Édito extrait du Plein droit n° 70, octobre 2006
« Le travail social auprès des étrangers (1) »

L’arbitraire et le mépris

ÉDITO

ON connaît désormais les chiffres officiels sur l’application de la circulaire du 13 juin 2006 dont l’objet était de réexaminer les situations des familles sans papiers avec enfant(s) scolarisé(s). Les dossiers devaient être déposés en préfecture avant le 15 août. Faut-il ici rappeler que cette fameuse circulaire a été annoncée avec grand fracas médiatique par le ministre de l’intérieur, le jour même – coïncidence ? – où commençait la discussion de son projet de loi devant le Sénat ? Ainsi, au titre de cette mesure de clémence, qui avait pour objectif à la fois de détourner l’attention de l’importante réforme entreprise et de stopper le mouvement de solidarité sans précédent qui s’était créé autour des familles dans le cadre du Réseau éducation sans frontières (RESF), 6 924 titres de séjour ont été délivrés pour environ 33 500 demandes. C’est peu, mais cela on le savait déjà. On le savait d’autant mieux que l’objectif n’était pas de régulariser le plus grand nombre, mais une poignée de familles afin de calmer le jeu. L’auteur de la circulaire avait pris soin de fixer des critères à la fois exigeants et multiples, laissant une marge importante d’appréciation à ses services, comme l’absence de liens avec le pays d’origine. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), saisie par RESF, a d’ailleurs condamné ce dernier critère à la base d’un nombre important de refus.

Le petit nombre de titres délivrés appelle d’emblée une deuxième remarque quant à la sélection opérée. Sur ce point, il y a l’apparence – des critères et une prétendue surveillance par un médiateur qui n’a cessé de disserter dans le vague sur une politique d’immigration qu’il ne connaissait aucunement – et la réalité. Personne n’est capable de dire quelles lignes de conduite ont été suivies par les préfectures. Malgré la modestie du nombre de dossiers déposés, démentant les évaluations fantaisistes de la présence des sans-papiers, beaucoup de préfectures ont été dépassées par cet « afflux ». On s’étonnera du reste de cette imprévision, alors que le ministère de l’intérieur cite régulièrement le nombre de « clandestins » présents sur le territoire français et qu’il lui était donc facile de prévoir que les familles concernées allaient… faire une demande de régularisation. Les préfectures ont ensuite instruit les demandes en toute « liberté », en toute discrétion. Au milieu de ce désordre volontaire, un élément semble avoir joué plus qu’un autre : la date de dépôt du dossier. Tout s’est visiblement passé comme si les plus rapides à rassembler les éléments exigés (fort nombreux et variant également selon les départements) avaient été les premiers et donc les mieux servis. Chaque préfecture se serait ainsi donné un nombre de régularisations à ne pas dépasser, et une fois cet objectif atteint, elle aurait sans le dire « mis au pilon » tous les nouveaux dossiers. Pour le reste…

TOUS les jours, au fur et à mesure que les décisions tombaient – surtout les refus donc –, on ne pouvait que constater l’arbitraire des pratiques. On nous rétorquera que ce n’est pas nouveau, que c’est le principe même de toute régularisation, mais l’aspect loterie a cette fois atteint des sommets. Pour ne citer qu’un exemple, prenons la durée du séjour en France et incidemment celle de la scolarité. Ce critère qui a toujours été considéré comme l’indicateur d’un ancrage incontestable dans la société française et qui, de plus, présente une objectivité certaine, n’a apparemment joué aucun rôle. Des étrangers installés en France depuis plus de dix ans ont été ainsi renvoyés à leur irrégularité alors que d’autres, présents sur le territoire depuis peu de temps, ont eu la chance de présenter leur dossier au bon moment. Il faut croire que certains étrangers ont vocation à rester éternellement en situation irrégulière…

Dans cette opération, comme dans toutes les opérations de ce type réglées par circulaires, il n’a pas été question de droit. Comment le faire comprendre aux familles concernées, à leurs amis et soutiens alors même que le texte, qui a bénéficié d’un tapage médiatique conséquent, a nourri un réel espoir ? Parce qu’il n’est pas question de droit, il est vain d’user de recours, que ce soit devant le préfet ou devant le juge. Ce constat est cruel pour ceux et celles qui découvrent de plein fouet que le principe d’égalité de traitement n’a ici pas droit de cité. Les autorités compétentes n’ont finalement fait qu’exercer leur pouvoir discrétionnaire en la matière guidées par la règle rappelée par le ministre de l’intérieur : les sans-papiers n’ont pas de droits, sauf celui d’être reconduits chez eux.

LE hasard et la chance, qui gouvernent déjà pour une très large part l’instruction des demandes de statut de réfugié en l’absence de jurisprudence encadrant les réponses de l’OFPRA et de la Commission de recours des réfugiés, ont pris pension l’été dernier dans les préfectures. On en arrive, non sans cynisme, à se demander s’il ne serait pas plus honnête, de la part du ministère de l’intérieur, d’instituer un tirage au sort et non un artifice d’examen sur la base de critères que les services administratifs s’empressent d’abandonner. Cette procédure aurait au moins l’avantage de la franchise.



Article extrait du n°70

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Dernier ajout : lundi 7 avril 2014, 16:10
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