Article extrait du Plein droit n° 10, mai 1990
« Le droit d’asile en question »

Une « efficace » décentralisation

Françoise Sauvagnargues

 
Parmi les mesures destinées à traiter rapidement le stock des dossiers en attente à l’OFPRA, des missions sont désormais organisées dans les départements. La première opération de ce type vient d’être réalisée à Strasbourg du 26 février au 2 mars 1990.

Les associations qui, depuis longtemps, dénonçaient la J lenteur des procédures et la précarité dans laquelle se trouvaient, parfois pendant des années, les demandeurs d’asile, se sont félicitées que des moyens importants soient accordés à l’OFPRA et qu’un contact direct puisse avoir lieu entre leurs représentants et l’OFPRA, avant et pendant le déroulement de la mission.

Toutefois, les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette mission et l’analyse qu’il est permis de faire de ses résultats suscitent quelques graves inquiétudes.

L’OFPRA a commencé à traiter au début du mois de janvier 1990 un total de demandes déposées entre janvier 85 et août 89 qui s’élevait à 765. La liste a été établie d’après les fichiers de la préfecture de Strasbourg.

Sur les 765 personnes concernées, 60 avaient disparu et leurs dossiers n’ont pu être examinés. Sur cet ensemble de demandes, 148 dossiers ont été sélectionnés pour la mission proprement dite et les requérants convoqués sur place. 120 ont été effectivement entendus. Les entretiens ont eu lieu dans des conditions correctes dans les locaux de la préfecture.

D’après les informations fournies par l’OFPRA, 70 % des personnes convoquées venaient de Turquie et, parmi elles, 80 % seraient kurdes (les Kurdes constituent actuellement, d’après l’OFPRA, 45 à 50 % des requérants venant de Turquie ; à cet égard, il est important de signaler que, contrairement aux affirmations répandues, ils viennent bien de Turquie et non de RFA), les autres provenant essentiellement d’Afrique, quelques-unes d’Iran, du Sri-Lanka, et d’Europe de l’Est.

D’après les associations présentes à Strasbourg (Cimade, CASAS, CLAPEST, ASTTU, CFDT), il est évident que seule une minorité des requérants a pu être entendue par l’OFPRA, certains d’entre eux ayant fait connaître leur intention d’être convoqués sans que l’OFPRA tienne compte de cette demande explicite. Le représentant de l’OFPRA affirme qu’il n’y a pas de « droit » à 1’ entretien.

Cette pratique s’inscrit manifestement dans la logique actuelle de rendement imposée par le gouvernement à la fin de l’année 89, et qui est présentée comme la seule alternative pour sauver l’institution (non la protection des réfugiés). Quand on sait que pour arriver à réduire les délais d’instruction à trois mois, on gratifie le personnel de l’OFPRA de primes spéciales, on peut craindre que la machine ne s’emballe.

En ce qui concerne les résultats de l’opération Strasbourg, les chiffres provisoires des décisions prises par l’OFPRA atteignent un pourcentage de rejets jamais atteint. Sur l’ensemble des 765 demandes, à la date du 2 mars (fin de la mission), environ 380 dossiers ont fait l’objet d’un rejet, une vingtaine d’une reconnaissance de statut.

Même si, aux dires du directeur de l’OFPRA, il s’agissait de « mauvais » dossiers, on peut se demander si toutes les conditions étaient requises pour que la qualité de l’examen de ces demandes ne soit pas moins déterminante que la quantité de décisions rendues pour répondre aux délais fixés par le gouvernement à l’épuisement des « stocks ».

Ceci nous inquiète d’autant plus que de l’aveu du représentant de l’OFPRA lui-même, aucune réflexion n’est menée au sein de cet organisme sur la question de l’interprétation des critères de la Convention de Genève. Certes, il est intéressant de constater qu’un effort de formation a été consenti et que des études sont menées sur les aspects de la doctrine et de la jurisprudence, mais il serait souhaitable que les officiers de protection de l’OFPRA soient sensibilisés à une vraie recherche sur les nouvelles causes de déplacements des réfugiés dans le monde qui pourrait les conduire à une application moins sélective des critères de la Convention de Genève et à un recours plus large au « bénéfice du doute » (principe affirmé par M. Moreau, secrétaire général de l’OFPRA, lors de sa rencontre avec les associations).

En admettant que la mission de Strasbourg n’avait pas reçu pour consigne de produire un maximum de refus de statut, les résultats néanmoins sont inquiétants.

Si, comme l’indique actuellement l’OFPRA, tous les dossiers en instance doivent être examinés avant la fin du mois de juin, il est à craindre que l’opération réalisée à Strasbourg ne se reproduise dans les mêmes conditions dans les autres régions (Lille, Lyon,…).

Au total, il est probable que, vu les mesures prises pour accélérer, conjointement à celles de l’OFPRA, les procédures d’examen des dossiers devant la commission de recours, on sera confronté dans les mois à venir à un problème massif de déboutés.

Parmi ces déboutés, se trouveront très probablement des groupes ou des individus qui ont vu leur requête examinée selon une interprétation restrictive de la Convention de Genève ou selon des modalités précises de rendement — absence d’entretien approfondi, manque de preuves justifiant leurs craintes — et qui, cependant, ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine.

Il se trouvera aussi, parmi ces déboutés, des personnes ou des familles installées en France depuis plusieurs années, ayant emploi, logement, enfants scolarisés, et ne causant aucun trouble à l’ordre public. Il est évident que les associations devront très rapidement prendre une position claire sur ces questions.



Article extrait du n°10

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Dernier ajout : jeudi 3 avril 2014, 14:39
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