Article extrait du Plein droit n° 36-37, décembre 1997
« La République bornée »

« Réussir à gauche »

Serge Guichard

Membre du comité national du Parti communiste

En décidant de légiférer dans la précipitation sur l’immigration avec comme matrice de pensée la recherche d’un consensus politique sur la question, le gouvernement a pris le risque de se priver du débat national nécessaire sur ce sujet alors qu’il est urgent de s’engager dans de nouvelles voies, de s’extirper des dérives des dernières années, que cela demande beaucoup d’efforts, de mobilisation, d’énergies, de réflexions.

Depuis le changement de majorité obtenu en juin 1997, dans une situation tendue, alors que l’extrême droite continue d’obtenir des résultats inquiétants lors des élections partielles, les forces de gauche sont face à de grandes responsabilités. Il est urgent de réussir à gauche.

La participation des forces citoyennes, progressistes, actives, aux projets de changement de politique est un impératif, une condition de cet objectif de réussite.

La complexité des questions, la nécessité de les aborder à partir du terrain, dans un esprit créatif, lucide sur les obstacles et les contradictions, ouvert aux besoins, aux potentialités de notre époque rendent cette intervention citoyenne indispensable. La droite, le patronat, l’extrême droite se battent, mettent des obstacles.

Le pluralisme des forces de gauche est l’un des atouts dont nous disposons pour une intervention utile, efficace, porteuse de ces objectifs de réussite, pour que les citoyens soient réellement saisis des termes du débat et puissent intervenir.

Dans cet état d’esprit, le parti communiste vient de confirmer, lors des réunions de ses instances de direction nationale, l’exigence d’une abrogation des lois Pasqua-Mehaignerie-Debré, la révision complète de l’ordonnance du 2 novembre 1945, afin de définir une politique progressiste vis à vis de l’immigration. Cette question fait partie de celle que nous mettons en débat dans les espaces citoyens.

En finir avec les attitudes frileuses

Dans l’immédiat, nous demandons une régularisation massive des sans-papiers qui en font la demande. C’est un devoir de justice, de moralité. Quant au débat parlementaire, les élus communistes, députés et sénateurs, feront des propositions constructives, offensives pour aller le plus loin possible dans la mise en cause de la logique des lois Pasqua.

Nous ne pouvons accepter l’argument selon lequel l’immigration ne devrait plus être l’objet de débat politique au nom de l’intérêt public, du combat contre l’extrême droite. Ce n’est pas recevable pour plusieurs raisons.

Nous demande-t-on de ne plus parler de l’emploi au titre de la démagogie du FN sur le chômage ? Évidemment non, ce serait absurde et nous laisserions le champ libre à la démagogie.

Alors pourquoi ce type de discours sur l’immigration ? N’est-ce pas une manière insidieuse de céder du terrain quand il faut, au contraire, cesser de reculer, en finir avec les attitudes défensives, frileuses ?

Le mouvement de décembre 1996 et février 1997 contre les lois Pasqua/Debré a porté un appel magnifique, source de confiance renouvelée qui garde toute son actualité. La lutte des sans-papiers a changé la donne et a obligé chacun, surtout parmi les formations politiques de gauche à se resituer, relever la tête.

Dans un pays où plus de 30 % des jeunes ont un parent ou un grand-parent immigré, il est vain et absurde de croire qu’il serait possible de traiter de manière conjoncturelle de l’immigration. C’est bien de questions profondes qu’il s’agit. Elles concernent le devenir même de nos sociétés.

L’histoire de la France, la construction européenne se télescopent aujourd’hui avec la nouvelle donne de civilisation que constituent les enjeux des migrations internationales.

« Gagner la bataille de l’opinion »

Faute de clarté, d’ouverture à ces alternatives, on risque de s’enfermer dans les choix du libéralisme qui opposent la libre circulation des capitaux à celle des hommes. La mise en concurrence des hommes et des femmes pour mieux les soumettre à l’exploitation capitaliste prend, à l’heure de la mondialisation des formes nouvelles. Il est urgent de leur opposer des solutions radicalement neuves. Les lois Pasqua/Debré accompagnaient un processus de précarisation de la société.

Il ne s’agit pas d’inventer un nouveau messianisme, mais de saisir à quel point le mouvement des réalités appelle une réflexion pratique sur les valeurs, les droits de l’homme, pour dégager des issues démocratiques. Nous refusons l’opposition entre « angéliques » et « réalistes ». Le réalisme de gauche, l’intérêt national consistent précisément à réconcilier morale et politique, démocratie et mise en perspective, valeurs et quotidien, intervention des citoyens et rôle des élus.

Les évolutions, les changements même du Parti communiste sur la question de l’immigration trouvent leur source dans la prise en compte des mutations profondes de nos sociétés. Cela porte loin, et fait évidemment débat. Transformer l’état des choses, passer des contraintes de « l’exode de la misère » à une circulation des personnes porteuses de nouvelles dynamiques, ne se décrète pas.

La bataille de l’opinion est décisive, nous devons la gagner, il y va de l’avenir de nos sociétés. La circulation des personnes, comme les échanges seront-ils à la source d’un renforcement des inégalités, des violences et des dominations, ou bien saurons-nous vivre ensemble dans le co-développement, le respect du droit des individus, des libertés.

Faudra-t-il ériger la contrainte, la méfiance, l’exclusion, la xénophobie comme mode de relation entre les peuples, où allons-nous faire de cette circulation des hommes et des femmes, des idées et des créations humaines, un mouvement nécessaire et irréversible, une source nouvelle de « développement durable », de progrès social et de civilisation ?

Limiter l’exercice du droit de circulation aux ressortissants aisés de pays riches, comme cela se fait de plus en plus au nom de la maîtrise de l’immigration, de la lutte contre l’immigration clandestine, est une politique à courte vue, contraire aux besoins nouveaux de développement, et d’action pour l’emploi. Au lieu de se plier aux injonctions des tenants de l’Europe forteresse, la France devrait jouer un rôle novateur en Europe et dans le monde en contribuant à établir les relations « Nord/Sud » sur d’autres bases.

De la même manière, la nation doit être pensée dans sa modernité, comme une force ouverte sur le monde, porteuse de ses valeurs d’égalité, de fraternité, d’universalisme. A défaut, le rappel de la République peut conforter des attitudes de replis. C’est ainsi, au nom de la République, qu’ont été conduites les guerres coloniales, une République dont la « générosité » a pu s’accommoder des « dominations ». Ce n’est donc pas le simple rappel du passé qui nous permettra de trouver les solutions. Les discours sur la générosité et la fermeté, outre leur caractère paternaliste, ne peuvent servir de politique.

« Ne pas ethniciser les problèmes sociaux »

Nous sommes persuadés, que la lutte contre le Front national se fera en sortant des pièges tendus, par l’offensive et la démocratie, par notre capacité à offrir de nouvelles alternatives politiques. De nombreux exemples démontrent qu’il est ainsi possible de faire reculer la xénophobie et le vote d’extrême droite.

L’action dans les quartiers pour le respect, le droit à la sécurité n’a pas le même impact, la même efficacité et surtout pas les mêmes conséquences politiques en fonction de l’approche que l’on a ou pas de l’immigration.

Tout ce qui entretient des amalgames, tout ce qui ethnicise les problèmes sociaux, ne peut que conduire à l’échec, et seul le FN y trouve son compte. A l’inverse, l’affirmation de l’égalité de droit, une application sans restriction du droit du sol, ouvrent des marges de luttes politiques et sociales contre tout ce qui déstructure le tissu social. Les amalgames faits par certains ministres entre niveau de chômage et migrants, déficit de la sécurité sociale et migrants, insécurité et migrants sont scandaleux.

Faut-il refaire ici les mises au point sur le nombre de migrants, la relative stabilité de ceux-ci en proportion de la population, depuis plus de vingt-cinq ans tandis que, dans le même temps, le chômage a été multiplié par dix, que le nombre de personnes touchées par le fléau du sous-emploi avoisine les sept millions ?

Faut-il redire que l’immigration est contributive au budget de l’État, à celui de la protection sociale ? De même, il suffit de se référer aux enquêtes sérieuses de l’inspection du travail pour ne plus accompagner les amalgames entre travail clandestin et immigration.

En fait, au delà de ces rappels, il s’agit d’abord de choix politiques. Dans quelle société souhaitons-nous vivre, quel projet voulons-nous construire ? Certes, tout ne sera pas fait du jour au lendemain. Nous avancerons à tâtons, avec des compromis, en fonction des possibles, mais il faut décider du sens.

« Définir une politique progressiste »

Le travail de reconstruction, de mise en perspective, d’avancées concrètes en fonction du rapport de force pour faire évoluer celui-ci est au cœur de la participation des communistes au gouvernement. Tout faire pour réussir à gauche.

Nos propositions pour une politique d’immigration résultent donc de ces analyses sur la question, de nos choix politiques. Nous proposons de redéfinir en profondeur la politique de l’immigration en rompant radicalement avec les logiques antérieures toutes centrées sur la question du contrôle aux frontières, sur une perception étroite de l’immigré qui n’existe qu’à travers sa force de travail.

Nous proposons de définir une politique progressiste vis-à-vis de l’immigration qui parte du citoyen, de l’individu, qui soit pensée en termes d’égalité et de citoyenneté, qui valorise l’apport des immigrés à la société, qui inclue le parcours du migrant, sa culture, ses liens avec le pays d’origine.

Comme Sami Naïr avait pu l’écrire voici quelques mois, une politique d’immigration qui considère pleinement les trois facteurs que sont le pays d’origine, le pays d’accueil, le migrant lui-même.

A notre avis, les propositions de la commission nationale consultative des droits de l’homme basées sur les principes d’égalité, de droit « d’aller et venir », de droit à mener une vie familiale normale en constituent le socle.

Le droit de vote aux élections locales doit être rapidement décidé. Nous pensons que l’action doit se poursuivre pour l’obtenir. Les députés et sénateurs communistes l’ont rappelé lors du débat parlementaire début octobre sur le droit de vote des ressortissants de la Communauté européenne. Nous y reviendrons lors du débat sur la loi Chevénement.

Le droit de vote répond à un besoin de justice, d’égalité de droit reconnue aux immigrés ; c’est une ouverture sur de nouveaux rapports entre l’individu, la nation, le monde. Citoyen de mon pays et citoyen du monde demandent une nouvelle conjugaison.

A l’heure de la mondialisation, du « village du monde », où le global et le local s’interpénètrent de nouvelle manière, il s’agit d’étendre et de renouveler le champ de la citoyenneté, d’ouvrir ainsi de nouvelles dynamiques sociales et nationales. La construction européenne pourra puiser dans cette perspective de nouvelles orientations conformes à l’intérêt des peuples.

A ce titre, le débat, les initiatives sur les coopérations, les co-développements doivent être soutenus, stimulés. La France devrait revoir à la hausse ses engagements vis-à-vis des organisations de l’ONU, contribuer à l’annulation de la dette, aux lancements de programmes de coopération.

Robert Hue, lors du forum franco-africain tenu à Ouagadoudou avec vingt partis représentant douze pays, a proposé la création d’un ministère du développement.

« Porter un regard positif sur l’immigration »

Des propositions ont été formulées à ce sommet pour une nouvelle conception de la coopération, du co-développement. Nous pensons que les accords d’État à État, entre l’Europe et tel ou tel pays ou ensemble de pays, doivent être établis selon la règle de l’égalité de droit, de la réciprocité d’avantages en tenant compte du niveau des inégalités à réduire.

Les migrants eux-mêmes peuvent être des vecteurs efficaces de ce co-développement, des échanges entre pays, entre collectivités et communautés. La fluidité de circulation, la liberté d’aller et venir sont nécessaires à l’établissement de ces coopérations. Les « aides au retour » qui ne prennent pas en compte ces exigences sont vouées à l’échec.

Cette démarche implique de porter un regard positif sur l’immigration. Pas seulement pour saluer son apport – passé – à la société française, mais pour poursuivre cette dynamique de nouvelle manière sur la base de l’intérêt mutuel.

C’est aussi pourquoi il faut distinguer entre droit de circulation et droit d’établissement et s’inscrire dans un processus qui vise à supprimer l’exode de la misère pour donner un autre contenu aux migrations internationales.

Au moment où ces lignes seront publiées un document du Parti communiste intitulé « Réflexions pour un débat national pour une politique progressiste vis à vis de l’immigration » aura été édité. Les propositions annoncées dans cet article sont développées, précisées dans ce document.

Chacun mesure l’importante évolution du Parti communiste sur la question. Ce changement, assez radical, est cohérent avec ce que nous appelons notre mutation, il en est constitutif.

Plusieurs étapes ont marqué l’histoire des orientations du PCF sur l’immigration. Sans entrer dans les précisions, nous dirons que des historiens distinguent cinq étapes où ont alterné les politiques dites « d’ouverture » et celles « d’arrêts » de l’immigration. Dans un premier temps, à partir du constat des dérives engendrées, on justifiait par cette orientation la politique de la droite. Très vite nous en sommes venus à une réflexion plus profonde sur l’enjeu de ces questions, qui a rejoint celle sur les formes et les contenus nouveaux de la lutte de classe aujourd’hui.

De plus il apparaît que cette nouvelle orientation est porteuse de dynamiques militantes pour retisser des liens sociaux dans les cités, pour faire reculer l’extrême droite et réussir à gauche.

13 novembre 97



Article extrait du n°36-37

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Dernier ajout : jeudi 19 juillet 2018, 15:57
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