action collective

Le ministre de l’intérieur atteint de cécité sur les violences policières dans le Calaisis dénoncées par HRW

La contestation par M. Cazeneuve de la réalité des violences dénoncées dans le rapport tout récent de Human Rights Watch (HRW) sur les violences policières à l’encontre des personnes exilées à Calais [1], et l’argumentation utilisée, n’ont hélas rien de nouveau (voir annexe « Une dénégation habituelle des pouvoirs publics »).

Le 20 janvier 2015, à peine cette très sérieuse organisation, de réputation internationale, avait-t-elle rendu publics les résultats de son enquête que Bernard Cazeneuve récusait les « accusations publiques contre les forces de l’ordre » [2], pourtant étayées par de nombreux témoignages. Pour être crédible, il aurait fallu, selon lui, que HRW ait soumis les actes de violence dénoncés à la vérification des institutions qui les ont commises - les forces de police -, tolérées - l’administration préfectorale - ou délibérément ignorées - les autorités judiciaires.

Comme le Défenseur des droits dans sa décision du 13 novembre 2012 [3], comme la Coordination française pour de droit d’asile (CFDA) en septembre 2008 dans son rapport La loi des « jungles » [4], HRW dénonce le fait que, à Calais, les migrants sont « victimes de harcèlement et d’exactions de la part de la police française », notamment de « passages à tabac » et d’« attaques au gaz lacrymogène ». HRW critique également l’abandon à la rue de « la plupart des migrants et des demandeurs d’asile [qui] n’ont pas d’abri contre le froid et la pluie, pas d’accès à des installations sanitaires et un accès très limité à l’eau courante ».

Autant de faits de notoriété publique, qui sautent aux yeux de tous les observateurs locaux et que la presse n’a, elle aussi, cessé de rapporter.

Mais qu’importe l’évidence. Faute de vouloir ou de pouvoir mettre fin aux violences et à l’inhumanité qui règnent dans les jungles de tout le nord-ouest de la France, M. Cazeneuve les conteste, comme l’ont fait tous ses prédécesseurs depuis la fermeture du camp de Sangatte en 2002.

Et, pour tenter d’accréditer ses dénégations, M. Cazeneuve biaise. Ainsi quand il reproche à HRW d’avoir omis de faire examiner ses accusations par l’administration avant de les rendre publiques. Car alors, assure-t-il, des enquêtes n’auraient pas manqué d’être menées et d’aboutir à des sanctions si des fautes étaient établies.

Dans l’idéal, peut-être. Mais, dans la réalité, l’administration et la justice ont toujours, chacune à leur manière, enterré les accusations de violences. En témoigne le sort de la plainte de John M, exilé érythréen, déposée le 16 juillet 2014 à Calais avec l’aide du Secours catholique, qui semblait tombée dans l’oubli avant que son exhumation par Libération [5] n’incite le parquet à réagir.

En témoigne aussi le classement sans suites, confirmé par le procureur général de Douai dans une lettre du 6 décembre 2012, de plaintes déposées à Calais par le Secours catholique et par Médecins du Monde pour la destruction d’effets de migrants, au motif qu’elles seraient dénuées d’« intention délictuelle ».

En témoigne encore le sabotage, en 2004, d’une enquête sur une très vilaine affaire de racket par des policiers de Paris, à l’encontre de deux exilés d’Irak, qui avait conduit la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), ancêtre du Défenseur des droits, à manifester son vif mécontentement [6].

Tout montre qu’en tolérant les exactions des forces de l’ordre, dès lors qu’elles frappent les exilés, les autorités judiciaires encouragent les ministres de l’intérieur à les couvrir.

Ainsi va, depuis des années, l’insupportable politique d’un État qui, s’obstinant à refuser la présence, sur son sol, d’exilé·e·s chassé·e·s de leurs pays par la violence, ferme les yeux sur l’usage d’une semblable violence par ses propres forces de l’ordre.

29 janvier 2015

Organisations signataires :

  • ACC Minorités Visibles
  • ADRA Dunkerque
  • Association d’Accueil aux médecins et Personnels de Santé Réfugiés en France (APSR)
  • Avocats pour la Défense des Droits des Étrangers (ADDE)
  • Calais, Ouverture & Humanité (COH)
  • Collectif Fraternité Migrants du Bassin minier 62
  • Collectif Fraternité Rroms du Bassin minier 62
  • Collectif de soutien de l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) aux sans-papiers et aux migrante-s
  • Collectif de soutien des exilés (Paris)
  • Comité Meusien d’aide aux Demandeurs d’Asile (COMADA)
  • Comité de Vigilance des Alpes Maritimes (COVIAM)
  • Emmaüs Dunkerque
  • Emmaüs France
  • Emmaüs International
  • Groupe d’Information et de Soutien des Immigré·e·s (GISTI)
  • Itinérance Cherbourg
  • Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
  • Ligue des Droits de l’Homme (LDH) Dunkerque
  • Organisation pour une Citoyenneté Universelle (OCU)
  • Salam Nord/Pas-de-Calais
  • Syndicat de la Magistrature (SM)
  • Terre d’Errance (Norrent-Fontes)




I. Après la décision du Défenseur des droits en 2012, récusations et langue de bois en cascade

Le 13 novembre 2012, le Défenseurs des droits rendait une décision [7] qui dénonçait clairement l’existence de violences policières dans le Calaisis. Dans les semaines qui suivirent, toutes les réactions officielles ont visé à nier ce constat qui s’appuyait sur plusieurs mois d’enquête de cette autorité administrative indépendante.

1) Le directeur de cabinet de Manuel Valls, ministre de l’intérieur, du 6 mars 2013

« Les faits évoqués dans votre décision reposent essentiellement sur des déclarations de responsables d’associations rapportant des propos non vérifiables et concernant des faits anciens qu’aucun élément objectif ne peut soutenir aujourd’hui. Seule une minorité des organisations associées à la saisine sont d’ailleurs effectivement présentes et actives auprès des migrants dans le Calaisis.

 » Certains des faits que vous mentionnez ont déjà été portés il y a plusieurs mois à la connaissance du ministère de l’intérieur. Des enquêtes ont été diligentées qui n’ont pas permis, en l’état des éléments obtenus, d’établir des comportements constitutifs de manquement aux règles disciplinaires et déontologiques de la part des fonctionnaires de police. Ces faits n’ont pas davantage fait l’objet de poursuites judiciaires. Les faits nouveaux cités dans votre décision donneront lieu, si des précisions pouvaient être apportées à mes services, à un examen attentif et, s’ils étaient avérés, à des sanctions disciplinaires ».

2) Manuels Valls, ministre de l’intérieur, le 17 janvier 2013, en réponse à une question de la sénatrice Marie-Christine Blandin [8] :

« Plusieurs des faits mentionnés par le Défenseur des droits ont déjà été portés il y a plusieurs mois à la connaissance du ministère de l’intérieur. Il n’a pas été établi que ces comportements étaient constitutifs de manquement aux règles disciplinaires et déontologiques de la part des fonctionnaires de police. Ces faits n’ont pas non plus fait l’objet de poursuites judiciaires. Les faits nouveaux cités dans la décision du Défenseur des droits donneront lieu à examen attentif et, s’ils sont avérés, à des sanctions disciplinaires. La police nationale se doit d’être garante de la mise en œuvre des règles déontologiques et des valeurs républicaines, et davantage encore lorsque son action s’inscrit dans un contexte aussi difficile. Elle n’hésite pas à sanctionner tout manquement avéré de ses personnels. C’est ainsi qu’un fonctionnaire d’une CRS a été sanctionné pour des faits survenus le 29 juin 2010. Lors d’une opération d’évacuation d’une usine désaffectée, il avait endommagé la caméra d’une militante qui avait pénétré dans une zone interdite. Il a été traduit devant les instances disciplinaires et a fait l’objet d’une exclusion temporaire de fonctions ».

3) Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, premier ministre, en date du 29 novembre 2012, après son interpellation par 17 organisations à la suite de la décision du Défenseur des droits

« Le constat que vous dressez est sévère ». (…)

 » S’agissant plus particulièrement de la situation dans le Calaisis – territoire confronté à une situation tout à fait exceptionnelle -, les mêmes instructions [qu’ailleurs] trouvent à s’appliquer. Elles reposent sur la nécessité de concilier deux exigences : la fermeté, en particulier dans l’exécution des décisions de justice ou dans la lutte contre l’immigration irrégulière et les filières ; mais aussi le respect de la dignité et l’humanité de l’action administrative face à des situations souvent très douloureuses ».

4) Quant au procureur général de Douai (lettre du 6 décembre 2012), manifestement choqué d’avoir lui aussi été interpellé par les associations et syndicat, il paraît ne pas s’apercevoir que, pour se justifier des accusations portées contre lui, il en reconnaît implicitement la réalité

Sur le harcèlement policier

« Vous alléguez que "sur 13 000 interpellations consécutives à ces contrôles d’identité, 662 personnes faisaient l’objet d’une mesure d’éloignement". Vous mettez directement en cause l’action du procureur de la République de Boulogne auquel vous reprochez la délivrance abusive et répétée de réquisitions aux fins de contrôles d’identité, se rendant par là "complice de pratiques scandaleuses et humiliantes dénoncées par le Défenseur des droits" ».

 » (…) en dépit d’une pression migratoire sur le ressort du tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer particulièrement élevée, le nombre d’étrangers en situation irrégulière interpellés en 2011 dans le Pas de Calais a poursuivi sa baisse déjà observée entre 2008 et 2010. Ainsi 12 571 étrangers ont été interpellés en 2011, contre 18 179 en 2010, soit une baisse de 35%. En 2012, la DDPAF 62 [Direction départementale de la Police aux frontières du Pas-de-Calais] a procédé à l’interpellation de 6 277 étrangers (contre 12 245 en 2011). Il est donc inexact de parler de harcèlement policier à l’encontre des migrants ».

Sur le classement des plaintes

« Vous ajoutez qu’en "ne donnant pas suite aux plaintes déposées pour les faits de dégradations de biens que les migrants ou les associations dénoncent, ce parquet rend[ait] possible la poursuite de comportement pénalement répréhensibles" ».

 » Il est exact que le Secours catholique et Médecins du monde ont saisi à plusieurs reprises le procureur de la République de Boulogne sur Mer de plaintes pour destructions des effets des migrants. Je n’ignore pas qu’il s’agit de biens destinés à passer la nuit dehors (duvets et tentes) ou d’articles de première nécessité (chaussures, sac à dos etc) fournis par les associations humanitaires ». Mon parquet général a été saisi courant 2012 de deux recours du Secours catholique contre un classement sans suite ordonné par le procureur de la République de Boulogne. » 
Je n’ai pas attendu pour écrire à cette association début 2012 qu’il ne m’apparaissait pas que ce type d’affaires ait une connotation pénale, faute d’intention délictuelle de la part des auteurs ».

II. Après la publication de La loi des « jungles » (septembre 2008) par la Coordination nationale pour le droit d’asile (CFDA), le silence méprisant du ministre de l’immigration

La loi des ’’jungles’’ - La situation des exilés sur le littoral de la Manche et de la Mer du Nord [9], fruit d’une enquête de terrain de deux mois de plusieurs dizaines de membres d’organisations, dénonçait lui aussi notamment, dans un document de 180 pages, l’existence de violences policières dans l’ensemble du nord-ouest de la France.

Le ministre de l’immigration en fonction à cette époque, Brice Hortefeux, avait, lui, décidé d’ignorer le travail, qui se proposait d’« ouvrir les yeux des responsables politiques sur la réalité de la situation préoccupante des exilés ». Une autre manière de nier la réalité. Même interrogé à l’Assemblée nationale sur sa réaction à ce rapport, Brice Hortefeux a évité de répondre.

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 1er février 2024, 16:31
URL de cette page : www.gisti.org/article4857