Article extrait du Plein droit n° 91, décembre 2011
« Les bureaux de l’immigration »

Agent du « retour volontaire »

Pascaline Chappart

doctorante, laboratoire Migrinter, université de Poitiers
L’aide au « retour volontaire », remise à l’ordre du jour en 2005, est devenue un outil au service de la politique de reconduite à la frontière accélérée sous la pression du gouvernement. Dans ce contexte, comment s’opère le travail quotidien des agents de cette administration sommés de « faire du retour » ? N’y a-t-il pas un paradoxe à administrer l’expulsabilité des étrangers tout en produisant une définition institutionnelle du « retour volontaire » ?

Sur décision du comité interministériel de contrôle de l’immigration, la politique publique d’aide au retour a été remise à l’ordre du jour en 2005 pour soutenir les objectifs chiffrés de reconduites aux frontières. Jusqu’alors marginale et anecdotique, la gestion des « retours volontaires » constitue à présent une des missions prioritaires confiées à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) depuis 2009, à la suite de l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (Anaem [1], ex-Omi). L’inscription de cette mission d’assistance publique dans la politique d’expulsion de ceux qui auraient « vocation à retourner chez eux  » a fait naître de nouvelles pratiques placées sous le sceau de l’injonction au départ, qui entrent en contradiction avec l’affichage du caractère « volontaire » des retours.

« Vous savez moi, j’ai 38 ans de cette administration… Donc avant, quand cela touchait à peine une cinquantaine de personnes, c’était tranquille. Moi, je passais 70 % de mon temps au regroupement familial, je ne me contentais pas seulement de faire l’information des gens, je faisais un tas de gestion de dossiers de regroupement familial. Et les 30 % restant, c’était le retour. Bon, maintenant, tout ça a été chamboulé. On en fait beaucoup, beaucoup… Avec les nouvelles lois qui sont sorties, ça devient vraiment l’usine.  »* C’est à l’article L. 511- 1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que l’on trouve la seule mention – succincte – à cette procédure : « Pour satisfaire l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l’étranger […] peut solliciter, à cet effet, un dispositif d’aide au retour dans son pays d’origine.  » Dénué de véritable cadre légal, le dispositif d’aide au retour repose uniquement sur une succession de circulaires ministérielles auxquelles s’ajoutent les multiples instructions propres à l’Ofii et aménagées au sein de ses différentes directions régionales. Si ces textes fournissent un ensemble de prescriptions pour l’administration des retours, leur mise en œuvre s’inscrit largement hors de ce cadre et révèle l’imbrication contradictoire des registres de l’aide et du contrôle, ainsi que la gradation de la contrainte et de ses formes pratiques dans des situations caractérisées par l’obligation faite à l’étranger de quitter le territoire.

En effet, à côté du traitement des demandes individuelles formulées par le « tout-venant », le personnel doit répondre aux sollicitations des préfectures et s’inscrire dans les stratégies qu’elles élaborent pour remplir les quotas de reconduites aux frontières. « Sur les campements des Roms, on est dans un autre cadre, c’est sur une autre directive politique. On n’est plus dans le cadre du dispositif étatique de l’Anaem concernant l’aide au retour volontaire ou humanitaire, qui est valable pour l’ensemble des étrangers en situation irrégulière ou régulière. Concernant les Roms, c’est à l’initiative du préfet. De toute façon, légalement, on ne peut le faire qu’à la demande de la préfecture. Je ne peux pas aller sur un squat en prêchant la bonne parole pour le retour…  »

À la fois bailleur et gestionnaire de cette procédure, l’Ofii compte actuellement 71 salarié·e·s sous contrat de droit public ou vacataires spécifiquement chargé·e·s de faire connaître et de proposer ce programme, d’instruire les dossiers et d’organiser les retours aidés [2]. En outre, les cinq employé·e·s des cellules voyagistes, créées par l’établissement en 2006 au sein des aéroports parisiens, ont pour fonction d’encadrer l’embarquement des personnes convoquées au départ. Les directrices et les directeurs adjoints sont également amenés à assister leurs collègues dans cette mission et à recruter « des renforts ponctuels […] afin d’assurer les opérations de démantèlement des camps illicites [3] », auxquelles cette administration participe depuis 2007.

Effet de mode durable

Lors de la relance des aides au retour, le personnel de l’Ofii se montrait sceptique sur la pérennité d’une telle politique et n’y voyait qu’un « effet de mode  », une tendance « assez cyclique en fonction des priorités gouvernementales sur les migrations  ». D’autres contestaient l’implication de l’institution dans cette tâche : « Ce n’est pas notre rôle, on est une agence de l’accueil  ».

Si leurs positionnements sur cette aide diffèrent en fonction de leur parcours professionnel et d’un travail quotidien à flux plus ou moins tendus, la plupart des agents du retour soulignent l’intérêt qu’ils et elles éprouvent à suivre une procédure de A à Z et à nouer des liens variés, avec les consulats étrangers, les associations, les Cada (centres d’accueil de demandeurs d’asile). Loin de confiner ce travail à de l’« administratif pur et dur  », leur action se déploie largement en dehors des bureaux de l’Ofii : « Tous les jours il y a des déplacements à l’extérieur, que ce soit pour aller déposer un dossier à l’aéroport ou aller aux ambassades, faire des réunions à la préfecture ou pour les maraudes en relation avec la brigade d’assistance aux personnes sans abris.  »

L’une de leurs tâches essentielles consiste à « communiquer le plus largement possible [4] » sur l’existence de ce dispositif pour « toucher  » la population étrangère et parvenir à nouer des contacts auprès de « partenaires locaux […] en contact avec ces publics (représentants des diasporas, structures d’aide aux migrants, personnes démunies, foyers de travailleurs migrants, CCAS [centre communal d’action sociale], structures d’accès aux soins…) [5] » susceptibles de servir de « relais à part entière  ». Au sein des Cada, souvent considérés par le personnel de l’Ofii comme un « lieu qui nous est un petit peu réservé  », l’office s’est généralement heurté à la réticence des travailleurs sociaux, du moins au début : « Lors des premiers contacts, en tant que représentant de l’État, je prenais tout en pleine figure. Après c’est une question d’idéologie politique. On n’avait qu’un message à faire passer : ça se finira par un retour, autant prendre le volontaire avec un pécule substantiel. On n’était plus en train de dire : ce n’est pas normal qu’il n’ait pas l’asile. C’est ça qui a été difficile au début. Et puis petit à petit, il y a eu une meilleure écoute, une meilleure adhésion et puis finalement une collaboration. Mais ça a été du travail !  ». Les travailleurs sociaux et les déboutés sont ainsi incités à adopter les œillères de l’Ofii et n’envisager pour unique horizon que la menace d’une sortie musclée hors du Cada et du territoire.

S’il conçoit l’aide au retour comme une « alternative au retour forcé  », le personnel de l’Ofii met néanmoins en doute l’efficacité de l’« information systématique et répétée  » des personnes dès le début de leur demande d’asile : « Tout ce travail fait en amont ne sert à rien ! Ils ne sont pas du tout dans une optique de départ. Mais comme les préfets nous demandent de faire quand même l’information, on la fait.  » En outre, les responsables de l’aide au retour ont pour instruction de convoquer tout individu dont la requête d’asile vient d’être rejetée. Celui-ci doit signer une attestation d’offre de retour et fournir une réponse dans les dix jours qui suivent. En pratique, cette consigne est peu suivie, tant du fait de la priorité donnée à d’autres procédures que de la réticence des salarié·e·s : « Quand j’ai trouvé ce formulaire, je me suis dit : "Mais qu’est-ce que c’est que ça ?!" Il y a même eu des Cada qui m’ont dit : "Oh là là, les gens sont venus mais ils n’ont pas signé !" Moi je ne fais rien signer, je ne tamponne rien du tout. Ça ne me semble justement pas logique dans une démarche de retour volontaire !  »

Pour mener à bien la « proposition individualisée d’aide au retour [6] », les responsables de ce dispositif ont été formés aux « techniques d’entretien d’aide  ». Au cours de ces stages, s’est ainsi construit un discours commun sur l’impératif du « respect des règles et [de] leurs conséquences  » et la manière de « présenter positivement le retour, ses aspects administratifs et ses avantages  », de « se positionner dans une relation d’aide et [de] se protéger de ses effets pervers potentiels [7] ». La conception de ce rôle et du champ des possibles est clairement délimitée : « Nous, on n’est pas des assistantes sociales, on doit préparer le retour et donc dire à la personne : "À partir du moment où vous êtes rentré dans ce bureau, on regarde demain et pas ailleurs."  » Une « façon de renseigner » a été mise au point : « D’abord bien expliquer toute la procédure, laisser mûrir quelques jours – ce qu’on appelle le délai de conscience psychologique – et je donne un rendez-vous trois jours après avec la ligne directe, "vous confirmez ou vous annulez, si vous annulez c’est gentil de me prévenir".  » Les agents du retour inscrivent cette relation dans une logique de « contrat » qui lierait l’étranger·e à l’Ofii : « "Si vous êtes avec nous, on va jusqu’au bout." C’est important parce que le but c’est de travailler pour qu’il y ait, non pas un résultat en chiffres, ça, ce n’est pas le problème de nos services, mais tout au moins un travail effectué. Et ne pas recommencer le même.  » Le personnel tente d’instaurer une « dynamique de confiance  » tout en tenant un « langage un peu sec  » afin d’éviter « ce qu’on appelle des défaillances, c’est des gens qui ne se présentent pas à l’aéroport par exemple  ».

Leur discours souligne combien le devoir d’assistance publique n’implique aucune corrélation avec un quelconque droit d’être aidé. Ce rapport au « don » s’inscrit dans une logique de limitation du coût des aides, de soupçon de fraude documentaire et de prévention de l’« abus de procédure » selon les représentations qu’ils et elles se font des besoins de « celui qui n’a pas de moyen » : « si vous êtes un ressortissant américain  », « un étudiant qu’on voit arriver en Mercedes…  » ou « si vous êtes médecin, a priori, vous avez les moyens financiers de rentrer par vos propres moyens.  » Ils et elles apprécient, en outre, au « cas par cas  » le « risque de retour en France  » pour déterminer l’octroi de l’aide financière propre au retour volontaire : « Par exemple, pour un ex-conjoint de Français, on regarde, on évalue, et généralement dans ces cas-là, on ne donne qu’une aide au retour simple sans pécule. De toute façon, il y a un fichier qui est envoyé à la préfecture de police et qui dit que la personne a bénéficié un jour d’une aide au retour. On sait que ce n’est pas notre retour qui va primer mais le fait que la personne ait eu une APRF ou une OQTF.  »

Aide aux OQTF

En parallèle de la constitution des dossiers en interne, un suivi régulier de leur état d’avancement et des « perspectives de retour » de l’Ofii s’opère lors de réunions avec les préfectures et les administrations liées aux mesures d’éloignement ou à l’occasion d’échanges informels pour mobiliser une directrice sur telle « famille qui ne veut pas partir et fait traîner les choses  ». En coordination avec les préfectures, l’Ofii vient encadrer la notification des obligations à quitter le territoire (OQTF) et réaffirmer la « réalité du droit qui s’impose  ». À partir des listes de notification de refus de séjour et d’OQTF transmises par les préfectures, les agents recontactent individuellement chaque personne pour rappeler et expliquer le dispositif directement par téléphone, sinon par l’envoi d’une lettre de rappel. Certaines directions préfèrent « l’information physique  » : « La préfecture délivre l’OQTF en indiquant à la personne d’aller dans le bureau d’à côté où mon agent est là pour expliquer l’aide au retour. En intervenant comme ça, on est sûr de voir et d’informer [la personne]. » La menace de l’expulsion se conjugue à la promesse d’une aide pour enjoindre au départ. Si les agent·e·s ont pour directive d’organiser le départ dans le mois qui suit le dépôt de la demande, l’absence fréquente de document d’identification et la nécessité d’obtenir un laissez-passer consulaire constituent « le problème épineux de cette procédure  » : « Il faut déjà cerner la nationalité, enfin la vraie. Et, ensuite, voir ce que ce consulat ou cette ambassade demande. À partir de là, ce sont eux qui sont les rois.  » En outre, face à la « recrudescence des demandes  » et compte tenu de l’effectif réduit au niveau des cellules voyagistes, un « problème interne  » émerge au sein de plusieurs directions : « on atteint des délais faramineux !  »

À la suite de l’« évacuation des jungles à Calais  » puis de celle du canal Saint-Martin à l’été 2010, la direction parisienne avait un calendrier de « rendez-vous jusqu’en décembre  » : « Il y a eu des jours où l’on avait une cinquantaine de personnes en bas, dans la salle d’accueil qui venait pour faire la demande ! Moi, je ne peux pas demander à mes agents de recevoir plus d’une dizaine de personnes dans la matinée.  » Une nouvelle pratique de dépôt collectif des demandes a été instaurée pour les « départs groupés à destination de l’Afghanistan principalement  », tandis que les personnes pressées étaient orientées vers d’autres bureaux en Île-de-France.

Dispositif Rom

Parmi « ceux qui ont fait les Roms  », une directrice adjointe souligne l’« énergie extrême déployée par les agents du retour et par tout le personnel tenu à disposition et présent tout le temps, le soir, la nuit  » que demande l’« organisation invraisemblable  » de ces opérations et l’affrètement de bus et de charters. Dans un contexte caractérisé par l’objectif d’une réduction du personnel et une « augmentation exponentielle des flux […] de retours  », une représentante du personnel jugeait d’ailleurs la situation « alarmante et préjudiciable à la qualité de service ainsi qu’à la santé des agents, qui ne disposent plus des moyens suffisants pour exercer leur activité [8] ». La place dévolue au « dispositif Rom  » est une critique fréquente parmi celles et ceux qui gèrent l’aide au retour. Au regard des attentes formulées par une agente, ne faire « que de l’humanitaire  » constitue en quelque sorte un dévoiement du dispositif : « On est en train de s’écarter de la bonne procédure. Le volontaire, si on continue comme ça, on le coule ! Parce qu’on est en train de perdre les gens dans tout ça, on les fait attendre trop longtemps, ce n’est plus correct. J’ai moins de contacts avec les Cada… Je trouvais que la lancée de 2007 [9]était excellente et je suis déçue.  » En outre, la prise des empreintes digitales des personnes retournées par l’Ofii rend d’autant plus visible, sinon quantifiable, le harcèlement spécifique dont font l’objet les citoyen·ne·s de Roumanie. À la suite du discours de Grenoble, la mobilisation de l’Ofii n’a pas été aussi fructueuse que souhaitée par le gouvernement : sur les « campements de Roms » [10], « jusqu’à 70 % des personnes avaient déjà bénéficié de l’aide de l’Ofii [11] » et en étaient désormais exclues. Au siège de l’Ofii, leur retour en France est perçu comme un « phénomène de récidive  ». « On n’a pas envie de créer toute une nouvelle filière de l’immigration au travers de cette aide au retour et de favoriser cette espèce d’immigration circulaire, trop circulaire, et qui va un peu à l’encontre des conditions édictées par le ministère.  » Pour autant, « le ministère nous demande de maintenir cette procédure. Donc on n’a pas d’autre alternative que de le faire… Après, ici à l’Ofii ce qu’on en dit, c’est que c’est beaucoup d’argent pour pas grand-chose.  »

Pour 2011, cette administration a budgétisé 12000 retours. Placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur, l’Ofii est, selon les dires de son directeur général, « un véritable auxiliaire des préfets [12] ». Destinataire en novembre 2007 des félicitations du comité interministériel de contrôle de l’immigration pour son « professionnalisme  » et son « dévouement  », le personnel chargé du retour s’est vu en septembre 2011 rappeler par Claude Guéant son enrôlement actif dans l’objectif des 30000 expulsions. Parfois en proie à un certain malaise et au doute sur leur mission, les agent·e·s évacuent leurs propres contradictions en se retranchant derrière l’ordre de la loi : « On est parfois confronté à des situations un peu compliquées… Mais c’est la loi qui a décidé, et le droit s’impose à tous, non ?  »




Notes

[1Alain Morice, « Du SSAE à l’Anaem, chronique d’une liquidation annoncée », Plein droit, n° 72, mars 2007.

[2En 1998, une telle mission mobilisait au sein de cet établissement 17 agents qui n’étaient d’ailleurs pas uniquement affectés à cette tâche.

[3Ofii, Rapport d’activité 2010.

[4Ofii, Instruction 2010/03, 15 mars 2010.

[5Idem.

[6Idem.

[7Anaem, Descriptif des formations collectives du plan 2007-2008, annexe, version du 23 avril 2007.

[8Ofii, Procès verbal de la réunion du conseil d’administration du 20 décembre 2010.

[9L’agente souligne ainsi que le dispositif était initialement promu et appliqué en direction des demandeurs d’asile déboutés et des familles, mais qu’elle a été contrainte de réorienter quasi exclusivement ses pratiques en direction des citoyens roumains pour répondre aux objectifs d’expulsion des préfectures.

[10Circulaire du 5 août 2010 sur l’évacuation des campements illicites.

[11Ofii, Rapport d’activités 2010.

[12Ofii, Procès verbal de la réunion du conseil d’administration du 20 décembre 2010.


Article extrait du n°91

→ Commander la publication papier ou l'ebook
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 15:00
URL de cette page : www.gisti.org/article4509