Édito extrait du Plein droit n° 137, juin 2023
« Mourir d’être étranger »

Une réforme qui penche vers les extrêmes

ÉDITO

La réforme de l’immigration et de l’asile, dans les tuyaux depuis un an, va-t-elle voir le jour avant Noël ? Nous pourrions nous amuser à reprendre les déclarations du président de la République et de la Première ministre, qui ont annoncé tantôt la reprise des débats sur le projet, tantôt leur report : des fameux « 100 jours » pour relancer le quinquennat, dont le projet faisait partie intégrante, à l’annonce du report à l’automne de la discussion, le temps d’évaluer les forces politiques, en passant par le saucissonnage du texte séparant les « dispositions consensuelles » sur l’asile et le contentieux de l’éloignement – supposées rallier à la cause de la majorité présidentielle les Républicains (LR) – des propositions de loi sur les autres points de la réforme, comme la carte « métiers en tension », jetées en pâture pour satisfaire l’aile centriste du groupe Renaissance et espérer obtenir quelques voix à gauche.

À la veille de l’été, le vent a tourné et l’enjeu est désormais celui-ci : jusqu’où ira l’instrumentalisation par le gouvernement des questions d’asile et d’immigration, dans un climat de surenchère effrayante ? Le changement de calendrier a été « précipité » par le groupe parlementaire LR qui a déposé plusieurs propositions de loi de nature à faire pâlir d’envie l’extrême droite : l’une – constitutionnelle – vise, entre autres, à abandonner la primauté du droit international et européen sur les règles internes en matière d’immigration et d’asile ; l’autre apporte de nouvelles restrictions au regroupement familial, au droit d’asile, à l’accès aux prestations sociales, prévoit de revenir à la manifestation de volonté pour l’accès à la nationalité française, ou encore rétablit le délit de séjour irrégulier et la double peine. Et les leaders LR impliqués, Éric Ciotti en tête, de se référer au « modèle danois » qui appliquerait la politique migratoire la plus stricte d’Europe, avec son référendum sur le nombre annuel de naturalisations et sa volonté (vaine) d’externaliser les demandes d’asile en dehors du pays. Au Danemark, cette ligne politique, apparue en 2001 sous un gouvernement de droite soutenu par l’extrême droite, est désormais appliquée aussi par les sociaux-démocrates…

Désireux de reprendre les commandes, le gouvernement français, pour sa part, a annoncé la présentation d’un texte en juillet. Mais lequel ? On peut penser que ce sera le projet de loi tel qu’il était ressorti de la commission des lois du Sénat le 15 mars dernier. Force est de noter, de toutes façons, qu’il diffère assez peu des propositions du groupe LR, réformes constitutionnelles mises à part. Les 71 amendements adoptés par ladite commission durcissent – c’est peu de l’écrire – le projet, qu’elle a jugé trop « timoré » et comportant « de nombreux angles morts [1] » : mise en place de quotas migratoires, resserrement des critères du regroupement familial, renforcement du contrôle de l’immigration étudiante, transformation de l’aide médicale d’État en une aide médicale exclusivement pour les cas d’urgence, radiation automatique des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi pour les étrangers visés par une obligation de quitter le territoire français, et là encore suppression de l’acquisition de la nationalité française de plein droit pour les enfants nés en France, pour ne prendre que ces quelques points.

Notons que la commission des lois n’a pas voulu prendre position sur la création de la carte « métiers en tension » – l’une des rares mesures de la réforme jugées « humanistes » et supposées attirer les suffrages de la gauche – au motif que, si cette carte tenait compte d’une certaine réalité économique, elle comportait le risque d’une « prime à la fraude [2] ». La commission n’a pas davantage voulu trancher sur l’accès facilité au marché du travail pour les demandeurs d’asile venant d’un pays pour lequel le taux de protection internationale est important. Pour ces deux articles, elle a donc réservé « son jugement pour la séance publique ».

Interrogé sur le choix du texte, le ministre de l’intérieur a déclaré, dans Le Parisien du 28 mai 2023 : « Il y a plusieurs options […]. On peut garder notre texte, déjà adopté par la commission des lois au Sénat, en discutant ensemble des amendements pour le modifier... » Quelle que soit l’option retenue, l’orientation générale est connue d’avance. Quant aux dispositions « humanistes » évoquées, soit elles tomberont aux oubliettes, soit – car le gouvernement dit encore y être attaché – des conditions restrictives, comme une durée substantielle de séjour en France, ou l’exigence d’un contrat de travail à durée indéterminée, viendront s’ajouter à un cadre juridique déjà fort contraint, et rendre ces « avancées » quasi ineffectives.

Laissant ces basses négociations s’opérer presque sans intervenir publiquement, le Rassemblement national, lui, observe la façon dont les uns et les autres s’efforcent de lui emboîter le pas, voire de le devancer. Et attend son heure.




Notes

[1Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère, Rapport fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (procédure accélérée), n° 433, Sénat, 15 mars 2023.

[2Idem.


Article extrait du n°137

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Dernier ajout : mardi 29 août 2023, 12:18
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