L’île de Mayotte départementalisée, une nouvelle étape dans la guerre aux « migrants comoriens » ?
Le 15 mars dernier, l’Union des Comores décidait que désormais « aucun passager ne sera accepté à embarquer ou à débarquer aux ports et aux aéroports s’il n’est détenteur de sa pièce d’identité ». Rien d’original dans cette décision. Tous les États de la planète agissent de même. Pourtant, l’ambassadeur de France à Moroni « regrette cette décision unilatérale et brutale » ; par mesure de rétorsion, ses services devraient cesser de délivrer des visas aux rares Comoriens susceptibles d’en obtenir.
Rien d’original sauf que, pour l’ONU et pour l’ensemble de la communauté internationale, l’Union des Comores est un archipel composé de quatre îles – la Grande Comore, Mohéli, Anjouan et... Mayotte [1]. C’est en effet en violation du droit international que la France a conservé Mayotte dans son giron en 1974 et vient, le 2 avril 2011, d’en faire le 101e département français.
Rien d’original dans la décision des autorités comoriennes, sauf qu’elle vise leurs innombrables ressortissants ou supposés tels expulsés depuis Mayotte – 26 405 pour la seule année 2010 –, très souvent sans aucune preuve qu’ils ou elles soient effectivement comorien⋅ne⋅s [2].
Parmi ces personnes, certaines pourraient prétendre à la nationalité française mais rien ne permet de le prouver car, dans ce département singulier, les « Français » oubliés par l’état civil ne sont pas rares [3]. La force des liens culturels, linguistiques, familiaux qui unissent les habitants de l’archipel n’est pas plus reconnue dans cette course aux quotas d’expulsion qui permet à cette île d’environ 200 000 habitants de comptabiliser presque autant de « reconduites à la frontière » que l’ensemble de la métropole. Depuis l’instauration du visa « Balladur » en 1995, les voisins ont en effet été transformés en « étrangers », la matérialisation électronique et policière de la « frontière » se renforce, un tiers de la population qualifiée de « comorienne » subit une traque quotidienne. La poursuite en mer des kwassa kwassa, ces barques légères transportant celles et ceux qui tentent de venir ou de revenir vers Mayotte, est meurtrière : depuis 15 ans les victimes se comptent par centaines ou par milliers, un naufrage avec une dizaine de disparu⋅e⋅s a encore été signalé le 30 mars.
La départementalisation risque d’accentuer cette hécatombe en coupant plus que jamais Mayotte des autres îles de l’archipel. Elle devrait s’accompagner d’une extension des droits et des possibilités de recours juridiques pour les personnes étrangères… si les logiques xénophobes ne primaient pas. Mais en cette matière comme en d’autres (par exemple dans le domaine de la protection sociale et de la santé), l’égalité des droits sur les sols métropolitains et mahorais n’est évoquée qu’à une échéance bien lointaine et le règne des dérogations ne paraît pas devoir connaître de fin.
Le processus de départementalisation d’une terre qui n’est « française » qu’aux yeux de l’État français est donc loin d’être porteur d’espoir de l’amélioration du sort d’une large partie de la population. Il entrave et complique encore les évolutions et les coopérations institutionnelles de la région. Plus que jamais, il paraît impossible d’envisager un avenir harmonieux de Mayotte sans l’abolition du si meurtrier « visa Balladur », sans droit à la circulation au sein de l’archipel des Comores, ni respect des droits fondamentaux de tous et de toutes.
[1] Voir une vingtaine de résolutions de l’ONU de 1975 à 1994 ; récente résolution de l’Union africaine (Addis-Abeba, 30-31 janvier 2011).
[2] Pour satisfaire les autorités comoriennes, le préfet de Mayotte envisage une solution originale : un procès verbal d’une audition par un policier au cours de la garde à vue attestant la nationalité comorienne de la personne devrait valoir état civil comorien.
[3] Rapport relatif au statut de Mayotte par M. Didier Quentin fait au nom de la commission des lois de l’assemblée nationale, 17 novembre 2010 – Extraits et autres informations.
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