Article extrait du Plein droit n° 21, juillet 1993
« Les étrangers sous surveillance policière »

Histoires...

Ali I. est né en 1917. En 1958, il a quitté l’Algérie pour venir travailler en France, où il a passé l’essentiel de sa vie professionnelle. Depuis qu’il a atteint l’âge de la retraite, il a l’habitude de faire de fréquents déplacements vers l’Algérie, où sa femme est restée.

En 1986, il décide, à l’occasion d’un de ses départs, de remettre son certificat de résidence aux autorités françaises, sans que cette démarche s’inscrive dans une quelconque « aide au retour ». Il ne cesse pas pour autant ses allers-retours entre l’Algérie et la France, où il a conservé un domicile et où il perçoit ses retraites et pensions : victime à deux reprises d’accidents du travail (en 1974 et en 1975), il est frappé d’incapacité dont le taux s’élève à 18,30%.

En 1991, son épouse décède en Algérie ; n’ayant pratiquement plus d’attache dans ce pays, il décide de revenir s’installer en France. Ses ressources s’élèvent (retraite et rente d’accidents du travail) à environ 3 500 F mensuels. Il vit seul, dans un appartement HLM dont il est locataire en titre à Aubervilliers.

Il demande une carte de séjour à la préfecture de Seine-Saint-Denis. Refus : il ne peut ni « récupérer » son certificat de résidence qu’il a rendu, ni bénéficier d’un titre temporaire « visiteur ».

Saisi en recours hiérarchique au mois d’août 1992, le ministère de l’Intérieur confirme ce rejet : « malgré la durée de son séjour antérieur en France, M. I. est réputé être arrivé sur le territoire le 30.12.1991 », et conclut ainsi l’examen des ressources de M. I. : « force est de constater que les revenus de l’intéressé sont très insuffisants pour lui permettre d’envisager le bénéfice d’un certificat de résidence en qualité de visiteur ».

Ces « revenus très insuffisants » sont le fruit des années de travail pendant lesquelles M. I. a fourni sa force de travail à la France.

À 76 ans, devenu improductif, il n’a plus qu’à rentrer chez lui.

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Aïcha A. est algérienne. Âgée de 33 ans, elle est venue pour la première fois en France en 1984, où, ayant fait la connaissance d’un Pakistanais installé comme artisan, elle a vécu maritalement avec lui. En 1988, est né de leur union un enfant, de nationalité française. Cet enfant, handicapé, est suivi régulièrement par le centre de protection infantile de la commune des Hauts-de-Seine où la famille réside.

À partir de 1989, Mme A. tente de régulariser sa situation. À la préfecture, on lui explique que le fait qu’elle soit sans papiers depuis plusieurs années est un obstacle à toute régularisation, et on lui conseille de repartir en Algérie chercher un visa pour reprendre des démarches dans de meilleures conditions.

Ne pouvant se résoudre à laisser son tout jeune enfant, qui a besoin de soins en France, ne pouvant non plus pour la même raison l’emmener avec elle, elle attend deux ans avant de suivre ce conseil.

Une fois en Algérie, deux ans encore s’écoulent avant qu’elle obtienne du Consulat de France un visa qui ne lui sera finalement accordé que pour une durée d’un mois, au lieu du visa d’établissement qu’elle espérait du fait de la présence de sa famille en France.

Revenue en France, en 1992, elle retourne à la préfecture : elle y apprend qu’entrée sous couvert d’un visa de court séjour, elle ne pourra prétendre qu’à un titre de séjour temporaire « visiteur » qui, malheureusement dans son cas, n’est délivré qu’aux étrangers disposant de ressources personnelles stables et suffisantes. À ce titre, les revenus de son conjoint ne sont pas pris en compte.

Le ministère de l’Intérieur confirme cette position.

Mme A. décide alors de se marier afin de formaliser les liens qui l’unissent au père de son enfant, avec qui elle vit depuis près de dix ans, et tenter de régulariser sa situation par le biais du regroupement familial. La mairie de sa commune fait obstacle à ce projet, au motif que son visa est désormais périmé et qu’elle est à nouveau en situation irrégulière.

Sa qualité de mère d’enfant français ne lui donne aucun droit particulier à vivre en France [1].

Elle la « protège » cependant de toute mesure de reconduite à la frontière : non éloignable, Mme A. est donc condamnée à vivre sans statut auprès des siens, où à vivre éloignée d’eux sans perspective de retour.




Notes

[1Les accords bilatéraux franco-algériens ne font pas bénéficier « de plein droit » les parents algériens d’enfants français de la résidence en France.


Article extrait du n°21

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Dernier ajout : lundi 15 septembre 2014, 12:53
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