ce titre, deux autorisations provisoires de séjour successives pour la période du 30 octobre 2006 au 28 avril 2007 ; [...] le préfet du Bas-Rhin, par décision du 8 octobre 2007, a décidé de rejeter sa demande de délivrance du titre de séjour prévu par les dispositions sus-mentionnées aux motifs que, d’une part, le juge instruisant l’affaire en cause avait estimé, par courrier en date du 11 septembre 2007, que le maintien en France de Mme Y n’était plus nécessaire alors que l’intéressée n’était ni mise en cause, ni partie civile et, d’autre part, que l’intéressée n’était pas dépourvue d’attaches familiales dans son pays d’origine, ou résident ses parents, son frères et sa sœur et que ses liens en France n’étaient pas tels qu’ils justifiaient la délivrance du titre de séjour »....

b) Illégalité d’un report de la délivrance du titre de séjour dans l’attente d’une décision du procureur de la république

  • CAA Bordeaux, 1er mars 2012, n° 11BX02537
    « Mme X a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre les personnes qui l’hébergeaient en exposant avoir été victime de sévices et d’exploitation abusive de son travail sans aucune rémunération ; [...] de telles infractions sont visées à l’article 225-4-1 du code pénal ; [...] la Chambre de l’instruction de la cour d’appel a, par arrêt du 4 octobre 2007, constaté que, les faits ayant eu lieu à Marmande et les personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction ne résidant pas dans le ressort, le juge d’instruction de Bordeaux était territorialement incompétent, et a renvoyé le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera ; [...] dans ces circonstances, Mme X était en droit de se prévaloir des dispositions de l’article R. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile » ;
    Annulation d’un refus implicite de la préfecture
  • CAA de Bordeaux, 22 mars 2011, n° 10BX02812 « Mlle X a déposé plainte au commissariat de police de Niort le 19 janvier 2010 à l’encontre d’un ressortissant allemand qui lui aurait proposé un emploi en France et aurait organisé son arrivée sur le territoire avant de la séquestrer à Limoges, d’où elle se serait enfuie avant d’être recueillie à Niort, laquelle plainte a été enregistrée pour infraction à la législation des étrangers, viol, et travail dissimulé ; [...] elle a bénéficié pour ce faire d’une prolongation de la durée de validité de son visa et d’une autorisation provisoire de séjour ; [...] il n’est pas contesté que le procureur de la République, qui est compétent pour qualifier les faits et les poursuivre, n’avait pas pris de décision sur la plainte de Mlle X le 2 juillet 2010, s’agissant notamment de la qualification des faits au regard des articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ; [...] ainsi, Mlle X, qui a évoqué la procédure judiciaire en cours dans sa demande et doit donc être regardée comme ayant déposé une demande de titre sur le fondement des dispositions précitées, pouvait prétendre à la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement des articles L. 316-1 et R.316-1 précités ; [...] la PREFETE, par les pièces qu’elle produit, n’établit pas, en l’absence d’une décision de l’autorité judiciaire, que la plainte déposée par Mlle X l’aurait été à seule fin de se maintenir sur le territoire. »

c) Illégalité d’un report de la délivrance du titre de séjour dans l’attente d’une décision du juge judiciaire

  • CAA Paris, 11 octobre 2011, n° 09PA03778

-* TA de Paris, 22 septembre 2011, n°0915938 et 1003246
« Mlle X. satisfaisait aux conditions définies à l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; qu’elle est par suite fondée à soutenir que le préfet de police, qui ne saurait régulièrement subordonner la délivrance du type de titre de séjour demandé à l’intervention préalable d’un jugement du juge judiciaire, ne pouvait légalement refuser de lui délivrer la carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” demandée sur le fondement des dispositions précitées de cet article et de l’article R. 316-3 du même code ».

d) Ces mesures dilatoires constituent un refus implicite quatre mois après le dépôt de la demande de titre de séjour

  • CAA de Paris, 31 décembre 2010, n° 10PA00111
    « Considérant [que] Mlle A a présenté le 2 mars 2007 une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l’article L. 316-1 du [Ceseda] ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que cette demande ait fait l’objet d’un accusé de réception comportant les indications exigées par l’article 1er du décret précité du 6 juin 2001 ; que, dans ces conditions, la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet pendant plus de quatre mois sur cette demande n’est pas devenue définitive, le délai de recours contentieux à l’encontre de cette décision n’ayant pas commencé à courir ; que la décision du 26 août 2008 renouvelant pour la deuxième fois l’autorisation provisoire de séjour de l’intéressée, qui ne constitue pas une décision qui statue sur la demande de titre de séjour, révèle une décision implicite de rejet confirmant la première décision implicite qui n’était pas devenue définitive ; qu’il ressort des pièces du dossier que Mlle A a demandé au préfet de police, dans un courrier du 8 septembre 2008, reçu le lendemain, de lui faire connaître les motifs de cette dernière décision ; que ceux-ci ne lui ont pas été communiqués dans le mois suivant sa demande ; qu’ainsi, faute de comporter une motivation, ladite décision doit être regardée comme illégale ; »

2. Des plaintes qui n’entrent pas dans le cadre du Ceseda

Il est fréquent que, malgré une plainte pour traite ou pour proxénétisme, le procureur ne retienne qu’une autre qualification.

  • Incrimination du "passeur" pour "aide à l’entrée et au séjour irrégulier
    CAA de Nantes, 14 novembre 2010, n° 08NT01295
    «  M. X fait valoir que la plainte qu’il a déposée à l’encontre de son passeur le 31 janvier 2007 du chef de traite des êtres humains lui ouvre droit à la délivrance d’un titre de séjour en application des dispositions précitées de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il ressort des pièces du dossier que ledit passeur n’a été mis en examen et renvoyé devant le Tribunal correctionnel d’Orléans que du seul chef d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier, infraction qui n’est pas au nombre de celles visées par les articles du code pénal mentionnés à l’article L. 316-1 précité ; que, par suite, et quelle que soit l’issue de la procédure pénale ainsi engagée, M. X n’est pas fondé à soutenir que le refus de titre de séjour qui lui a été opposé par le préfet du Loiret a méconnu les dispositions de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. »

Voir aussi : CAA, 8 octobre 2009, n° 08NT01293

  • Victime de faits uniquement qualifiés de "conditions indignes de travail"
    TA de Paris, juge des référés, 15 octobre 2009, n° 0915937/9

3. Victime de proxénétisme et accusée de proxénétisme

  • Conseil d’État, 30 juillet 2008, n° 307304
    « Considérant que, si Mme A soutient être la victime d’un réseau de prostitution et non l’auteur de proxénétisme aggravé et fait valoir qu’elle a porté plainte contre deux de ses proxénètes, le 28 février 2005, et qu’elle a obtenu, à ce titre, une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il ressort des pièces du dossier [...] que Mme A, dans le cadre du réseau de proxénétisme, initiait les jeunes femmes à la prostitution, gardait leurs passeports, les surveillait, les enfermait dans un appartement, traitait personnellement avec les clients le prix à payer et encaissait l’argent qu’elle remettait chaque fin de semaine à l’un des proxénètes ; qu’en particulier, elle a transporté une des jeunes femmes de Roumanie en France en lui dissimulant qu’elle devrait se prostituer, a menacé de mort une autre jeune femme qui se rebellait et a obligé une des membres du réseau à se prostituer alors qu’elle était enceinte de plusieurs mois ; qu’ainsi, elle ne saurait être regardée comme victime d’un réseau de prostitution ; [...]
    Considérant que la circonstance que Mme A ait coopéré avec les services de police en dénonçant deux de ses proxénètes et obtenu à ce titre le bénéfice d’une carte de séjour temporaire sur le fondement de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ne saurait par elle-même faire obstacle à son extradition
     » [demandée par la Roumanie].
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Dernier ajout : vendredi 14 septembre 2012, 22:55
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