Article extrait du Plein droit n° 7, avril 1989
« Des discriminations jusqu’à quand ? »
Des bribes de citoyenneté
Le premier champ qui s’est ouvert à une forme de citoyenne) té est celui de l’entreprise. Pourtant, jusqu’à l’intervention de la loi du 27 juin 1972, nombreux étaient ceux qui affirmaient haut et fort que la participation dans l’entreprise était un droit politique qu’il était impensable d’accorder aux étrangers. C’est cette loi qui leur a pour la première fois ouvert l’éligibilité aux comités d’entreprise et aux fonctions de représentant du personnel, tout en la subordonnant à la condition de « savoir lire et écrire en français ». Puis la loi du 11 juillet 1975 a assoupli cette condition en prévoyant que, pour être éligible, il fallait pouvoir s’exprimer en français. La loi du 28 octobre 1982 a supprimé ces restrictions, de sorte que désormais les étrangers sont électeurs et éligibles dans les mêmes conditions que les Français.
En revanche, si les étrangers travaillant dans les mines participent depuis 1975 à l’élection des délégués mineurs, ils ne sont pas éligibles à cette fonction : on justifie cette exclusion par le fait que les délégués mineurs possèdent des prérogatives, en matière de sécurité notamment, qui dépassent la simple fonction représentative de délégué du personnel.
La même évolution est intervenue en ce qui concerne l’exercice du droit syndical. Les étrangers ont toujours eu la liberté d’adhérer au syndicat de leur choix, et d’y militer (aussi longtemps qu’on ne les accusait pas de faire de la politique), mais jusqu’en 1975 ils étaient exclus des fonctions d’administration et de direction des syndicats. A cette date, ils ont obtenu le droit d’accéder à ces fonctions, à la condition de travailler en France depuis cinq ans au moins et que la proportion d’étrangers ne dépasse pas le tiers des administrateurs du syndicat. Puis est intervenue la loi de 1982 qui a supprimé ces discriminations.
Enfui, la loi du 11 juillet 1975 a reconnu aux étrangers, salariés ou employeurs, le droit de participer à l’élection des conseils de prud’hommes, sans toutefois leur conférer l’éligibilité. Les conseillers prud’hommes, dit-on, rendent la justice au nom du peuple français… Mais il y a quelques années le même argument était invoqué pour leur refuser le droit de vote : ce qui prouve que les prétendus obstacles juridiques s’évaporent à la même vitesse que les esprits évoluent.
Reste que la justice, symbole par excellence des prérogatives régaliennes de l’État, lieu où se manifeste la souveraineté étatique, ne s’ouvre pas facilement aux étrangers. Non seulement ils ne peuvent être ni magistrats, ni greffiers, mais ils ne peuvent pas non plus être jurés dans des procès d’assises, ni assesseurs des tribunaux pour enfants, ni assesseurs des tribunaux pour les affaires de sécurité sociale, fonctions auxquelles n’ont accès que les citoyens français. Et de même qu’ils ne peuvent être conseillers prud’hommes, ils ne peuvent siéger ni dans les tribunaux paritaires des baux ruraux, ni dans les tribunaux de commerce (ils sont même exclus ici tant de l’électorat que de l’éligibilité). Les professions judiciaires elles-mêmes ne leur sont accessibles que dans d’étroites limites (voir article p. 14), sous prétexte qu’elles impliquent une collaboration au service public de la justice.
De même, la tradition qui veut que les étrangers soient exclus des organismes de gestion des services publics n’est pas remise en cause pour l’instant en ce qui concerne les organismes corporatifs : seuls les Français peuvent être membres des chambres de commerce et d’industrie, des chambres d’agriculture et des chambres de métier, et les étrangers sont en général exclus des ordres professionnels des professions libérales, auxquelles, il est vrai, ils n’accèdent encore qu’au compte-goutte (voir article p. 34).
Des secteurs récemment conquis
Mais dans plusieurs secteurs : social, économique, éducatif, où la participation des usagers est encouragée d’une façon générale, les étrangers ont acquis progressivement, au cours des années récentes, l’égalité des droits avec les Français. La loi de 1982 qui a rétabli les élections pour la désignation des administrateurs des caisses de sécurité sociale, a conféré aux étrangers le droit de vote et l’éligibilité dans les mêmes conditions que les nationaux. Et le Code de la mutualité, depuis la réforme de 1985, ne fait plus aucune distinction entre étrangers et Français pour l’accès aux fonctions d’administrateur d’une société mutualiste. Dans le secteur du logement social, de même, des textes de 1983 et 1986 permettent aux étrangers de siéger sans restriction dans les conseils d’administration des Offices publics d’H.L.M. et des Offices publics d’aménagement et de construction (O.P.A.C.). Dans les établissements d’enseignement, également, la participation est ouverte aux étrangers sans restriction, qu’il s’agisse des conseils des écoles maternelles et élémentaires, des conseils d’administration des collèges et lycées, ou des différentes instances de gestion des universités : seul le président de l’université doit avoir la nationalité française.
Enfin, la loi de 1983 relative à la démocratisation du secteur public, en imposant la représentation du personnel dans les conseils d’administration des entreprises publiques, a ouvert la porte de ces conseils aux étrangers qui peuvent y siéger au titre de salariés. Ouverture toute relative, il est vrai, dans la mesure où les entreprises publiques les plus importantes ne recrutent que des Français (voir article p. 34).
Il y a donc bien eu, à partir des années 1970, des transformations importantes de la législation dans le sens d’une égalité des droits accrue entre étrangers et Français. Ce qui incite à penser que d’autres domaines — et on pense évidemment en tout premier lieu aux élections locales ou aux conseils de prud’hommes — ne pourront pas rester éternellement à l’écart de cette évolution.
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