Édito extrait du Plein droit n° 7, avril 1989
« Des discriminations jusqu’à quand ? »

Édito

ÉDITO

Il aura donc fallu patienter onze mois, depuis l’élection présidentielle, pour que le gouvernement nous livre enfin un projet d’abrogation de la loi Pasqua. En attendant de revenir, dès le prochain numéro de Plein Droit , à l’actualité immédiate, nous avons choisi de consacrer ce numéro à un problème de fond, moins spectaculaire, sans doute, que le problème du séjour, et souvent occulté par lui, mais non moins capital : le problème des inégalités juridiques ou, pour dire les choses plus crûment, des discriminations entre étrangers et nationaux.

Les obstacles que rencontrent les immigrés pour obtenir un titre de séjour, une autorisation de travail, un visa pour leur famille ont tendance à monopoliser l’attention, en raison de leurs conséquences souvent dramatiques. Mais ils ne sauraient faire oublier que, désormais, l’écrasante majorité des étrangers qui résident en France sont titulaires d’une carte de résident et bénéficient par conséquent d’une sécurité relative. Pour ceux-là, les vrais problèmes ne sont donc plus des problèmes de séjour, mais des problèmes d’insertion. Et l’insertion passe par l’égalité des droits. Or si, sur le long terme, l’évolution de la législation va bien dans le sens d’une assimilation progressive des étrangers aux nationaux, des discriminations importantes subsistent, dont beaucoup n’ont pas de justification valable, quand elles ne sont pas tout simplement contraires à la Constitution ou aux conventions internationales auxquelles la France a adhéré.

Sans doute ne faut-il pas sous-estimer les progrès accomplis au cours des dernières années, notamment dans l’entreprise où, entre 1973 et 1982, le sort des travailleurs étrangers a été pratiquement aligné sur celui des travailleurs français. On peut de même considérer comme un pas important vers la reconnaissance de l’égalité des droits la suppression de toute condition de nationalité pour siéger dans les conseils des caisses de sécurité sociale ou encore dans les conseils des établissements scolaires et universitaires. Cette participation accordée dans l’école ou dans l’entreprise, qu’on peut considérer comme autant de formes embryonnaires de citoyenneté, il reste encore, certes, à la mettre en oeuvre effectivement, pour qu’elle ne demeure pas lettre morte. Mais le premier pas, symbolique, a été accompli, et on ne peut que s’en féliciter.

Mais en face de ces progrès, on trouve encore des zones d’ombre, où la discrimina tion reste la règle : le domaine politique bien sûr, mais aussi, plus subrepticement, le domaine professionnel, où l’on peut, sans exagération, parler d’une véritable régression au cours des cinquante dernières années.

En matière politique, l’attention s’est focalisée depuis quelques années sur le droit de vote aux élections locales. Sans doute doit-on déplorer que la gauche au pouvoir ait si vite renoncé à tenir les promesses faites dans l’opposition ; mais on peut à l’inverse se féliciter de voir que cette revendication est reprise dans des cercles de plus en plus nombreux. On entend parfois dire, à ce propos, que si les immigrés avaient le droit de vote, ils auraient exactement les mêmes droits que les Français, sans avoir les mêmes devoirs qu’eux. Mais l’argument nous paraît doublement fallacieux. D’abord, parmi les « devoirs » imposés aux Français, on n’en voit à vrai dire qu’un seul qui ne s’impose pas également aux étrangers : le service national ; encore convient-il de noter que la moitié de la population - les femmes - n’y est pas astreinte, et que sur l’autre moitié un pourcentage important en est dispensé pour diverses raisons. Mais surtout, il est faux de dire ou de penser que le droit de vote serait le seul et le dernier privilège des nationaux. Car il y a encore - hélas - de très nombreux domaines où les étrangers n’ont pas les mêmes droits que les Français.

A commencer par le domaine professionnel : il faut savoir, en effet, qu’un nombre considérable d’emplois salariés - notamment dans l’administration et le secteur nationalisé - mais aussi de professions indépendantes, restent fermés à ceux qui n’ont pas la nationalité française, à moins qu’ils n’aient la chance de pouvoir se réclamer d’une convention internationale plus favorable, et notamment du Traité de Rome.

Lorsqu’on connaît les difficultés d’insertion professionnelle que rencontrent les jeunes, et plus encore les jeunes étrangers, il paraît évident que le rétrécissement du nombre d’emplois auxquels ils peuvent ac- céder constitue un handicap supplémentaire.

Le domaine politique et le domaine professionnel apparaissent comme les « noyaux durs » de la discrimination entre étrangers et Français. Mais bien d’autres inégalités subsistent dans des domaines où l’égalité devrait être la règle : en matière de liberté d’expression, puisque - pour ne prendre que cet exemple - le régime d’exception des publications étrangères n’a toujours pas été abrogé ; en matière de protection sociale, également, où certaines prestations continuent à être réservées aux Français en dépit des conventions internationales imposant l’égalité de traitement. Sans compter, bien entendu, les discriminations au quotidien, résultant non plus des textes mais des pratiques : pratiques policières, pratiques des guichets, pratiques de la justice...

En cette année du bicentenaire, le mot d’ordre d’égalité des droits n’est pas, on le voit, un simple slogan ; c’est un programme à la réalisation duquel il convient de s’atteler sans tarder... et qui a l’avantage de ne rien coûter sinon quelques réformes législatives ou réglementaires.



Article extrait du n°7

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Dernier ajout : vendredi 20 juillet 2018, 18:57
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