Édito extrait du Plein droit n° 138, octobre 2023
« Étrangers sous écrou »

Contrôles frontaliers : l’ère des drones

ÉDITO

Le 7 septembre 2023, les préfets du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme adoptaient un arrêté interdépartemental autorisant l’emploi de caméras installées à bord d’aéronefs « dans le cadre de la mission de lutte contre l’immigration clandestine en zone Nord ». Il permet, durant 3 mois, l’utilisation de 76 caméras embarquées à bord de drones, avions et hélicoptères afin de surveiller une large bande côtière de 5 km s’étendant, hors agglomération, sur 150 km de Mers-les-Bains à Bray-Dunes. Peut notamment être mobilisé, pour la surveillance nocturne, l’avion de la société privée, prestataire de la police aux frontières, habituellement utilisé dans le cadre de missions de sauvetage…

Depuis qu’un décret du 19 avril 2023, pris en application de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, permet la surveillance des frontières par des caméras embarquées « en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier », les préfets des départements frontaliers n’ont pas tardé à édicter des arrêtés en série, faisant entrer la surveillance des frontières dans l’ère des drones.

Le préfet des Alpes-Maritimes s’est empressé de dégainer le premier. En guise de ballon d’essai, il autorisait, pour la seule journée du 4 mai, la surveillance par drones d’un très large périmètre couvrant le littoral mentonnais ainsi que les abords des postes frontières et des voies ferroviaires. Une semaine après, le 10 mai, le même préfet édictait, pour une durée de 3 mois, deux nouveaux arrêtés couvrant le secteur frontalier et ferroviaire de la commune de Menton, de Breil-sur-Roya, de Sospel et de Castellar.

Au terme de ces 3 mois, le 10 août, un nouvel arrêté autorisait l’utilisation d’une caméra grand angle et d’une caméra thermique, durant 3 mois, pour surveiller, de jour comme de nuit, le secteur de la commune de Menton. Puis un autre, le 11 septembre, toujours pour 3 mois, en vue de l’utilisation de caméras optiques et thermiques pour contrôler la vallée de la Roya. À n’en pas douter, ces arrêtés seront renouvelés alors même que la loi exige que la surveillance ne soit pas permanente.

Le 24 mai, le préfet des Hautes-Alpes autorisait à son tour, pour 3 mois, la surveillance par drones des points de passage du Briançonnais. Loin d’empêcher le franchissement des cols alpins, l’utilisation de ces moyens technologiques pousse les exilés à emprunter des itinéraires plus dangereux. Fin août, l’association Refuges solidaires n’a-t-elle pas dû fermer les portes du centre d’accueil d’urgence en raison de saturation ?

Pour tenter de freiner le déploiement massif des drones, les associations ne sont pas restées passives. Afin de respecter le droit au respect de la vie privée, le Conseil constitutionnel a exigé, dans sa décision du 20 janvier 2022, qu’« une telle autorisation ne saurait cependant […] être accordée qu’après que le préfet s’est assuré que le service ne peut employer d’autres moyens moins intrusifs… ». Cette réserve a permis à des associations locales de contester avec succès, en référé-liberté, un arrêté du 26 juin 2023 du préfet des Pyrénées-Atlantiques autorisant la surveillance par drones, durant 1 mois, d’un large périmètre des communes frontalières d’Urrugne et d’Hendaye. En appel, le Conseil d’État a confirmé la suspension de l’arrêté, estimant que les données produites par l’administration sur les flux migratoires, les caractéristiques géographiques de la zone concernée et les moyens affectés « ne sont pas suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d’une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure, que le service ne peut employer, pour l’exercice de cette mission dans cette zone et sur toute l’étendue de son périmètre, d’autres moyens moins intrusifs [1] ».

Plus récemment, des associations, dont le Gisti, ont contesté, sans succès [2], des arrêtés du préfet de Mayotte d’août 2023 autorisant, jusqu’en novembre, l’utilisation de drones « dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre et de lutte contre l’immigration clandestine » sur un périmètre couvrant 9 communes, pour une superficie au moins égale à 200 km2, soit l’essentiel des zones habitées de l’île.

Le déploiement de ces technologies de surveillance contribue à la déshumanisation accrue des contrôles frontaliers et à la mise à distance des migrants. Plusieurs indices font néanmoins craindre un développement rapide de ces technologies de surveillance. En mars 2023, la Commission européenne envisageait ainsi, dans une communication sur la gestion intégrée des frontières, de privilégier l’utilisation de drones. Quant à la loi « JO » du 19 mai 2023, elle permet aux forces de l’ordre d’expérimenter, jusqu’en 2025, le traitement algorithmique des images captées lors de manifestations sportives, récréatives ou culturelles – expérimentation qui sera, sans guère de doute, pérennisée à l’avenir et élargie aux contrôles frontaliers.

Pour surveiller des périmètres plus vastes, il est aussi possible d’effectuer une surveillance des frontières par des drones munis de capteurs thermiques et infrarouge [3], des drones militaires (comme pour le défilé du 14 juillet 2023), des drones en essaim (comme à l’occasion de feux d’artifice), ou même des dirigeables. On peut aussi imaginer des drones équipés de dispositifs d’immobilisation à impulsion électrique (dit « taser ») [4] ou, pourquoi pas, comme Serge Lehman dans F.A.U.S.T. [5], des nano drones permettant de contrôler l’accès des citoyens à un territoire et tenir à l’écart les indésirables ?


Merci François !

L’annonce du décès de François Gèze a vivement ému les membres du Gisti.

Depuis près de 40 ans, François était un fidèle compagnon de route de notre association. D’abord parce que ses combats rejoignaient souvent les nôtres, mais aussi parce que, dès 1985, il nous a ouvert les portes de La Découverte pour la publication des guides du Gisti. Plus tard, c’est lui aussi qui nous a conseillés et guidés pour la mise en ligne sur Cairn de notre revue Plein droit. Et, c’est forts de ses précieux conseils que nous travaillons actuellement à la diffusion sur Cairn de l’ensemble de nos publications.

Pendant ces quarante années, il a toujours fait preuve d’une disponibilité et d’un engagement à toute épreuve tant comme éditeur qu’à titre personnel. Nous lui en restons reconnaissants.




Notes

[1CE, 25 juillet 2023, ord. n° 476151.

[4« Startup Pitched Tasing Migrants From Drones, Video Reveals », The Intercept, 13 décembre 2021.

[5Tome 1, éditions Fleuve noir, 1997 ; F.A.U.S.T. L’intégrale, éditions Le Diable Vauvert, 2019.


Article extrait du n°138

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Dernier ajout : jeudi 1er février 2024, 16:10
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